×

International

Après les déclarations de Macron à Taïwan, Scholz réaffirme son projet pour l’Europe

Ce mardi, Olaf Scholz donnait un discours devant les eurodéputés réunis à Strasbourg. Le chancelier allemand entendait présenter la vision de l'impérialisme allemand pour l'Union Européenne : un équilibre entre l’alignement derrière les États-Unis et la défense de ses intérêts stratégiques propres.

Irène Karalis

12 mai 2023

Facebook Twitter
Après les déclarations de Macron à Taïwan, Scholz réaffirme son projet pour l'Europe

Crédits photo : OSCE Parliamentary Assembly

Ce mardi 9 mai, le chancelier allemand Olaf Scholz s’est prêté à un exercice inhabituel pour sa fonction. A Strasbourg, face aux députés européens, il a exposé sa vision géostratégique de l’Union dans une période de confrontation entre la Chine et les États-Unis.

Scholz y a notamment réaffirmé sa volonté d’élargir l’Union Européenne aux pays des Balkans occidentaux et à l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie pour « garantir la paix en Europe après la césure que marque l’invasion de l’Ukraine par la Russie ». Défendant la nécessité de réformer les institutions européennes, Olaf Scholz a rappelé sa volonté d’abandonner la règle de l’unanimité pour aller vers des décisions prises à la majorité, notamment en matière de politique étrangère et fiscale. Une telle politique aurait notamment pour conséquence un affermissement des décisions de Paris et Berlin sur les décisions de l’Union Européenne, quant aux affaires étrangères et la perte du droit de véto d’États jugés plus belliqueux envers la Russie comme la Pologne et la Roumanie.

Le chancelier en a profité pour défendre l’adoption finale du pacte sur l’ immigration et l’asile. L’occasion pour l’impérialisme allemand de prendre de la hauteur dans ses relations avec les autres pays européens et de se présenter comme chef d’orchestre, au moment où la France connaît une crise de régime profonde causée par la séquence de lutte des classes qu’elle vient de traverser et suite au flop de la tournée d’Emmanuel Macron et de sa proposition d’autonomie stratégique pour l’Union Européenne.

En effet, la guerre a exposé les tensions internes à l’Union Européenne au grand jour, dont la crise autour des céréales est le dernier exemple en date. L’Union Européenne avait décidé d’ouvrir ses routes pour les exportations agricoles de Kiev en les exonérant temporairement de taxes douanières. Cependant, plusieurs États membres de l’Europe de l’Est ont interdit l’importation des produits agricoles ukrainiens après d’importantes manifestations d’agriculteurs, notamment en Pologne et en Roumanie, qui dénonçaient le fait que les céréales et produits ukrainiens qui devaient seulement traverser leur pays aient été stockés puis vendus sur le marché interne.

Cette crise n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des différentes tensions qui ont animé les débats au sein de l’Union Européenne depuis le début de la guerre en Ukraine. À chaque fois, ces tensions ravivent la menace d’affaiblissement de « l’unité européenne » face à la Russie de Poutine. C’est dans ce contexte que le discours d’Olaf Scholz ce mardi était très attendu, quelques mois après ses déclarations à l’université de Prague en août dernier.

Les États-Unis, « l’allié le plus important de l’Europe »

Si la France et l’Allemagne semblent vouloir trouver un terrain d’entente après l’explosion de leurs désaccords avec la guerre en Ukraine en organisant différents échanges — la ministre des affaires étrangères allemandes Annalena Baerbock était à Paris ces 9 et 10 mai et Macron doit se rendre à Potsdam le 6 juin —, le discours d’Olaf Scholz montre que les différences d’intérêts et de projets concernant l’avenir de l’Union Européenne entre les deux puissances impérialistes sont loin d’être résolues.

Sans mentionner une seule fois la France de tout son discours, Olaf Scholz a en effet envoyé une réponse claire à Emmanuel Macron et ses déclarations en Chine. Ce dernier avait appelé l’Europe à ne pas « être suiviste » des États-Unis, à refuser d’« entrer dans une logique de bloc à bloc » et à former un « troisième pôle » face aux États-Unis et la Chine. Ces déclarations exprimaient des inquiétudes existant dans plusieurs pays européens quant à leur rapport avec les États-Unis et la Chine, à l’image des visites d’Olaf Scholz, Pedro Sánchez, Charles Michel et Ursula von der Leyen en Chine. En effet, ces différents voyages ont exprimé les degrés d’alignement que les européens sont prêts à appliquer avec la politique américaine : découplage ou « réduction des risques » ? Alignement sur la position des États-Unis ou poussée vers une plus large autonomie, notamment sur la question de Taïwan comme Macron semblait le défendre ? Une chose est sûre, la question des intérêts européens et particulièrement de l’impérialisme allemand en Chine, souhaitant éviter une aliénation totale de ses intérêts à ceux des États-Unis, reste le principal facteur de discorde entre les puissances occidentales.

