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Entretien avec une infirmière

Au CHRU de Nancy, « suspendre les restructurations ne suffit pas après la casse de l’hôpital »

Après ses propos polémiques sur le maintien des restructurations prévues au CHRU de Nancy, le directeur de l’Agence régionale de Santé, Christophe Lannelongue, a été limogé. Nous avons interrogé une infirmière, syndicaliste pour connaître son opinion sur la situation. Elle dénonce des plans de restructuration successifs qui sont responsables de l’ampleur de la crise actuelle.

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Le week-end dernier, le directeur de l’Agence régionale de Santé, Christophe Lannelongue, expliquait en conférence de presse que les restructurations prévues au CHRU de Nancy seraient maintenues malgré la crise sanitaire. Pourtant elles engendreraient la suppression de 600 postes et 200 lits. Des propos qui ont fait polémique, et poussé Olivier Véran à le limoger et à affirmer que les restructurations prévues seraient suspendues.

De fait, les propos du directeur régional mettaient à mal la stratégie du gouvernement, qui cherche à faire son mea culpa sur la gestion du secteur de la santé et explique qu’il investira massivement au sortir de la crise. Allant même jusqu’à remettre la responsabilité de la casse du service public sur les gouvernements passés, alors qu’il a clairement participé à l’accroître. C. Lannelongue lui-même expliquait dans une interview pour France 3 que les plans de restructuration venaient du ministère de Buzyn et "qu’il n’a fait que son boulot". En effet, c’est elle qui a donné les directives et qui a refusé d’écouter la gronde dans les hôpitaux face au manque de moyen et aux conditions de travail dégradées.

Pour constater l’effet de ces mesures néolibérales et ne pas laisser le gouvernement s’en sortir comme ça, nous avons contacté Sophie, militante à la CGT et infirmière. Elle explique qu’elle travaillait dans le service de Chirurgie du CHRU de Nancy et qu’après sa fermeture, elle a été affectée dans un service avec des patients Covid. Elle raconte le calvaire de l’hôpital et partage sa colère contre des gouvernements successifs qui ont engendré la crise des services publics.

RP : Tu as dû changer de service, car les activités non essentielles ont été fermées pour tourner les moyens de l’hôpital vers la gestion de la crise. Mais selon quelles modalités précises ?

Quelques services ont fermé, notamment de chirurgie programmée, dont le personnel a été repositionné vers d’autres secteurs. Mais sans aucune formation, c’est en mode « démerde toi » en fait. Moi je suis diplômée depuis 2002 et je n’ai travaillé que dans des services de chirurgie. Donc ça fait dix-sept ans que je travaille dans un service de chirurgie en 7h30 de jour. Et là je suis balancée dans un service de médecine en 12h et j’alterne jour et nuit. C’est hyper fatigant, je suis complètement paumée.

Donc c’est du grand n’importe quoi. Ce n’est pas forcément le fait d’être fatiguée qui me désole, mais c’est le fait d’être balancée dans un service sans avoir les compétences pour le faire. Parce que même si on est tous diplômés, au fil des années on acquiert des compétences spécifiques. Etant à la base formée chirurgie, plein de trucs de médecine ne me parle pas. Donc, il a fallu s’y mettre sans être accompagnée.

RP : Le Grand Est est la région la plus touchée, la plus frappée par la vague. Comment ça s’est passé ? Au niveau du matériel et des conditions de travail notamment ? Par exemple je vois que dans votre CHRU vous avez dû passer de 70 lits à 160 en réanimation ?

Au départ on avait 70 lits de réanimation au CHU de Nancy et la direction a ouvert de nombreux lits pour pouvoir accueillir des patients dont l’état était très dégradé. Il y a aussi eu quelques formations express pour une centaine d’agents pour qu’ils puissent prendre en charge ce type de patients. Ils ont également sorti les collègues qui avaient une expérience en réanimation des services dans lesquels ils étaient affectés, pour qu’il puisse travailler dans les nouveaux services. Eux-mêmes ont été remplacés dans leurs propres services, comme un jeu de chaise musicale on a dû totalement réorganiser l’hôpital.

RP : Mais ces changements de dernières minutes sont dû à quoi ? Au manque de personnels ?

