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Bonapartisme

Article 40 : un nouveau levier anti-démocratique pour un nouveau passage en force sur les retraites

Alors que le vote le 8 juin de la proposition de loi voulant abroger la réforme des retraites se rapproche, la stratégie de la macronie se dessine. L’article 40 de la constitution est au cœur de celle-ci. Après le 49.3, le 47.1 ou encore le 44.3, qu’est-ce que cet article antidémocratique de la Vème République mobilisé par Macron ?

Seb Nanzhel

22 mai 2023

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Article 40 : un nouveau levier anti-démocratique pour un nouveau passage en force sur les retraites

Crédits photo : Wikimedia Commons

Les macronistes, à la pointe de l’innovation antidémocratique

Empressés de censurer la loi du groupe centriste LIOT visant à abroger la réforme des retraites, les députés macronistes ont failli créer un nouveau précédent dans l’histoire antidémocratique pourtant bien chargée de la Vème République. Mardi dernier, ils ont en effet invoqué l’article 40 de la constitution auprès de la présidente de l’Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet.

Une tentative d’enterrer la proposition de loi avant même son examen le 8 juin, en s’appuyant sur l’article qui dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Soucieuse d’adopter un tempo moins frénétique, la macroniste Yaël Braun-Pivet a dû leur rappeler que jamais depuis 1958 une proposition de loi n’avait été déclarée irrecevable à ce stade de son examen en vertu de cet article...

Mais le répit devrait être de courte durée, et l’article devrait ressortir le 8 juin au cours de la niche parlementaire du groupe LIOT, seul créneau pour l’examen du texte. En témoignent les déclarations d’Aurore Bergé de mardi dernier à l’issue d’une réunion des groupes parlementaires de la majorité présidentielle : « Chaque groupe s’est prononcé pour acter l’irrecevabilité et l’activation de l’article 40. Nos députés sont du côté du respect des institutions et de la Constitution ». S’il n’est pas encore sûr que les menaces d’utilisation de l’article seront mises à exécution, il sera dans tous les cas au cœur des débats le 8 juin, et le cas échéant au centre de la stratégie d’obstruction parlementaire que pourrait déployer la macronie.

A n’en pas douter, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet est tout aussi préoccupée que ses collègues macronistes par la nouvelle crise parlementaire qui l’attend le 8 juin. Mais elle est sans doute beaucoup plus lucide sur le caractère explosif des outils antidémocratiques que mobilise le régime pour faire passer en force ses mesures antisociales. Après l’utilisation du 49.3, du 47.1 ou encore du 44.3, le recours à cet article 40 visant à censurer des lois contre l’avis de la population est une opération risquée pour un gouvernement, qui fait toujours face à une colère importante. Mais qu’est-ce que cet article 40 ?

Un article visant à contrôler l’activité des députés

L’article 40 de la constitution dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Présenté autrement par d’anciens présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, « l’article 40 de la Constitution […] a ôté aux députés et sénateurs l’initiative de la dépense publique. Aucun amendement [ou proposition de loi] parlementaire qui aurait pour effet d’augmenter les dépenses publiques n’est recevable ».

L’article, qui peut être mobilisé à tout moment de l’examen d’un texte, permet donc au gouvernement ou aux députés de l’invalider totalement s’il est considéré que ce dernier entraîne des dépenses non compensées. C’est « un contrôle à tout moment de la procédure législative », pour reprendre un intertitre du Monde, qui permet un contrôle par le gouvernement de l’activité des députés. Dans le cadre de la proposition de loi LIOT, le gouvernement n’a qu’à arguer que le retour sur le système de retraites pré-réforme entraînerait des pertes dans les comptes de la Sécurité Sociale pour se débarrasser du texte.

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Un flou qui cache mal l’arbitraire gouvernemental

Dans les faits, cet article est utilisé avec une certaine « souplesse », ou plutôt un flou. Une source parlementaire indique ainsi au Huffington Post : « 90 % des PPL et des amendements subiraient le même sort [l’invalidation] si l’article était appliqué de façon bête et méchante ». Une proportion qui oscille dans la réalité plutôt aux alentours de 4 à 8% pour les amendements.

