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État complice du grand patronat

Assises de l’aéronautique. Faire confiance à l’État ou imposer une solution ouvrière à la crise sociale et climatique ?

Cet article entre en dialogue avec les débats ouverts notamment par la CGT et le collectif Pensons l’Aéronautique pour Demain sur la stratégie et les revendications politiques à porter pour faire face à la crise du secteur aéronautique, voici la position de Révolution Permanente/NPA

Violette Renée

28 avril 2021

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Selon la dernière étude de l’INSEE portant sur le secteur industriel de l’aéronautique et de l’espace dans le Grand Sud-Ouest (Occitanie et Nouvelle-Aquitaine), 8.800 emplois ont été supprimés en 2020 et cela sans compter l’énorme plan de licenciement déguisé que représentent les contrats non-renouvelés d’intérimaires et CDD. Plus précisément les heures ont diminuées de moitié en juillet dernier pour les missions intérimaires selon La Dépêche et de nombreuses entreprises hors Grand Sud-Ouest ont aussi subi de terribles « restructurations ». Sur l’ensemble du territoire environ 30.000 postes du secteur aéronautique sont encore « menacés ou ont déjà commencé à disparaître » selon La Dêpeche. Et l’hécatombe ne semble pas être terminée car la baisse de profitabilité du secteur ne fait que commencer, avec un retour à la normale prévu, selon les experts, après 2023, qui pourrait permettre de justifier de nouveaux plans de licenciements.

Assises de l’aéronautique : reprendre la voie du dialogue social ?

Comme le souligne la CGT, cette case sociale s’est faite non seulement avec la complaisance de l’État, mais avec son concours actif. La CGT Airbus, CGT Dassault Aviation, CGT Safran et CGT Thalès ont sorti un communiqué ce mois-ci, qui relève à juste titre les manigances financières entre l’État et les entreprises du secteur aéronautique « quand l’État met sur la table 1,5 milliard d’euros pour l’avion à hydrogène, les grands groupes, principaux bénéficiaires de cette manne, réduisent leurs investissements autofinancés dans la Recherche et le Développement (R&D)  ». Un récent communiqué CGT Airbus va dans le même sens« l’argent public utilisé pour compenser la baisse de R&D d’Airbus ! […] À cela il faut ajouter que l’Activité Partielle de Longue Durée (APLD) financée par l’État est utilisée par Airbus pour réorganiser les conditions de travail, annualiser le temps de travail et imposer encore plus de flexibilité aux salariés ». Et, poursuivent-ils « nous constatons que toutes ces aides viennent en réalité subventionner les projets de restructuration d’Airbus, pour augmenter la profitabilité de l’entreprise et donc les gains des actionnaires. Les salariés financent par leur impôt sur le revenu et leurs impôts locaux, leur propre licenciement, ça suffit ! »

Pour autant, la solution prônée dans le communiqué des CGT des donneurs d’ordres est que « les pouvoirs publics doivent, en s’appuyant sur les acteurs de la recherche, de l’industrie, des forces syndicales être un accélérateur d’une transformation nécessaire pour répondre aux besoins des populations en intégrant la dimension environnementale ». Mais aussi, le levier pour atteindre ces « alternatives » de la main des « décideurs économiques et politiques » comme on peut le lire dans le communiqué de la CGT ou celui de la CGT Airbus, serait la conditionnalité des aides publiques : « la CGT revendique que l’utilisation de l’argent public soit soumise à des conditions de maintien des emplois, suivies des contrôles sur son utilisation qui doit permettre de diversifier l’activité sur la filière, en particulier vers la transition énergétique qui est un gisement d’emplois, notamment pour les compétences et les savoir-faire de l’aéronautique ».

C’est également la position de la nouvelle liste NPA-LFI pour les régionales en Occitanie, où "Occitanie populaire" revendique sur son site « sauver les emplois d’aujourd’hui en conditionnant les aides publiques dispensées par la région aux entreprises et aux associations, et préparer ceux de demain par la formation professionnelle et la diversification des activités ».

