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Attaque sur le Thalys Amsterdam-Paris

Ayoub El Khazzani. La mise en scène de l’ennemi public n°1

Le 21 août, peu après 17h, sur le Thalys reliant Amsterdam à Paris, un homme identifié par la suite comme Ayoub El Khazzani, un jeune Marocain de 26 ans, aurait tenté de faire feu avec un fusil d’assaut et une arme de poing sur les passagers, avant d’être désarmé. Une tentative d’attaque qui relèverait du terrorisme islamique, en dépit des premières déclarations du suspect ? C’est ce qu’ont immédiatement déclaré les autorités. La suite, en revanche, relève de la spectacularisation de celui que l’on désigne désormais comme l’ennemi public numéro 1, avec le lot de raccourcis et d’instrumentalisation politique que la mise en scène de ce genre d’affaires implique, au profit d’un serrage de vis liberticide déjà annoncé par le gouvernement.

Jean-Patrick Clech

27 août 2015

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Pour ce faire, les autorités ont besoin de désigner le coupable et qu’il ait, si possible, « la gueule de l’emploi », ou qu’il cadre avec l’idée que l’on peut se faire, en l’occurrence, d’un jeune islamiste radical qui aurait fait le choix de porter le djihad en Europe. Déclarations officielles et couverture médiatique, tout concorde, ces derniers jours, pour susciter l’émotion et faire de El Khazzani le coupable désigné.

Faire du suspect un coupable en quelques clichés

Dans toutes les affaires judiciaires à fort impact, quel qu’en soit les ressorts, la couverture par les médias du transfert d’un suspect avant même son jugement, à grand renfort de sirènes, d’escorte policière et de flash d’appareils photo à la descente de la voiture, a pour objet de déclarer la culpabilité du prévenu par la seule force de la mise-en-scène. Dans le cas de El Khazzani, les médias et le gouvernement n’ont pas lésiné sur les moyens.

I-télé a été la première chaîne à diffuser les images d’un homme à son arrivée au Palais de Justice de Paris après 96 heures de garde-à-vue, les yeux bandés et les pieds nus, conduits par plusieurs hommes en uniforme, cagoulés. Paris-Match a renchéri en publiant des clichés de l’individu menotté, pieds et poings liés et porté par des policiers, lors de son arrestation, à Arras.

Pourtant très au fait de ce que la loi sur la liberté de la presse permet ou, à l’inverse, n’autorise pas, les médias en question et ceux qui ont repris les clichés se sont assis sur une législation qui interdit depuis 1881 de publier des images d’un individu menotté, et ce pour mieux désigner El Khazzani à la vindicte.

Au Palais de Justice comme à Guantanamo

L’autre élément scandaleux mais révélateur des pratiques policières reste la façon dont le suspect a été transféré. Comme l’a souligné l’avocate qui assiste El Khazzani depuis son transfert, samedi, à la Sous-direction anti-terroriste, dans un Etat qui se veut respectueux des droits fondamentaux, « quelles que soient la nature et la gravité des faits reprochés à un homme, notre Etat de droit ne peut pas accepter que cet individu soit traité d’une manière dégradante et inhumaine. Le nécessaire aurait pu être fait ».

Dans cette mise-en-scène, avec un pyjama bleu au lieu de la combinaison orange, un bandeau sur les yeux à la place de la cagoule, El Khazzani ressemble à s’y méprendre aux « ennemis combattants » détenus sans procès dans le camp de concentration étatsunien de Guantanamo. Le suspect du Thalys, lui, aura droit à un procès, mais il a déjà été désigné coupable.

Le procureur de Paris, François Molins, a déjà déclaré que « le projet » de l’assaillant apparaît « ciblé et prémédité », El Khazzani ayant été neutralisé avant même « qu’il ne passe à l’acte et ne provoque un véritable carnage ». Quel que soit le contenu de sa défense et le fait que le suspect arrêté affirme ne pas avoir voulu commettre d’attentat mais uniquement « braquer les passagers », ses déclarations ne semblent avoir aucune importance pour les autorités en charge de l’enquête. Elles semblent déjà avoir fait le tour de l’affaire. Avant El Khazzani, Sid Ahmed Ghlam, arrêté le 19 avril et accusé de meurtre, tout comme Yassin Salhi, arrêté le 26 juin, ont adopté la même ligne de défense, sans que cela n’ait une quelconque incidence sur les déclarations de la Justice et du gouvernement au cours de l’instruction. Côté Molins, un habitué des dossiers menés tambour-battant, on se rappellera juste qu’il a été chef de cabinet de Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice, et qu’il a continué à piloter la mauvaise orchestration de « l’Affaire Tarnac ».

Contrôles au faciès

Pour ce qui est du gouvernement, l’attaque manqué du Thalys est l’occasion de jouer la partition qui réussit le mieux au trio Hollande-Valls-Cazeneuve : celle du tout-sécuritaire tout en piétinant les plate-bande du Front National. Comme dans tous les thrillers plus ou moins bien ficelés, au grand méchant de l’histoire il faut opposer des gentils ; à l’anti-héro, ici El Khazzani, un ou plusieurs héros, en l’occurrence d’incroyables militaires américains en vacances en Europe, plus vrais que nature. A grand renfort de caméras, nous avons donc eu droit à la décoration des courageux passagers qui ont désarmé le terroriste, comme dans les meilleurs films d’action, en direct depuis le Palais de l’Elysée.

Cazeneuve a, lui, répondu au Front National qui a demandé l’expulsion ou l’arrestation des « individus classés S » par les services de sécurité, en soulignant qu’en absence d’infraction constatée, rien ne peut être intenté contre les quelque 5000 individu concernés… si ce n’est renforcer leur surveillance, le plus souvent en dehors de tout cadre légal clairement défini et avec le succès que l’on sait, dans le cas d’anciens indics qui passent à l’action, à l’instar de Mohamed Merah.

Tout autant pour se couvrir que pour augmenter le niveau de perception du risque Guillaume Pépy, président de la SNCF et dynamiteur en chef du service public, responsable de la dégradation des conditions de transport et de manutention du réseau ferré, a déclaré que les trains restaient des « cibles faciles », annonçant le renforcement des contrôle et la présence renforcée de la police du rail.

Pour coller au plus près du FN, Alain Vidalies a, lui, déclaré qu’il souhaitait que les contrôles opérés sur les passagers et les bagages ne soient pas « aléatoires » mais plutôt « discriminés », de façon à ne pas rester « spectateurs ». Ce faisant et même s’il est revenu sur ses propos par la suite, Vidalies officialise les procédures de contrôle au faciès.

Lutter contre le terrorisme. Lequel ?

Samedi 29, un Sommet spécifique devrait se tenir à Paris, réunissant les ministres européens de l’Intérieur et des Transports de façon à discuter des nouvelles mesures de sécurité à mettre en œuvre « contre la volonté de Daech (…) de frapper la plupart des pays d’Europe », pour reprendre les déclarations de Cazeneuve. L’attentat qui aurait été projeté aurait pu être terrible à bord d’un train de passagers, cela est une évidence. Mais si l’attaque était revendiquée par Daech, créature infernale issue des interventions occidentales au Proche et au Moyen-Orient, que représenteraient les neuf chargeurs et les 270 munitions comptés avec précision par les autorités et présentés dans la presse si ce n’est l’expression violente et sanguinaire, certes, mais asymétrique, d’une tentative de porter en Europe une guerre qui est menée en Syrie, en Iraq ou en Afghanistan, avec une puissance de feu démultipliée, pour ne parler que de ces pays où les impérialistes sont directement impliqués dans des conflits en cours ou des occupations directes ?


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