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Avec la force des femmes

Andrea D'Atri Durant cette dernière décennie, spécialement en Amérique Latine, la présence de femmes dans des positions de pouvoir, ainsi que leur participation de plus en plus fréquente dans les parlements, ont fait l'objet d’analyses, mais aussi de discours idéologiques sur le fait que les femmes latino-américaines avançaient qualitativement dans leurs droits sociaux et politiques. Cristina Kirchner en Argentine, Dilma Russef au Brésil et Michele Bachelet au Chili ont été mises en avant pour diverses occasions, comme par exemple lors des avancées et des réussites du genre féminin dans cette partie du monde.

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Loin de la vision simpliste et idéalisée qui suppose que le genre d’un représentant contribue à appliquer les politiques de genre pensées par son gouvernement, les indicateurs sur la violence contre les femmes, le taux de mortalité pour avortements clandestins, l’agissement libre de réseaux de traite et de prostitution et la précarité du travail des femmes restent malgré tout des problèmes constants dans la région. Le Front de Gauche et des Travailleurs démontre surtout que ces voix, censurées par la violence, la sur-exploitation et la discrimination, n’expriment pas seulement leur vérité et leurs revendications dans les parlements régionaux et à l’Assemblée Nationale, elles le font aussi au Parlasur. Et ces sièges conquis par le FIT se transforment en véritables tribunes et tranchées à partir desquelles se renforcera la lutte pour les droits des femmes.
 

Le "féminicide" invisible de l’avortement clandestin

Le contraste entre la présence de femmes dans des postes de pouvoir dans la région et la vie quotidienne des masses de femmes est honteux. Dans le monde entier, 38% des grossesses sont non voulues, ce qui équivaut à 80 millions sur 210 millions de grossesses par an. En Amérique Latine, l’avortement clandestin provoqué dans des conditions insalubres et précaires est la cause du décès d’une femme sur trois qui pratique un avortement, et la cause de 800 000 hospitalisations par an. Selon l’OMS, l’indice d’avortements induit en Amérique Latine est supérieur à la moyenne mondiale et reste plus élevé dans les pays où cette pratique est pénalisée. Dans un rapport de l’OMS, il est écrit qu’ « en Bolivie, Brésil et Argentine, l’avortement est très restreint. Dans des rares occasions, quand l’interruption de la grossesse est légale, les barrières demeurent incroyablement élevées. Ces barrières s’expliquent en partie par le refus de la part de professionnels de la santé de prêter attention à ces problématiques, ainsi que des conditions juridiques à remplir, comme l’autorisation d’un juge et des délais d’attente beaucoup trop longs [...] ».
 

La recherche réalisée par l’IPAS entre 2011 et 2013 dans la région révèle qu’il existe « une application sélective des lois sur l’avortement et le traitement discriminatoire et humiliant que les femmes reçoivent lorsqu’elles ne choisissent pas la maternité. Les personnes qui enfreignent la loi peuvent être menacées ou punies d’une ou plusieurs amendes, d’une obligation d’effectuer un service civique ou de condamnation à la prison ferme, avec des peines qui vont de quelques jours à plusieurs années de prison. La majorité de femmes qui sont arrêtées sont déjà marginalisées parce qu’elles sont pauvres, afro-descendantes, indigènes ou jeunes, et manquent d’une défense légale compétente. »

Pourtant, pendant que la pénalisation de l’avortement pousse des millions de femmes à la clandestinité et, pour les plus pauvres et les plus jeunes, à un important taux de mortalité provoqué par ces conditions, les gouvernements de la région ont renforcé leurs liens avec le Vatican et autres secteurs religieux fondamentalistes, fervents opposants à la légalisation des IVG. 

En Argentine, le gouvernement de Cristina Fernandez - après une première période de confrontation avec la hiérarchie catholique locale - a effectué un virage vers la réalisation d’un pacte avec le Vatican, au moment de la nomination du Pape Bergoglio. Tandis que le Pape agit en tant que médiateur entre le gouvernement et l’opposition de droite, en tant que garant de la gouvernementalité de la fin du cycle kirchnériste, le gouvernement national lui permet en retour l’ingérence dans des affaires sociales comme la réforme du Code Civil. L’intervention de la présidente argentine dans sa majorité au Parlement fait qu’il n’y ait pas assez de voix pour le vote d’un projet de dépénalisation de l’avortement, ce qui démontre sa fermeté sur cette question, alors que plusieurs membres de son bloc parlementaire seraient prêts à signer ce projet, mais ne le font pas par « discipline de parti ». Discipline qui coûte la vie à presque 300 femmes par an.