C’est carrément un manque de personnels, clairement. Il y a eu des rappels de personnes retraitées. Dans le service dans lequel je suis affecté je travaille avec une ASH (agent de service hospitalier) qui entretient les locaux et qui est retraitée depuis deux ans. Et maintenant elle revient bosser. Ils ont appelé les gens comme ça, alors que depuis des années ils ont sacrifié des lits, ils ont sacrifié des postes. C’est criminel, seulement pour des économies. Aujourd’hui on est obligés de rappeler des retraités, de les mettre en danger des personnels qui ne sont pas formés à cause de leurs mesures économiques scandaleuses. C’est une honte ce qu’il se passe, c’est un scandale. Ça me fout une rage extraordinaire de travailler avec des retraités. Hier, j’ai bossé avec une fille qui venait des Vosges, d’une ville à une heure de Nancy. Elle a été rappelée de très loin alors qu’en plus elle est pédo-psychiatre, rien à voir.

RP : Vous avez vu les vidéos des surblouses pourries des infirmières de Marseille ? Beaucoup de soignants racontent se retrouver dans une précarité des plus scandaleuses au niveau matériel, entre les masques périmés, les blouses défectueuse et la pénurie généralisée. Comment ça se passe vous dans votre service ?

Dans mon service, on nous explique qu’on doit faire attention à la consommation de surblouses. Donc certaines collègues ont été obligées d’utiliser plusieurs fois leur blouse, de nous-même on est obligées de se débrouiller et on prend des risques énormes. L’équipe d’hygiène change ses recommandations à cause du manque de matériel, en fait comme on manque on nous explique que ce n’est pas grave d’utiliser deux fois une surblouse.

Comme pour le gouvernement, le discours change en fonction des stocks. Dans mon hôpital, les recommandations changent selon les directives et les stocks. Par exemple, on nous explique qu’on ne doit pas mettre de gants, juste se laver les mains parce que ça ne sert à rien. A la limite ça s’entend, mais en vérité nous, à notre place, on cherche juste à pouvoir se protéger et protéger les patients au maximum.

RP : Hier Macron était à Saint-Denis pour une opération de communication et il a rencontré des soignants qui lui ont évoqué leurs situations. Notamment une soignante qui expliquait devoir réutiliser et laver ses blouses. Il a joué l’étonné et refusé de prendre ses responsabilités, vous en pensez quoi ?

C’est scandaleux, c’est criminel. Ils sont hypocrites, c’est inadmissible. Ils se foutent de la gueule du monde depuis le début. Ils persistent et signent. Il devrait se barrer franchement. Le bien public, l’hôpital, l’éducation, le social, il est en grand tant, pas qu’ils ouvrent yeux, car ils savent très bien ce qu’ils font et sont conscients, ça ne s’achète pas. Il est temps que nous, les gens qui travaillons, on renverse ce système là et ces logiques et qu’on reprenne notre place. Voir des types de ce genre là faire les étonnés alors que c’est eux qui ont mis tout ce merdier là...

RP : La crise sanitaire actuelle révèle au grand jour la situation des soignants et les conséquences des mesures qui sont prises depuis des années. Les hôpitaux les plus touchés sont ceux qui ont été le plus détruits et où les coupes budgétaires ont été les plus importantes, comme à Mulhouse, où les urgences étaient déjà en crise l’année dernière et qui un des hôpitaux où la crise est la plus grave.

Oui c’est exactement ça. Dans les urgences depuis un an, il y a eu des grèves dans les hôpitaux. Même si les grévistes restaient assignés, ils se sont battus et malgré tout, les pouvoirs publics n’ont rien fait. Ils nous ont méprisé et n’ont pas augmenté les moyens. Ils ont filé une prime de cent euros au personnel des urgences pour les faire taire. Mais par contre ça n’a strictement rien changé aux conditions de travail, et de prise en charge des patients. Aujourd’hui, ça met en lumière leurs politiques atroces.

Quand je les vois aujourd’hui parler de nous comme des héros, ça me met en rage. Ce qui me fait tenir les coups, c’est qu’un jour ils vont payer et que la solidarité actuelle va se transformer en colère et j’espère qu’on sera dans la rue pour se battre après la crise.

RP : On a vu les images des soignants à Marseille qui disent « là on soigne mais après on sera dans la rue », c’est aussi votre état d’esprit ?

Il y a intérêt qu’on y soit, tous ensemble. Que ce soient les hospitaliers ou les autres secteurs de la population, parce que tout le monde est concerné. Les mesures d’économie drastiques, l’austérité à l’hôpital a un impact pour tout le monde, pour tous les usagers. Tous les patients potentiels qu’on sera peut-être. C’est un problème de société, pas juste de société. La question c’est de savoir quels moyens on donne et à qui ? Macron a choisit de supprimer l’ISF et donner un coup de main aux grandes fortunes tout en continuant sa politique de suppression de lit, d’austérité à tout prix. C’est scandaleux et c’est pour ça qu’on doit se battre ensemble.