Dans le même sens, le collectif Pensons l’Aéronautique pour Demain, composé de la CGT coordination de l’aéronautique, d’un collectif de chercheurs toulousains (Atecopol), de collectifs de riverains et d’étudiants, entre autres, souhaite convaincre les décideurs économiques et politiques de la nécessité d’une transformation du secteur pour affronter la transition écologique. Plus particulièrement, le collectif souhaite organiser des « assises de l’Aéronautique » dans l’objectif d’interpeller les décideurs. Maxime Leonard, syndicaliste à la CGT et membre du collectif Pensons l’Aéronautique pour Demain expliquait sur France Bleu cette démarche : « l’idée c’est d’aboutir cette proposition autour de l’été avec des Assises de l’Aéronautique, nous inviterions des décideurs économiques et politiques et nous leur proposerions ces alternatives ».

Le dernier rapport The Shift Project va également dans le même sens. Après un constat scientifique implacable sur la nécessaire décroissance du trafic aérien, les solutions politiques proposées par le think tank et Supaéro Décarbos pour y répondre sont tournées vers des attentes auprès des dirigeants de l’industrie et des dirigeants politiques. Pour les propositions qui sont du ressort des dirigeants du secteur et qui visent les « propositions marketing » il s’agirait de « densifier les cabines » ou « repenser le système de “miles” » ; les propositions qui sont du ressort des dirigeants politiques et de la « législation » s’attaquent à la suppression de « l’offre aérienne lorsqu’une alternative ferroviaire de moins de 4h30 existe » ou à la limitation du « trafic de l’aviation d’affaire ». Plus globalement il s’agit d’« informer et sensibiliser » et d’« inciter les voyageurs » en engageant une « politique de sobriété » en encourageant un « tourisme local » par exemple, ou en réglementant l’accès au voyage en avion par des quotas ou une taxation progressive.

Aides publiques conditionnés. Faire confiance au patronat et à l’État pour résoudre la crise ?

Tout d’abord, le constat est clair. Tous les acteurs de la réflexion sur l’impact de l’industrie aéronautique sur le climat sont unanimes : il faut réduire les émissions de gaz à effets de serre du secteur bien au-delà de ce qui est simplement envisagé dans le meilleur des scénarios étudiés. Sauf que le patronat du secteur, même s’il prône son revirement stratégique vers une transition énergétique sobre en carbone, n’aura jamais d’intérêt économique à la baisse du trafic aérien. Le dernier colloque de l’Ambassade de l’Air et de l’Espace qui réunit l’ensemble des grands dirigeants du secteur était consacré à la transition énergétique du secteur. L’enjeu climatique est donc bien conscientisé. À coup de « communication verte », la route vers de nouvelles chaînes productives « plus sobres » et surtout très rentables est en train d’être prise vers l’avion à hydrogène, qui sera loin d’être « vert » dans un monde capitaliste. La baisse du trafic aérien, le maintien de l’emploi et la reconversion du secteur ne se feront donc pas au gré du patronat. Alors, comment y parvenir ?

Par la conditionnalité des aides publiques ? La première limite de cette revendication consiste en ce que, d’autant plus en temps de crise sociale, pas un centime ne devrait être à destination d’un patronat qui a déjà accumulé des milliards les années passées, et ceci qu’il licencie ou non. Les chiffres des fonds publics immenses et injustifiables servaient déjà aux intérêts privés d’une poignée de patrons avant la crise. Comme l’explique L’Humanité « les aides de l’État, les exonérations de cotisations sociales ainsi que les aides régionales et […] l’aide publique aux entreprises privées se monte chaque année à environ 200 milliards d’euros ». Et cela alors que comme l’explique aussi le journal, le budget de l’État se chiffrait par exemple en 2018 à 241,5 milliards d’euros dont 15 millions seulement étaient programmés pour le Travail contre 16,68 millions en 2017 et 12 millions programmés pour 2019...

Le deuxième problème de cette revendication est qu’en fin de compte elle dépose la clé de la résolution de la crise dans les mains des mêmes qui aujourd’hui organisent la casse sociale et la destruction de l’environnement. Une aide conditionnée aujourd’hui pourrait-elle vraiment empêcher le patronat de licencier ou de baisser les salaires demain ? Ou encore de continuer à polluer ? A titre d’exemple, les irrégularités et puis l’annulation par le Tribunal administratif de Paris du PSE du sous-traitant aéronautique AAA, n’ont pas empêché le patronat de la boîte de licencier 292 salariés. En quoi les patrons seraient plus dignes de confiance après une aide conditionnée ?