Le gouvernement de Dilma Rousseff, au Brésil, a commencé avec un scandale sur ce même sujet : alors qu’elle était encore candidate, elle a refusé d’inclure le droit à l’avortement dans l’agenda de son futur gouvernement, ce qui a déconcerté les secteurs plus progressistes qui soutenaient le PT. Très vite, de l’alliance avec l’ex-pasteur évangélique Marcos Feliciano - qui avait proposé un projet de loi pour « soigner » l’homosexualité -, se sont révélées d’autres fortes alliances politiques du PT avec des secteurs religieux et conservateurs pour gouverner le pays.

Le Paraguay mérite un paragraphe à part puisqu’il est le théâtre d’une véritable croisade contre les femmes et les filles, croisade dirigée par un pacte entre l’Eglise et le gouvernement de Horacio Cartes qui ne fait même pas semblant d’être progressiste.

La lutte pour le droit à l’avortement en Amérique Latine doit être évidemment accompagnée du combat pour séparer l’Eglise et l’Etat qui, au XXIè siècle, continue d’exercer une puissante influence sur la législation, nos vies et notre sexualité.

#niunamenos dans toute l’Amérique Latine

Avec la lutte pour l’avortement, la mobilisation contre la violence sexiste et les féminicides traverse aussi tous les pays de la région, au-delà des frontières. La mobilisation de masse autour du mot d’ordre « Ni una menos », du 3 juin 2015, en Argentine, s’est produite spontanément au Mexique, au Chili et en Uruguay.

Des centaines de milliers de femmes en Argentine ont montré leur colère contre la violence brutale qui tue une femme toutes les 30 heures dans le pays. Pourtant, la mobilisation est allée au-delà de pointer du doigt ce fait macabre : plusieurs secteurs mobilisés ont dénoncé que les médias reproduisent des modèles sexistes aussi violents ; que l’avortement clandestin est aussi une violence faite aux femmes ; que la précarité au travail discrimine aussi et que les responsables des crimes contre les femmes sont aussi les Etats, les gouvernements, la justice, pendant que l’Eglise collabore dans la reproduction des stéréotypes qui dénigrent les femmes. « Nous savons que 15 femmes meurent par jour au Brésil par le simple fait qu’elles sont des femmes », a dit Dilma Russeff au début de cette année, quand le Brésil a intégré le féminicide dans le Code Penal. Tandis que l’Argentine compte 277 féminicides en 2014, le Brésil en compte 4719 en 2012.

Pourtant, les réponses institutionnelles face à ces statistiques effroyables continuent d’être une farce pour les femmes victimes de violences sexistes. Le FIT, au contraire a présenté un projet de loi qui propose un Plan Intégral d’Urgence contre la violence faite aux femmes. Ses députés, Nicolás del Caño et Myriam Bergman - qui actuellement sont les candidats de la formule présidentielle du FIT pour les élections d’octobre -, traitent bien sûr de l’attention sanitaire, psychologique et légale des victimes, mais aussi les problématiques associées aux conditions de travail, au salaire, au manque de refuges, à l’accès au logement, aussi. Mais ce projet - qui est en train d’être débattu et diffusé par des groupes de femmes dans tout le pays - se retrouve coincé à l’Assemblée parce que la mort des femmes ne fait pas partie de l’agenda du gouvernement, ni même des préoccupations des autres forces politiques. 

La voix des femmes au Parlasur

Autre constante dans les pays membres du Mercosur, et qui représente un défi pour un programme d’extrême gauche : les conditions de travail des femmes. De différentes manières, et à travers différentes politiques, les gouvernements acceptent ou favorisent la précarité du travail (temps partiels, flexibilité, etc.) ainsi que la baisse du prix de la main-d’oeuvre, dans le but de faciliter les investissements. Les conditions de travail des femmes dans les pays du Mercosur, comme dans toute l’Amérique Latine, confirment la tendance mondiale. Même l’OIT constate que 50% des femmes travaillent aujourd’hui dans des conditions précaires.

C’est pour cela que la participation des femmes dans la Liste électorale 1A, dirigée par Nicolás del Caño et Myriam Bregman, n’est pas un fait mineur. L’inversion du quota de parité et une moyenne de 60% des femmes dans les listes électorales au niveau national, avec la présence de beaucoup de travailleuses (de l’industrie, de l’enseignement, de la santé, de fonctionnaires) sont la conséquence légitime de l’existence d’une force composée de femmes qui luttent contre l’exploitation capitaliste, qui fait face à la bureaucratie syndicale, s’organise pour lutter pour ses droits et trouve dans le FIT une alternative politique où exprimer ses luttes. 