RP : Christophe Lannelongue de l’ARS expliquait récemment que les plans de restructuration à l’hôpital seront maintenus et, il y a quelques semaines, affirmait en conférence de presse que ces mesures étaient bénéfiques, malgré 600 suppression de postes et 200 lits. Que pensez-vous de cette volonté à tout prix de continuer la casse de l’hôpital ?

Je pense qu’il est dans son délire austéritaire et il ne comprend toujours pas qu’il est responsable aujourd’hui. Pas seulement lui, parce qu’en tant que directeur de l’ARS il a construit ce projet de suppressions de lit et de personnels, mais en vérité le directeur du CHU de Nancy, les politiques, notamment le maire de Nancy, ont aussi porté le projet. Ils sont tous hypocrites. Aujourd’hui tout le monde se dit scandalisé mais ils ont tous porté le projet ensemble.

RP : C. Lannelongue expliquait même que c’était « un complot » de la CGT, disant que vous étiez au chaud vous les syndicalistes et que vous aviez voulu le mettre à mal. Vous pensez quoi de ces déclarations ?

Je pense qu’il est atteint de paranoïa sérieusement. En vérité je suis contente qu’il nous donne cette importance, mais c’est clairement ridicule. C’est eux qui sont au chaud vraiment. L’hôpital aujourd’hui ce ne sont pas que des soignants, il y a des travailleurs des plus précaires. Sans les non-soignants, rien ne tourne. Que ce soient les techniciens, travailleurs du nettoyage, ceux qui s’occupent du transport... Un hôpital tourne grâce aux travailleurs, et pas grâce à ces gens là qui nous méprisent aujourd’hui.

RP : O. Véran a décidé justement de limoger aujourd’hui Christophe Lannelongue, mais en vérité, même lui explique que c’est Agnès Buzyn et le ministère qui ont mis en place les directives.

Bah oui… Et même les précédents en fait. Ils sont tous responsables de cette situation-là. Lannelongue aujourd’hui c’est le fusible. Véran se rachète une conduite, Macron pareil. Mais le problème c’est qu’ils ont juste déclaré que les programmes de restructuration seraient juste « suspendus » pour l’heure. Je ne leur fais pas du tout confiance. Vu la situation dans laquelle on est, non.

RP : Ils expliquent qu’il vont suspendre des plans de restructuration qu’ils ont eux-mêmes lancés aujourd’hui et essaient de retourner la situation, expliquant même pour Macron qu’il y aura des investissements pour l’hôpital et que les soignants seront remerciés. Vous y croyez-vous ?

Moi je crois pas du tout à ces promesses. Je ne leur fais pas du tout confiance à ces personnages, qui ne s’occupent que de la finance et se moquent de la santé des gens. Alors qu’ils jouent les étonnés face à nos difficultés, on ne peut pas leur faire confiance pour organiser la société. Il faut aujourd’hui que ce soit ceux qui travaillent, qui savent de quoi ils parlent, qui établissent les projets. Parce que ce mec là ou Agnès Buzyn, elle ne sait pas de quoi elle parle. Aujourd’hui, ils reviennent sur le propos et font leur mea culpa, mais ce n’est pas entendable.

Que ce soit dans l’hospitaliers ou ailleurs, il n’y a que les personnes qui ont les mains dedans qui peuvent parler et qui savent les besoins. Aujourd’hui tous les gestionnaires qui ont fait des économies sur le dos de tout le monde, sont des ennemis.

RP : Avec Révolution Permanente, on revendique à la fois des mesures de soin d’urgence, comme les dépistages massifs, mais aussi par exemple que les activités non-essentielles soient arrêtées. Dans le Grand Est, PSA notamment souhaite rouvrir ses usines, vous en pensez quoi ?

C’est scandaleux. Macron aujourd’hui fait l’étonné des difficultés, mais il est clairement responsable de laisser les actionnaires se faire du fric sur l’exposition de leur salariés. C’es criminel, sans protections et même en vérité avec ça ne sert à rien. Aujourd’hui c’est le résumé d’une société qui marche sur la tête, avec une logique marchande. Faire fonctionner l’économie au-dessus de tout.


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