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Campagne contre les féminicides

Argentine. Des millions pour un seul cri : #Ni Una Menos !

Andrea d'Atri, membre fondatrice de l'organisation de femmes Pan y Rosas Depuis plusieurs semaines, une immense campagne a été lancée en Argentine contre les féminicides, suite à la mort d'une adolescente, Chiara Paez, jeune fille enceinte de 14 ans dont le corps à été retrouvé à l'entrée de la maison de son copain. Le 3 juin, de nombreuses organisations appellent à manifester dans tout le pays. Nous traduisons ici un article publié sur La Izquierda Diario, qui revient sur le succès de cette campagne, et ce qu'elle ouvre comme perpective pour la lutte contre les violences faites aux femmes en Argentine.

3 juin 2015

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« Pas une de moins » : le slogan s’est rapidement propagé, passant des réseaux sociaux aux journaux, puis à la télévision. Il s’est étendu aux écoles, aux universités, aux hopitaux, aux ateliers textiles, aux imprimeries, aux usines de l’industrie alimentaire et automobile. Mais aussi au regroupement lutte de classe « Bordo » du syndicat de l’industrie alimentaire , aux travailleuses de WorldColor qui affrontent les licenciements, à la Commission des Femmes de Madygraf sous contrôle ouvrier et aux « indomptables » de Lear. Des photos sont arrivées de partout, d’infirmières et d’ouvriers, d’institutrices et d’éboueurs, de couturières et de mécaniciens, des travailleuses aéronautiques et d’employés du péage des autoroutes. Tous ont décidé de répondre à l’appel, jeunes et vieux, adolescentes et retraitées, certains s’organisent même pour remplir des bus pour rejoindre la manifestation, et former une gigantesque vague jusqu’à a place du congrès national ainsi que dans plus de 70 villes du pays.

Un bruit sourd qui se transforme en cri de colère

Pendant des années, les organisations de femmes ont dénoncé les violences faites aux femmes. La Casa del Encuentro (« La maison de la rencontre »), une organisation non gouvernementale, a informé, année après année, les chiffres affolants de féminicides, qu’aucun organisme étatique ne recense malgré leur nombre : une femme assassinée toutes les 30 heures. Les médias ont eux-mêmes commencé à montrer ces denières années que les violences faites aux femmes ne peuvent pas être considérées comme de simples « crimes passionnels ».

Et pourtant, les féminicides n’ont cessé de croître de façon alarmante, jusqu’à se transformer en un bruit sourd, comme quelque chose que l’on n’entend plus tant il se répète. Mais aujourd’hui c’est l’indigestion. Et des millions se sont mis debout pour crier : Basta !

Pour les militantes féministes, celles qui luttent au quotidien pour nos droits, il n’y a rien de nouveau à descendre dans les rues contre les violences faites aux femmes.

Ce qui est nouveau cependant, ce sont toutes ces travailleuses qui souffrent au quotidien de la violences des contremaîtres et des chefs et qui ont senti que c’était le moment pour relever la tête et dire non ; ce sont ces ouvriers qui d’habitude lors des jours de payes « blaguent » sur le fait « d’aller aux putes » et qui aujourd’hui discutent dans les vestiaires de la violence que constituent les réseaux de traite ; ce sont les travailleuses domestiques qui commencent à remettre en cause le fait de ne pas être inscrites sur les registres de travail et de la précarité que cela leur impose ; ce sont les travailleurs qui d’habitude ne font que regarder la télé dans la cantine de l’entreprise et qui aujourd’hui affirment que lutter contre les violences faites aux femmes, c’est aussi « un truc de mecs ».

Ce qui est nouveau aussi, ce sont les plus jeunes qui expliquent aux plus vieux que les épouses sont des camarades, et que lorsque qu’une femme avance et gagne des droits, c’est mieux pour tout le monde, car cela ne veut pas dire que les hommes reculent [1]. Ce qui est nouveau, ce sont les collégiennes qui demandent à pouvoir s’habiller comme elles le veulent, et leurs camarades de classe qui demandent aux autorités l’égalité des droits entre tous et toutes. Ce qui est nouveau, c’est que de plus en plus de gens commencent à penser que si tant de jeunes femmes pauvres meurent seulement parce que l’avortement est illégal, alors ça aussi, c’est une violence faite aux femmes.

Hypocrisie des photos et féminisme de façade

Le succès de cette campagne a poussé à ce que même certains ennemis des droits des femmes répondent à l’appel « Ni una menos » : des politiques et des hauts-fonctionnaires, y compris des membres des forces répressives et des patrons, c’est-à-dire ceux qui sont pourtant responsables du fait que tant de femmes meurent à la suite d’avortements clandestins, qui laissent vivre en toute impunité les réseaux de traite, qui décrivent les femmes comme des objets dans leurs médias, ou encore qui les condamnent aux pires conditions de travail et de précarité.

En réalité ce sont eux, avec les gouvernements nationaux et provinciaux, la Justice et l’Eglise, qui portent la responsablité, à travers l’Etat capitaliste et patriarcal, de légitimer, de reproduire et de justifier les violences faites aux femmes. La manifestation du 3 juin doit porter aussi ce message, contre leur hypocrisie.

Bien plus que #NiUnaMenos

Ce slogan, qui a émergé du plus profond de la classe des travailleurs et des classes populaires, qui a traversé les villes et s’est étendu à tout le pays, est une revendication qu’aucun de ces personnages politiques et institutionnels ne peut accomplir.

C’est un slogan qui parle d’une douleur, d’une colère, d’un dégoût que l’on ne peut plus supporter. De quelque chose que ni les patrons, ni les bureaucrates syndicaux, ni les politiques des partis traditionnels, ni personne ne peut contenir. Ce n’est pas une détonation, ni une explosion. C’est quelque chose de silencieux et de contenu qui aujourd’hui s’exprime à travers ce slogan « Ni una menos », mais qui veut dire bien plus que la revendication contre les féminicides. C’est une force des travailleuses et travailleurs, de femmes qui luttent pour leur droits et d’une jeunesse qui n’est destinée qu’à la précarité, perdant la santé et la vie dans les 3x8, les journées épuisantes, les heures sup’ qui n’en finissent pas, et sans droit aucun sinon celui d’un salaire de misère.


[1On fait référence ici à un slogan féministe célèbre en Amérique latine : « Si una mujer avanza nigùn hombre retrocede » (Quand une femme avance, aucun homme ne recule).



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