En effet, les intérêts des européens ne sont pas exactement les mêmes que ceux des États-Unis, et la pression exercée par les États-Unis à rompre leurs relations avec la Russie et la Chine a ouvert des débats internes en Europe sur le degré d’autonomie dont elle devrait disposer pour défendre ses intérêts. Certaines puissances de l’Union Européenne, et tout particulièrement l’Allemagne, comptent sur l’assistance militaire américaine.

La décision de l’Allemagne de lancer un plan de financement de l’armée de 100 milliards au lendemain du début de l’invasion russe en Ukraine a souligné, malgré des contradictions encore claires, le fait que la situation en Europe avait connu un tournant historique. Si cette annonce rappelait déjà la fragilité de la France comme principale puissance militaire européenne, faisant l’effet d’une puissance de second rang dans les affrontements bipolaires actuels, la décision de l’Allemagne de commander des armes aux États-Unis et d’annoncer un projet de « bouclier anti-missiles européen » impliquant 15 pays européens membres de l’OTAN mais excluant des puissances de l’Union Européenne comme l’Italie, la France et l’Espagne et impliquant l’achat de matériels militaires aux États-Unis et à Israël a fait l’effet d’une bombe dans les relations entre les principaux États européens. Ainsi, la France voyait se concrétiser sa hantise, à savoir se retrouver « satellisée » dans une Union Européenne dominée par l’Allemagne et alignée derrière les États-Unis.

Dans ce contexte, Olaf Scholz a formulé une réponse claire à Emmanuel Macron : « Les États-Unis restent l’allié le plus important de l’Europe ». Une manière pour le chancelier allemand de refroidir les ardeurs du président français, et de lui rappeler qu’il est hors de question de constituer un « troisième pôle » indépendant des États-Unis. Le chancelier allemand en a profité pour à nouveau appuyé son projet de « bouclier anti-missiles européen » en partenariat avec les États-Unis, expliquant : « cela signifie que nous serons de meilleurs alliés pour nos amis transatlantiques d’autant plus que nous investissons dans notre sécurité et notre défense, dans notre résilience civile, dans notre souveraineté technologique, dans la sécurité des approvisionnements, dans notre indépendance vis-à-vis des matières premières critiques. »

Pour soutenir RP, faites un don !

Pour un monde « multipolaire »

Pour autant, le discours de Scholz a défendu un « monde multipolaire » dans lequel l’Union Européenne ne soit pas totalement subordonnée aux États-Unis. Sur le sujet de la Chine par exemple, le chancelier allemand affirme : « Notre relation à la Chine est décrite avec justesse par le triptyque ‘partenaire, concurrent, rival systémique’, même si la rivalité et la concurrence ont augmenté sans aucun doute. L’Union le voit et y réagit. Je suis d’accord avec Ursula von der Leyen : notre devise n’est pas un de-coupling, mais un de-risking intelligent ! ». Une manière de refuser la pression des États-Unis au « de-coupling », c’est-à-dire cessation totale des relations avec la Chine, dans la droite continuité de sa visite en Chine visant à maintenir des relations diplomatiques et économiques avec le géant asiatique.

Pour le chancelier allemand donc, l’heure n’est pas à s’aligner totalement sur un pôle mais à diversifier les alliances et les accords. « L’Europe doit se tourner vers le monde. Si nous ne le faisons pas, ce seront d’autres qui dicteront les normes commerciales et environnementales » a-t-il affirmé, affichant sa volonté de nouer de nouveaux accords commerciaux avec le Mexique, l’Inde, l’Indonésie, l’Australie, le Kenya et le Mercosur. Pour le Frankfurter Allgemeine Zeitung, « Scholz a présenté aux députés européens une vision du monde fidèle au positionnement classique de la République fédérale, qui mise sur la coopération (économique) et sur les garanties de sécurité américaines. »

Pour l’Allemagne, il s’agit en effet de trouver un compromis entre les intérêts européens et un certain degré d’autonomie et une dépendance évidente aux États-Unis, d’un point de vue économique comme militaire. Tout en refusant de se distancer des États-Unis à la manière d’Emmanuel Macron et en rappelant son attachement à la politique atlantiste, le chancelier allemand cherche néanmoins à répondre aux inquiétudes concernant une dépendance trop accrue aux États-Unis. Surtout, il fait face à des contradictions notamment internes au pays et au sein de la bourgeoisie allemande elle même, alors que différents secteurs du capital industriel allemand sont plus profondément reliés au marché d’Asie du Sud-Est et d’autres beaucoup plus ouvertement atlantistes.

