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Que sea ley !

Argentine. L’avortement partiellement légalisé... pour tenter de faire oublier les mesures d’austérité ?

Après des années de luttes féministes en Argentine, le gouvernement propose un projet de loi légalisant l'avortement. Mais le projet, loin de répondre aux demandes de la marée verte, ne dépénalise pas l'avortement après 14 semaines et sert principalement à faire passer d'autres attaques austéritaires.

Typhaine Cendrars

25 novembre 2020

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Cela fait plusieurs années maintenant que l’Argentine est traversée par de larges mouvements féministes qui dénoncent les féminicides et les violences faites aux femmes et exigent que l’avortement devienne légal. Le front de celles qui luttent pour « un avortement légal, sûr, et gratuit » se retrouve dans ce qui s’appelle la « Campagne nationale pour le droit à l’avortement ». Celle-ci a proposé à plusieurs reprises un projet de loi au congrès, qui s’est vu systématiquement rejeté.
Ce mardi 17 novembre pourtant c’est le gouvernement argentin qui portait au congrès son propre projet de loi sur l’avortement. Bien plus restrictif que celui proposé par la « Campagne », il arrive alors que le gouvernement est entrain de voter le budget du FMI et de faire passer des politiques répressives et austéritaires..

Une instrumentalisation de la lutte des femmes pour faire passer des lois austéritaires

 
Alors que le calendrier politique était sur le point de s’achever -en Argentine la pause estivale se fait sur décembre et janvier- l’exécutif est en train de le prolonger par des sessions extraordinaires, et a présenté son projet de loi pour légaliser l’IVG. Ce qui a été écarté pendant de longs mois est aujourd’hui précipité à la dernière minute pour compenser ou cacher ce qui est en jeu en ce moment : le passage du budget austéritaire imposé par le FMI qui prévoit, entre autres, des coupes dans les budgets pour les retraites ainsi que dans le revenu familial d’urgence, revenu avec lequel subsistent de nombreuses mères isolées.

La logique est la même que sous l’ancienne présidence de droite libérale de Mauricio Macri qui, après avoir attaqué les retraites en décembre 2017, avait tièdement permis le traitement du projet de loi que la « Campagne » avait déjà présenté pour la 7ème fois en mars 2018.

Ce qui est à l’œuvre dans les deux cas c’est une instrumentalisation de la lutte des femmes pour le droit à l’avortement pour apparaître progressiste alors même que leurs politiques sont responsables de la précarisation des femmes, premières victimes des mesures austéritaires.

C’est ce qu’on voit avec le gouvernement actuel, élu en 2019 par une base progressiste mais qui a été récemment à la tête d’une énorme opération de répression policière à l’encontre de 1400 familles sans-abri qui occupaient un terrain dans la province de Buenos Aires. Parmi les victimes, de nombreuses femmes seules avec leurs enfants, qui font déjà les frais de la gestion catastrophique de la crise sanitaire et économique.
C’est ce même gouvernement qui est actuellement en train de voter le budget imposé par le FMI. Un budget qui va fortement réduire les aides sociales dans un pays où la crise économique a déjà des conséquences terribles sur la population comme nous le montrent tristement les centaines de familles de Guernica majoritairement mises à la rue suite à des licenciements.

Légaliser l’avortement … mais pas trop

Le texte proposé par le gouvernement représente une avancée notable pour les femmes. Pour autant il reste très léger et ne prend pas en compte un certain nombre de points du projet de loi proposé par la « campagne  » et qui avait été voté par l’assemblée puis rejeté par le sénat en 2018. Ces points qui ne figurent pas sont pourtant des points centraux du projet de loi.
 
Après les 14 semaines autorisées, avorter sera passible de prison

Le texte proposé par le gouvernement établit que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) sera autorisée jusqu’à la 14ème semaines à la seule demande des « femmes et des personnes ayant d’autres identités de genre et ayant la capacité d’être en gestation ». Mettant fin à la pénalisation totale de l’avortement, qui jusque là était suspendu à la décision d’un juge et autorisé uniquement en cas de viol ou si la grossesse présentait un danger pour la santé de la mère. 

