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Châtillon

Après le droit de retrait, 200 cheminots paralysent une partie du réseau par une grève surprise

Lundi dernier à 22h une grève massive a éclaté au technicentre de Châtillon, où travaillent plus de 200 agents, occupés jour et nuit à réparer les trains qui circulent sur une immense partie du réseau du territoire. Après le droit de retrait exercé par des milliers de cheminots à travers la France en réaction à l’accident de Champagne-Ardenne, près de 200 cheminots défient la direction de la SNCF et le gouvernement bloquant avec une grève surprise quasiment l’entièreté du Réseau Loire Atlantique. Colère, détermination et radicalité, la grève de Châtillon donne un avant-goût de ce que les cheminots préparent pour le 5 décembre.

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D’une grève sauvage à la conquête de revendications offensives

Aujourd’hui, seuls 17 trains sont sortis du centre de maintenance, à peine 10% de la circulation habituelle. Et pour cause, la grève qui s’est ouverte sans respecter le "délai de prévenance" est très suivie : plusieurs services sont à l’arrêt et comptent 100% de grévistes. Les agents ont publié un communiqué dans lequel ils reviennent sur les raisons du conflit et expliquent leur méthode. En effet, depuis quelques jours, les médias dominants et la direction de la boite, affolés, répètent en permanence que la grève est « illégale », « sans préavis », qu’elle paralyse le pays en plein milieu des vacances et appellent d’une même voix à la « responsabilité des grévistes ». Ce qui les inquiète ? La spontanéité et la radicalité de la méthode d’une part et l’aspect très offensif des revendications de l’autre, symptôme potentiel d’un état d’esprit général de l’ensemble des travailleurs du rail.

« La direction considère notre grève illégitime, car nous ne serions pas dans le cadre du délai de 48h pour le service minimum, mais c’était le seul moyen de se faire entendre. (…) Notre colère est réelle et profonde, nous sommes déterminés à nous battre jusqu’au bout de nos revendications, pour le respect et la dignité. Nous ne pouvons plus accepter de travailler avec des salaires proches du SMIC et gelés depuis 5 ans, en sous-effectif et avec des agents qui démissionnent de plus en plus. Nous avons honte de voir comment la SNCF joue avec la sécurité ou encore le confort des voyageurs, pour des questions de flexibilité et de rentabilité. Nous respecterons les délais de prévenance le jour où la direction elle-même respectera déjà les salariés mais également les voyageurs qui payent de plus en plus cher des trains, avec de moins en moins de service, des sièges vétustes, des rames parfois avec des toilettes condamnées, des portes bloquées, ou encore des climatisations HS en période canicule. » expliquent les grévistes.

Ainsi, si la grève a démarré pour contester la suppression de 12 repos annuels, elle s’oppose aujourd’hui à la dégradation générale des conditions de travail et au mépris permanent de la direction. C’est cette indifférence et le maintien d’une politique de la "rentabilité avant tout" et du "risque calculé" qui mènent à la suppression des postes nécessaires pour assurer la sécurité des usagers comme l’a montré l’accident récent en Champagne-Ardenne mais aussi à la surexploitation des agents, qui n’ont pas les moyens de maintenir l’entretien dont les rames et les voies auraient besoin.

Insister sur "l’illégalité de la grève" vise à faire pencher l’opinion publique du côté de la direction de la SNCF et du gouvernement quand les travailleurs du rail se battent pour la défense de la sécurité de tous, agents et usagers. Car en effet, la grève s’est déclenchée sans que ne soit respecté le "délai de prévenance" de 48h imposé depuis la loi de 2007. Elle s’inscrit toutefois dans le préavis de grève déposé par Sud rail qui couvre bien les agents. Néanmoins, cette contestation est une remise en question très profonde de l’un des acquis les plus précieux du patronat et des classes dominantes, celui de pouvoir "prévenir" les grèves en remplaçant les agents. Or aujourd’hui, la colère des grévistes de Châtillon a fait sauter ce verrou et confirme que la situation est bien trop grave : ce qui est en jeu, c’est la sécurité de tous, mais aussi la dignité et la santé de ceux qui font rouler les trains. Ce n’est pas à eux d’être "prévenants" mais à ceux qui organisent le terrible pourrissement du service public.

La direction a donc cédé sur plusieurs revendications : les repos seront maintenus, et même étendus à tous les agents engagés dans la grève qui n’en bénéficiaient pas initialement. Elle va par ailleurs être obligée de les reconnaître comme "grévistes", malgré l’absence du respect du délai de prévenance. Une victoire énorme, qui, si cela se confirme, peut créer un précédent. Mais la direction, qui a par ailleurs décidé de lâcher cette réorganisation au début de la période des vacances scolaires, s’est, comme à son habitude, engagée sur le terrain de la provocation et compte ouvrir des procédures disciplinaires à l’encontre des 200 grévistes. Pour se battre encore, ils ont besoin d’un soutien massif : une caisse de solidarité a été lancée et une action est prévue devant le siège de la SNCF, mardi 29 octobre à 14h.