Si conditionner les aides publiques équivaut en dernière instance à déposer la confiance en ceux qui aujourd’hui licencient en masse, le faire main dans la main avec « les décideurs politiques », c’est renoncer définitivement à remettre en cause les intérêts du patronat. L’État n’est pas un arbitre neutre, il collabore activement avec le grand patronat pour faciliter les licenciements grâce à des réformes successives allégeant le Code du travail et la protection des salariés. Mais aussi par la mise en place de dispositifs très utilisés dans le secteur tels que l’Accord de Performance Collective. De nombreux exemples comme celui des « Continental" ou plus récemment la fermeture de Bridgestone où l’État à voulu se poser en « sauveur ». En réalité l’État participe à la casse sociale en essayant de freiner la combativité des salariés avec de fausses promesses contre des licenciements, et en ramenant les conflits dans les cadres du « dialogue social ».

En ce sens on voit bien que l’État et le gouvernement sont soumis aux mêmes calculs, boussoles et contraintes que le grand patronat. Sur les questions écologiques, le gouvernement laisse aussi le champ libre au patronat, comme nous avons pu le voir avec la convention citoyenne pour le climat où toutes les propositions ambitieuses ont été refusées. L’adoption récente de la suppression des vols internes qui connaissent une alternative par le ferroviaire ou la route en moins de deux heures trente seront supprimées. Cela au mépris des organisations écologistes comme Greenpeace ainsi que le rapport du Shift Project / Supaéro Decarbos qui demandaient la suppression de toutes les lignes accessibles en moins de 4h30, ce qui aurait eu un tout autre impact sur l’environnement… mais surtout sur les profits du secteur. Car en réalité cette nouvelle interdiction ne concerne que 5 lignes ! C’est un compromis rentable pour le secteur aérien qui connaît une demande grandissante dans les pays émergents tout en verdissant son image en France et plus largement en Europe pour mieux être accepté. Un article de The conversation sur les données d’un rapport de la Banque mondiale de 2019, montre la croissance inégale selon les régions du marché mondial de l’avion commercial avec une « croissance annuelle de l’ordre de 8 à 10 % dans les pays asiatiques ou du Moyen-Orient, mais de « seulement » 3 à 4 % en Europe ou aux États-Unis. ». Enfin, la compensation carbone des vols aériens nationaux, rendue obligatoire par la même Loi Climat, permet en réalité au secteur d’abaisser ses efforts de décarbonation, comme le dénonce Reporterre. Ces exemples sont particulièrement frappants sur l’impossibilité de l’État à prendre les mesures nécessaires qui brimeraient la « croissance » et la compétitivité de ses entreprises.

Et ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le patronat du secteur se permet de demander davantage d’aides des États, comme l’exprime clairement Alexandre de Juniac, président-directeur général de l’Association internationale du transport aérien (IATA), interviewé lors du dernier colloque de l’Académie de l’Air et de l’Espace « au total en 2020 l’industrie aura perdu 120 milliards de dollars et a vu son chiffre d’affaire diminuer d’à peu près 60%. Nous avons pu survivre grâce à l’aide massive des États qui ont pu injecter 130 à 140 milliards de dollars et à qui nous demandons encore d’injecter 70 à 90 milliards de dollars pour les mois qui nous séparent du mois de juillet 2021, où nous espérons une reprise ». Des milliards qui, rappelons-le, ont été mis sur la table sans aucune condition de résultats sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre malgré tous les efforts des organisations écologistes pour tenter de faire pression sur la décision des parlementaires. De même que les États européens, dans lesquels Airbus est implanté, ont besoin d’un secteur aéronautique fort économiquement pour concurrencer le marché international, les donneurs d’ordres ont eux aussi besoin de conserver leur place dans la concurrence ainsi que la profitabilité de leur industrie, grâce aux aides de l’État. Finalement, leurs intérêts convergent.