Mais cette dépénalisation ne sera valable que 14 semaines. Après celle-ci, les motifs déjà établis dans l’article 86 du code pénal argentin, depuis 1921, sont maintenus pour garantir l’accès à ce qui est actuellement connu sous le nom d’interruption légale de grossesse. Au-delà de cette période, avorter sera passible de prison hormis en cas de viol, de risque pour la vie de la mère ou de malformation fœtale.
Le projet de loi reconnaît le droit des mineurs de moins de 13 ans à demander l’IVG avec un consentement éclairé et « l’assistance d’au moins un parent ou représentant légal », et admet qu’entre 13 et 16 ans, il est présumé que la personne a « l’aptitude et la maturité » pour décider de l’interruption, comme le soutient également le projet de la « Campagne nationale » pour le droit à l’avortement. Ainsi le gouvernement qui se veut progressiste, propose d’établir une peine allant de 3 mois à 1 an de prison pour les femmes qui se feraient avorter passée la 14ème semaines de leur grossesse, les exposant à un casier judiciaire et donc à la réduction d’un certain nombre de droits. Un article répressif qui maintient la criminalisation et la pénalisation de l’avortement.

La clause de conscience promet de limiter l’avortement

Le second point important qui est une limite considérable au droit à l’avortement est la mise en place d’une clause de conscience. Individuellement les personnels pratiquant l’IVG pourront refuser de le pratiquer en se référant à des préceptes moraux ou religieux.

Or comme d’autres expériences l’ont déjà montré dans de nombreux endroits notamment en Italie, en Espagne ou en France, cette clause de conscience limite voire empêche l’accès à l’avortement. Un exemple criant est celui de l’Uruguay, où il existe des zones entières où les professionnels utilisent la clause de conscience pour ne pas pratiquer l’avortement, imposant aux personnes qui veulent avorter de parcourir de longues distances vers des régions et des hôpitaux qui garantissent ce droit ou de payer des sommes faramineuse pour le faire faire clandestinement, en espérant ne pas mourir dans la tentative. Cette clause de conscience est dangereuse pour le droit l’avortement puisqu’elle n’établit pas la responsabilité de l’institution à garantir l’accès à l’IVG et expose encore les femmes qui n’auront pas les moyens à recourir à des avortements clandestins dangereux.

Un projet bien éloigné de celui proposé par la « Campagne »

Alors que le projet de la Campagne stipule que le droit à l’avortement doit être garanti « sans distinction de nationalité, d’origine, de condition de transit et/ou de statut de résidence/citoyenneté », le projet de loi que propose l’exécutif ne fait pas référence à cette question. De la même manière la question de l’éducation sexuelle ainsi que la question de l’information laïque que doit recevoir la personne qui demande l’accès à l’avortement, est également omise dans le texte de l’exécutif. Or comme le dénoncent les organisations féministes, le pouvoir de l’Eglise et des groupes anti-avortement ont une forte influence dans le domaine de l’Education et de l’accès à la santé. Le projet de loi laisse grand ouvert la porte à la « clause de conscience » mais également à la possibilité de refuser de donner des cours d’éducation sexuelle complets dans les écoles, ou de fournir des informations scientifiques sur le sujet.

En Argentine, les militantes de notre collectif féministe Pan y Rosas (du pain et des roses) et du Parti des Travailleurs Socialistes (parti frère du Courant Communiste Révolutionnaire qui anime Révolution Permanente) sont dans les rues depuis des années pour exiger que l’avortement soit légal. Après l’annonce du projet de loi par le gouvernement, elles ont manifesté devant le Congrès avec d’autres militantes de la « Campagne Nationale » pour exiger que le projet de loi ne serve pas à faire passer les budgets du FMI mais permette réellement à toutes les femmes d’avorter librement et gratuitement. Elles se battent pour que ce soit le projet porté depuis des années par la Campagne Nationale qui soit voté !

Depuis Du Pain et Des Roses nous apportons tout notre soutien aux femmes qui luttent aujourd’hui, comme depuis de nombreuses années pour le droit à l’avortement libre, sûr et gratuit !


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