Reprendre le leadership sur l’Union Européenne

L’Allemagne a été durement touchée par la guerre en Ukraine après que la Russie a coupé à l’Europe une partie centrale de son approvisionnement en gaz. Dans ce contexte, elle a eu tendance à vouloir protéger l’industrie nationale et sa politique intérieure, quand bien même cela entrait en contradiction avec les politiques européennes communes. La France et les autres pays du sud de l’Europe voulaient mettre en place un plafonnement des prix d’importation du gaz et des mécanismes d’importation communs des différents États européens pour éviter que les prix de l’énergie explosent encore plus pendant l’hiver. L’Allemagne a bloqué pendant des semaines ces mesures d’urgence par crainte qu’elles aient pour conséquence de réduire l’offre vis-à-vis de l’Union Européenne. De plus, l’Allemagne a voté bouclier énergétique de 200 milliards d’euros sans consulter partenaires européens.

Ce sont tout autant de décisions, par lesquelles Olaf Scholz a décidé de faire cavalier seul, qui ont suscité l’irritation de plusieurs des partenaires européens de l’Allemagne. Dans ce contexte, le discours de Scholz visait également à rassurer ses partenaires en proposant une orientation tournée vers la « cohésion » et la multiplication des accords commerciaux vers l’extérieur. Mais pour le Frankfurter Allgemeine Zeitung, cet objectif n’est pas rempli : « en tenant un discours vibrant orienté vers l’avenir, Scholz aurait pu faire oublier l’irritation que ses hésitations initiales vis-à-vis de [l’envoi d’armes en] Ukraine et que le cirque à propos de l’interdiction des voitures thermiques au niveau européen avaient provoqués [...]. S’agit-il vraiment de la meilleure recette pour l’avenir de l’Europe ? On peut à bon droit en douter. »

Ce qui est clair, c’est que ce discours est une démonstration concrète des contradictions au sein de l’Union Européenne et plus généralement du camp occidental. Si la guerre en Ukraine a soudé les occidentaux sous l’hégémonie américaine, notamment contre la Russie (et ce malgré les contradictions exposées plus haut) la politique de l’Union Européenne vis-à-vis de la Chine fait l’objet de luttes stratégiques claires. Alors que la position allemande aura plus facilement l’effet de ridiculiser la proposition française d’autonomie stratégique (largement décriée par l’ensemble des alliés français, et faisant l’effet d’un projet assez ridicule pour une puissance de second rang comme la France), elle pourrait aussi incarner les potentielles contradictions d’intérêts stratégiques entre l’Allemagne et les États-Unis.

Comme le rappelait Juan Chingo dans nos colonnes : « il est clair que la Chine est la question la plus importante et la plus difficile dans la relation transatlantique. Les États-Unis, principal allié militaire de l’Allemagne et – toujours – le principal foyer de l’industrie allemande à l’étranger, intensifient massivement leur lutte pour le pouvoir contre la Chine et exigent une loyauté inconditionnelle de leurs alliés. Par exemple, l’administration Biden vient d’imposer un embargo généralisé sur les semi-conducteurs à la Chine, afin de la priver des branches les plus avancées de son industrie high-tech et de l’affaiblir profondément (intelligence artificielle (IA), supercalculateurs, puces à haute performance). Mais les conséquences de ces politiques de part et d’autre de l’Atlantique sont très différentes. Pour les États-Unis, le désengagement de la Chine pose des problèmes de chaîne d’approvisionnement, mais va de pair avec la volonté protectionniste fondamentale de corriger un important déficit commercial. Pour l’Allemagne, en revanche, la Chine est un marché vital pour de nombreux exportateurs industriels allemands. »


Facebook Twitter
Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Palestine : 49 étudiants de Yale interpellés, la colère s'étend à de nombreuses facs américaines

Palestine : 49 étudiants de Yale interpellés, la colère s’étend à de nombreuses facs américaines

Criminalisation des militants pour la Palestine : l'autre face du soutien au génocide d'Israël

Criminalisation des militants pour la Palestine : l’autre face du soutien au génocide d’Israël

États-Unis. L'université de Columbia menace d'envoyer l'armée pour réprimer les étudiants pro-Palestine

États-Unis. L’université de Columbia menace d’envoyer l’armée pour réprimer les étudiants pro-Palestine

Mumia Abu Jamal, plus vieux prisonnier politique du monde, fête ses 70 ans dans les prisons américaines

Mumia Abu Jamal, plus vieux prisonnier politique du monde, fête ses 70 ans dans les prisons américaines

Du Vietnam à la Palestine ? En 1968, l'occupation de Columbia enflammait les campus américains

Du Vietnam à la Palestine ? En 1968, l’occupation de Columbia enflammait les campus américains

Surenchère xénophobe : La déportation des migrants vers le Rwanda adoptée au Royaume-Uni

Surenchère xénophobe : La déportation des migrants vers le Rwanda adoptée au Royaume-Uni

Argentine : 1 million de personnes dans les rues pour défendre l'université publique contre Milei

Argentine : 1 million de personnes dans les rues pour défendre l’université publique contre Milei