Ces attentes auprès de l’État ou du patronat sont donc illusoires, comme l’explique le syndicaliste CGT Gaëtan Gracia dans l’entreprise sous-traitante les Ateliers de la Haute-Garonne : «  la transition écologique sera le résultat de la lutte des ouvriers et non pas par une gentille demande auprès des décideurs politiques et économiques. Nous on pense que ces propositions et idées là, nous devons surtout s’en saisir nous-mêmes et organiser le rapport de force le plus puissant possible pour les imposer aux patrons qui ne lâcheront rien ! ».

Pour sauver les emplois et reconvertir l’industrie il faut lutter pour l’imposition du contrôle ouvrier sur la production !

Comme le conclut la synthèse des ateliers du collectif Pensons l’Aéronautique pour Demain « ce ne sont pas les compétences ou les idées qui manquent dans notre industrie ; de nombreuses compétences sont transposables à d’autres domaines et notamment pour des projets répondant à des besoins sociétaux. Néanmoins, nombre de salariés restent attachés à l’aéronautique et ils sont les fers de lance de la transition du secteur. Cette transition sera nécessairement collective et volontaire et devra être accompagnée pour que les salariés en soient acteurs et non victimes ». La diminution du transport aérien sans massacre social, on ne pourra l’imposer que par la lutte qui permettra la mise en place d’un contrôle ouvrier sur la production. Ce n’est que dans ces conditions que l’on pourra mettre en œuvre, par la valorisation des compétences et savoirs-faire de chaque travailleur du secteur, une reconversion de la production et une planification globale des transports tournées vers les besoins sociaux et écologiques.

La gestion de la crise sanitaire a largement montré l’incompatibilité qui existe entre les intérêts de la grande majorité de la société et les intérêts de la minorité de capitalistes qui, avec le soutien de l’État, organisent l’économie dans le seul but de s’enrichir. Sans une remise en cause des intérêts du grand patronat et de l’État – qui priorisent toujours leurs profits à l’écologie ou l’emploi – aucune reconversion ne peut être sérieusement pensée comme réponse aux problèmes sociaux et écologiques. La très hypothétique Alliance industrielle pour le Climat qui regrouperait donneurs d’ordres et sous-traitants dans une même volonté de coordonner la reconversion de la filière proposée dans le rapport du Shift Project ne remet pas en cause cela.

Pour une reconversion de la production qui ne soit pas du greenwashing et des effets d’annonce, mais qui réponde réellement aux besoins sociaux et écologiques, on ne peut pas laisser les commandes de l’économie à une poignée de capitalistes, il faut aller vers la réquisition sans rachat et sous contrôle ouvrier des secteurs stratégiques de l’économie comme celui des transports et de l’énergie. Car on ne peut délier la réflexion sur la transition écologique dans les transports sans penser celle de la transition énergétique. Ceci dans l’objectif d’aller vers une planification démocratique permettant d’organiser la transition énergétique et d’établir un plan commun de transports où le ferroviaire et les petites lignes puissent prendre une plus grande place et où les compétences des salariés mais aussi la technologie et les installations de l’industrie aéronautique soient mises au service de la transition écologique.

Lors du début de la crise sanitaire, les salariés de l’aéronautique avaient déjà montré et défendu la possibilité de reconvertir une partie de l’industrie pour fabriquer des respirateurs artificiels ou des masques au lieu de fabriquer des avions qui ne volent pas. La réponse du patronat face à la crise a été l’inverse : construire des avions qui restent dans des hangars, détruire des emplois et des compétences, sous utiliser la technologie, les installations et laisser sur le carreau les milliers de jeunes ayant fini leur formation.

C’est pourquoi, un objectif pareil, qui s’attaque directement à la propriété des capitalistes pour la mettre sous contrôle démocratique des travailleurs, on ne peut pas l’attendre ni du propre patronat ni du gouvernement. Comme face à la casse sociale, c’est la lutte la seule réponse viable au défi écologique ; lutte dont le point de départ est la réponse aux attaques sur les salaires et les emplois, en défendant 0 suppression d’emploi et 0 baisse de salaire. Comme ce fut le cas lors de la grève exemplaire des raffineurs de Grandpuits qui se sont battus pour zéro suppression d’emploi et pour un vrai plan de reconversion écologique du site, sous contrôle des travailleurs et en lien avec les organisations écologistes.


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