Lors des élections d’octobre, on élira pour la première fois des représentants au Parlasur. La liste électorale du FIT fera entendre la voix des femmes, de la classe ouvrière et de la jeunesse au Parlement du Mercosur. Pourtant, on sait que, loin d’être une tribune pour les peuples latino-américains, le Parlasur est une institution décorative, dominée par le lobby qui travaille pour les entreprises impérialistes dans la région, leur offrant des meilleures conditions pour l’exploitation des classes ouvrières sur le continent. 

C’est pour cela que Nicolás del Caño a pointé l’hypocrisie des discours sur l’ « unité latino-américaine » des gouvernements régionaux, mais aussi que le Parlasur donne encore plus d’avantages matériels aux mandataires, même au-delà de ce qu’établissent les gouvernements régionaux. Il s’agit d’élargir les privilèges de hauts fonctionnaires et législateurs au niveau national, avec des salaires et des retraites parfois dix fois supérieurs à ceux de n’importe quel travailleur. C’est pour cela qu’on soutient que ces parlementaires, comme tous les fonctionnaires publics, devraient recevoir un salaire égal à celui d’une enseignante.

Malgré cela, on considère que conquérir la présence de la voix des femmes, de la classe ouvrière et de la jeunesse au Parlasur, permettra de gagner une nouvelle tribune pour dénoncer la situation dans laquelle vivent les femmes d’Argentine et de toute l’Amérique Latine, lutter pour le droit des femmes, mais aussi impulser la solidarité avec les luttes ouvrières et populaires, au-delà des frontières, exprimant la nécessité d’unir les travailleurs et travailleuses de toute la région.

Mettre cette « tribune régionale », au service de la lutte des femmes pour nos droits, ne peut pas être séparé de la construction d’un mouvement fort de femmes en Amérique Latine, qu’il soit une force conséquente dans la lutte pour les droits démocratique et qui se donne comme perspective la révolution socialiste pour l’émancipation des femmes, et pour en finir avec l’exploitation capitaliste qui pèse de tout son poids sur le dos des femmes.

C’est le chemin pris par le collectif Pan y Rosas, présent dans plusieurs pays de l’Amérique Latine. La tribune au Parlasur permettrait d’amplifier au niveau du continent l’exemple de nos camarades ouvrières de Kraft-Modelez d’Argentine, qui ont arrêté la production pour lutter contre le harcèlement sexuel d’un contremaître sur une ouvrière, ou les femmes de MadyGraf qui, après avoir résisté avec les travailleurs contre la fermeture de leur propre usine, l’ont finalement mise sous contrôle ouvrier, faisant en même temps une grande campagne contre la violence faite aux femmes. Aussi, l’exemple de nos camarades de Pão e Rosas dans le syndicat du personnel de l’Université de Sao Paulo au Brésil qui, au milieu d’une grève très dure, ont impulsé une campagne contre les LGBTI-phobies, ou les travailleuses du métro de Sao Paulo qui ont fait face aux licenciements et persécutions, mais qui ont aussi mené une campagne contre la violence de genre et les viols dont souffrent les femmes à l’intérieur du métro. De telles actions sont le témoignage que la lutte pour l’émancipation des femmes ne peut pas être un sujet « annexe » dans le programme d’une extrême gauche qui se donne pour défi de se renforcer dans les concentrations ouvrières du continent. Au contraire, elles sont une partie essentielle de la lutte pour briser les chaînes de l’exploitation et de l’oppression. Aujourd’hui, Pan y Rosas a pour objectif que toutes les tribunes politiques du FIT en Argentine dans les Parlements régionaux, l’Assemblée Nationale, et le Parlasur aussi, soient une prolongation des luttes quotidiennes dans les rues, face aux patrons, à la bureaucratie syndicale, aux Etats qui protègent les intérêts des capitalistes et leurs forces répressives.

Andrea D’Atri

Candidate au Parlasur (Parlement du Mercosur) pour le Front de Gauche et des Travailleurs, Andrea D’Atri a été à l’initiative de la création de Pan y Rosas, collectif féministe et LGBTI présent en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Chili, au Mexique et dans l’Etat Espagnol.


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