Pour se protéger d’une invalidation, les députés ont par ailleurs trouvé une ruse : invoquer un financement de leurs textes grâce à l’augmentation de la taxation sur le tabac. Une parade mobilisée par LIOT dans sa proposition de loi … mais également à de nombreuses reprises par la Macronie. La loi « pour bâtir la société du bien vieillir » ou encore la loi « visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique », respectivement cosignée et déposée par Aurore Bergé mobilisent par exemple cette magouille parlementaire. Ce qui ne n’empêche pas la cheffe de file des députés macronistes d’invoquer l’inconstitutionnalité concernant le texte de LIOT.

A l’Assemblée, si le déséquilibre invoqué est vérifié par « le président ou [par] le rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ou [par] un membre de son bureau désigné à cet effet » comme le précise Le Monde, le texte peut être rejeté sans autre forme de procès. Là aussi, l’application du texte laisse un flou sur l’autorité vérifiant le déséquilibre budgétaire. Un flou qui est au centre des projecteurs : le président de la commission des finances, l’insoumis Eric Coquerel soutient en effet la proposition de loi quand le rapporteur général du budget est le député macroniste Jean-René Cazeneuve.

En réalité, la « souplesse » d’utilisation de l’article cache mal l’arbitraire gouvernemental. Les us et coutumes de la routine parlementaires peuvent être brisés à tout moment par le gouvernement s’il veut se débarrasser d’un texte trop gênant. En témoigne le fait que selon l’usage de l’Assemblée, Eric Coquerel devrait être désigné responsable de juger de l’irrecevabilité budgétaire du texte. Or, un simple passage devant le Bureau National du Palais Bourbon, où la macronie et ses alliés sont majoritaires, devrait permettre d’assurer que la décision revienne au macroniste Jean-René Cazeneuve. Il en va de même pour la parade du tabac, qui marche pour les milliards macronistes mais pas pour ceux de LIOT.

Un article qui démontre une fois de plus le caractère profondément anti-démocratique de la Vème

En plus de permettre une censure de tout texte émanant des députés, cet outil confisque entre les mains du gouvernement et de la figure présidentielle le pouvoir budgétaire. En cette matière, les investissements records de Macron pour l’armée, pour durcir la répression et les multiples milliards de cadeaux au patronat sont symptomatiques des intérêts que servent la structure de la Vème République et son arsenal antidémocratique.

De plus, la macronie a pu passer sa réforme des retraites contre une écrasante partie de la population et court-circuiter l’Assemblée nationale à l’aide du 49.3. A l’inverse, une proposition de loi visant l’abrogation de cette réforme émanant de l’Assemblée, qui n’a que peu de chance d’être votée, peut être censurée unilatéralement par le gouvernement. Une asymétrie qui montre le rôle de chambre d’enregistrement de la volonté présidentielle que confère la Vème République à l’Assemblée nationale.

Cette avalanche de censures à coup d’articles divers a le mérite d’éclaircir une fois de plus les rouages de la Vème République profondément anti-démocratique. Un régime bonapartiste taillé pour les intérêts de la bourgeoisie, face auquel la stratégie de pression sur les institutions qui a été celle de l’intersyndicale durant tout le mouvement des retraites apparaît en décalage complet. Alors que celle-ci est poursuivie avec l’appel à une lointaine date visant à faire pression sur les députés pour l’adoption de la proposition de loi LIOT, le mouvement contre la réforme des retraites doit au contraire se doter d’une stratégie à la hauteur de l’affrontement en cours.

La crise actuelle a entraîné une remise en cause du régime et le mouvement ouvrier doit se doter d’un programme pour répondre à ces aspirations, en portant des revendications démocratiques radicales, qui visent l’abolition de la Vème et de ses institutions réactionnaires que sont notamment la Présidence de la République et le Sénat. Sans illusion sur la possibilité de réformer le régime par la voie institutionnelle, ce programme pourrait exiger la mise en place d’une chambre unique combinant les pouvoirs législatifs et exécutifs, dont les membres élus pour deux ans seraient révocables et payés à un salaire d’ouvrier. Des revendications qu’il faudrait défendre par les méthodes de la lutte des classes, et qui permettraient au mouvement de masse d’avancer dans la lutte pour une véritable démocratie, dont la condition réside dans le renversement, par les travailleurs et l’ensemble des exploités et opprimés, du système capitaliste.


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