Spontanéité et radicalité, la multiplication des "grèves sauvages" à la SNCF

Comme à l’occasion des droits de retrait massivement exercés à l’occasion de l’accident de Champagne-Ardennes, les cheminots se mobilisent à nouveau en dehors des clous. Le mouvement est soutenu par le syndicat Sud Rail mais s’est déclenché à la base et de façon spontanée. Une nouvelle fois, la colère des travailleurs a surpris l’ensemble de la classe politique, inquiète du potentiel débordement qu’elle annonce. Les Gilets Jaunes ont pendant plusieurs mois mis à mal les modalités traditionnelles de contestation, en refusant de déposer les parcours des manifestations, en questionnant les négociations opaques qui se déroulent dans les salons de l’Elysée et en s’autorisant à revendiquer bien plus que le retrait de la taxe carbone. Aujourd’hui, dans plusieurs secteurs du monde du travail, traditionnellement plus liés au mouvement ouvrier et aux organisations syndicales, on retrouve la même explosivité, la même insubordination et la même impatience, forces de subversion des carcans habituels.

Par ailleurs, si, comme le dit Eric Meyer, secrétaire fédéral de Sud Rail, la plupart des établissements SNCF sont aujourd’hui des "Cocottes-Minute prêtes à exploser", c’est aussi la conséquence de la succession des réformes ferroviaires, qui "sont toutes allées dans le sens de plus de productivité, plus de suppressions d’emplois, plus de remises en cause des acquis sociaux et tout cela s’est accompagné de plans de performance, de gel des salaires depuis cinq ans". A commencer par la réforme du rail de 2018, qui supprime le statut pour les nouveaux embauchés en 2020 et qui avance vers la privatisation de la SNCF en l’ouvrant à la concurrence. Alors que le conflit s’était soldé par une défaite, largement organisée par la méthode de la "grève perlée" consistant à faire grève seulement deux jours sur cinq, les grévistes de Châtillon démontrent, un an et demi après, non seulement qu’il est possible d’obtenir gain de cause par une bataille franche et déterminée, mais aussi qu’à l’approche du 5 décembre, les cheminots sont toujours prêts à lutter pour un autre avenir.

Et si la radicalité des cheminots se combinait à une grève interprofessionnelle et massive contre la réforme des retraites ?

Si la grève de Châtillon et le droit de retrait inquiètent tant, c’est parce qu’ils confirment que l’un des principaux bataillons du monde du travail, ceux qui entretiennent et font rouler les trains, ne sont pas vaincus. Pire : si l’on associe leur capacité de blocage à une grève massive, illimitée, déterminée et radicale, aux côtés de la RATP et d’autres travailleurs, le combat contre la réforme des retraites s’annonce très dur. C’est le sens des menaces d’Edouard Philippe, en déplacement à Gare de l’Est avec Guillaume Pépy samedi 19 octobre, lorsqu’il affirme avoir demandé à la SNCF "d’examiner toutes les suites, y compris judiciaires, qui pouvaient être données lorsque des gens ne respectent pas la loi". Il souhaite ainsi donner le ton et prépare le terrain, politique et idéologique, de l’affrontement qui s’annonce à partir de la grève reconductible du 5 décembre.

En effet, Macron et le gouvernement pensaient pouvoir éviter de faire face à un combat dur, en tentant de "gagner du temps sur le temps" en faisant traîner pendant des mois autour de la perspective d’une "concertation", d’un véritable "dialogue" avec les organisations syndicales. Le pari d’un "acte II" qui permettrait à Macron de poursuivre les réformes annoncées pour le quinquennat tout en évitant la résurrection d’une contestation sociale déterminée moins d’un an après le début du mouvement des Gilets Jaunes semble d’ores et déjà loin derrière lui. La colère de la base des travailleurs, exprimée d’abord par la grève massive de la RATP le 13 septembre, a débouché sur l’annonce d’une première journée de grève, potentiellement reconduite, à partir du 5 décembre, comme proposent plusieurs syndicats et fédérations, à l’image de la CGT Chimie, Services Publics ou encore la Fédération Sud Rail et l’UNSA Ferroviaire, en plus des syndicats de la RATP.

Cette montée en pression a obligé Macron a revoir sa copie, en formulant l’hypothèse d’un plan B, visant à convaincre les travailleurs de sauver leur peau sur le dos de la jeunesse. C’est donc la fébrilité d’un gouvernement affaibli par l’offensive de ces dernières grèves radicales qu’il faut percevoir derrière le ton martial de Macron qui affirme son rejet de la "complaisance" hier matin sur RTL. La perspective d’un tous ensemble construit par la colère des travailleurs et de la jeunesse est au contraire la voie que nous montrent les cheminots de Châtillon aujourd’hui, ceux qui ont exercé leur droit de retrait hier, et ceux qui se préparent à se battre demain.


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