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Turquie

Attentat à Istanbul. Vers une probable intensification de la répression envers les Kurdes

L’explosion de ce dimanche à Istanbul pourrait constituer pour Erdogan un moyen d’intensifier sa rhétorique nationaliste et la répression des opposants politiques en prévision des élections de 2023 ainsi qu’un outil pour justifier l’intervention militaire dans le nord de la Syrie dont il rêve depuis plusieurs mois.

Irène Karalis

17 novembre 2022

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Ce dimanche, une explosion a eu lieu dans la rue commerçante d’Istiklal à Istanbul, faisant six morts et 81 blessés. Le gouvernement a immédiatement accusé le PKK, en même temps qu’il aurait trouvé la coupable présumée et que cette dernière aurait affirmé avoir agi sur ordre de l’organisation de libération kurde. Le PKK nie être le responsable de l’attentat ; des déclarations crédibles dans la mesure où sa ligne politique depuis plus de dix ans consiste à condamner les actions militaires visant directement les civils et où l’organisation n’aurait aucun intérêt à donner de nouvelles justifications au gouvernement pour intensifier sa rhétorique nationaliste et renforcer sa politique de répression.

Intensifier la rhétorique nationaliste et intensifier la répression contre les opposants politiques

Alors qu’aucune organisation n’a revendiqué l’attentat, il ne serait donc pas impossible que ce dernier ait été l’œuvre du gouvernement lui-même, à l’heure où les élections présidentielles et parlementaires de juin 2023 approchent, et ce dans un contexte de crise économique et politique important pour le régime d’Erdogan. L’inflation était ainsi à plus de 85% en octobre selon les chiffres officiels et plus de 100% selon des sources indépendantes. Il n’est pas exclu non plus que l’attentat ait pu être l’œuvre de l’État islamique, qui a déjà perpétré des attentats similaires.

Dans tous les cas, ce qui paraît sûr, c’est que le régime d’Erdogan ne va pas se priver de se servir de l’attentat pour intensifier sa rhétorique nationaliste et la répression envers les opposants politiques. Le gouvernement a déjà récemment passé une loi contre la « désinformation » lui permettant d’agrandir son contrôle sur les réseaux sociaux et les médias. L’attentat de ce dimanche va rendre d’autant plus difficile pour les partis d’opposition, et en particulier le parti kurde (HDP) qui est le principal parti d’opposition à celui d’Erdogan, de gagner une majorité pour concurrencer l’AKP et le parti d’extrême-droite MHP.

Justifier la répression des Kurdes et l’intervention militaire en Syrie

Ainsi, cet attentat pourrait servir à Erdogan à asseoir davantage son autorité et sa légitimité, en jouant sur les thématiques sécuritaires et la peur de la population de nouveaux attentats. Cela devrait se concrétiser par une intensification de la répression sur le sol intérieur turc mais également par l’accélération de l’intervention militaire prévue dans le nord de la Syrie depuis plusieurs mois. En effet, pour Erdogan, il y a un enjeu à valoriser sa politique étrangère dans un contexte de crise interne intense : les succès dans son rôle dans les pourparlers dans la guerre en Ukraine, avec par exemple les négociations autour du blé ukrainien, ainsi que son opposition à l’intégration de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, doivent lui permettre de se repositionner sur la scène mondiale mais également de renforcer son image auprès de la population.

Dans ce sens, la guerre contre le peuple kurde est essentielle pour assurer le contrôle de la Turquie sur ses frontières. Depuis 40 ans, le régime turc mène une répression féroce contre le peuple kurde et le PKK, notamment dans le nord de l’Irak et dans le nord de la Syrie, l’objectif étant d’élargir la « zone de sécurité » dégagée par l’armée turque durant plusieurs opérations et d’y installer des réfugiés syriens accueillis par la Turquie en menant une vaste opération de modification ethnique.

Aujourd’hui, le gouvernement pourrait chercher à se servir de l’attentat pour aligner les puissances occidentales derrière lui sur la question kurde et reprendre les opérations contre les forces kurdes. En mai dernier, Erdogan a ainsi annoncé une nouvelle opération militaire dans le nord de la Syrie qu’à son grand malheur, les États-Unis et la Russie ont refusé d’adouber. Aujourd’hui, Le Monde explique qu’après l’attentat, de hauts responsables accentuent la pression sur le régime pour accélérer et mettre en place l’intervention. De fait, le gouvernement s’y prépare dans les mots, et le ministre de l’Intérieur Süleyman Soylu a fait les déclarations suivantes après l’attentat : « Nous savons quel message ceux qui ont mené cette action veulent nous faire passer. Nous avons reçu ce message. Ne vous inquiétez pas, nous leur rendrons la monnaie de leur pièce, et lourdement. »

Or, si en 2019, Trump avait donné son feu vert à ce qu’Erdogan lance une opération militaire contre les forces kurdes, ce soutien n’était pas sans contradictions et les puissances impérialistes pourraient ne pas soutenir la Turquie dans cette opération, comme elles ont refusé de le faire jusqu’à maintenant. En effet, les États-Unis sont alliés aux forces kurdes de Syrie depuis huit ans pour combattre l’État islamique et ces dernières constituent une force essentielle pour vaincre Daech dont elles détiennent plusieurs milliers d’ex-combattants. Les États-Unis n’auraient ainsi pas intérêt à ce que les actions de la Turquie aient pour conséquence un déséquilibre des forces qui permettrait le resurgissement de Daech ou d’autres forces hostiles aux intérêts de l’impérialisme nord-américain. Et si la Turquie tente de jouer les gros bras et que Soly a affirmé qu’il n’acceptait pas « les vœux de condoléances de l’ambassadeur américain », il va sans dire qu’un soutien des États-Unis à cette opération militaire changerait la donne.

Néanmoins, le rôle que joue la Turquie dans la stagnation du processus d’intégration de la Suède et la Finlande à l’OTAN pourrait laisser les mains libres à Erdogan pour mener cette opération militaire. Dans ce contexte, l’attentat de dimanche est une justification supplémentaire pour intervenir militairement. Quoiqu’il en soit, face à la possibilité d’une nouvelle intervention militaire turque en Syrie, il faut exprimer tout notre soutien internationaliste au peuple kurde, exiger le fait que le PKK soit retiré de la liste des organisations terroristes et exiger le retrait immédiat de toutes les forces militaires impérialistes de la région.


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