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Barbarie dans les prisons brésiliennes : factions, trafics et rôle de l’État

Le gouvernement de l’Amazonas, État du Brésil, a annoncé la mort de 62 personnes. Les médias et le gouvernement dénonce la responsabilité des factions de la prison tout en niant leur propre rôle dans cette affaire. Mais en va-t-il réellement ainsi ? Leandro Lanfredi Photo : Isis Capistrano

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Des scènes choquantes de corps décapités, de couloirs de prison ensanglantés recommencent à circuler dans les médias. Le gouvernement de l’État de l’Amazonas a confirmé la mort de 62 personnes dans deux prisons différentes : 58 dans le complexe pénitentiaire Anísio Jobim (Compaj) et 4 autres dans la prison de Puraquequara. Les scènes rappellent directement le plus grand massacre de l’histoire carcérale brésilienne, celui de Carandiru à São Paulo. Cette fois, les médias et le gouvernement cherchent à mettre en cause la responsabilité des différentes factions et non la leur.

Les récits des juges et avocats qui travaillent sur l’affaire rendent compte de la barbarie. La scène renvoie immédiatement à Carandiru, où la police militaire avait massacré plus de 100 prisonniers à São Paulo. Cette fois, ils essayent d’attribuer la responsabilité du massacre à la « cruauté inhérente » des « bandits » de la prison. Cependant, ils ne peuvent passer sous silence l’absurde surpopulation carcérale du pays, les conditions « médiévales » des prisons, ainsi que les a qualifié un certain ministre du Tribunal suprême fédéral, et, bien qu’ils essayent de les cacher le plus possible, les liens évidents de l’État brésilien avec cette barbarie.

Suite au massacre, le ministre de la Justice, Alexandre de Moraes, a annoncé la création d’un service de renseignements dans les États afin de « prévenir les massacres » et prévoit que la guerre nationale entre les factions devrait générer d’autres conflits similaires dans d’autres États. Or il est évident pour tout le monde que ce conflit n’est pas sans antécédents, ni sans liens avec les autres épisodes sanglants survenus dans l’État de Roraima, de Ceará et dans d’autres.

Malgré cette supposée « barbarie inhérente », les médias ne peuvent occulter les faits : le gouvernement de l’Amazonas (soupçonné d’avoir des liens avec une faction du trafic, selon le journal O Globo) est intervenu et a essayé de négocier la reddition mais seulement après que les prisonniers d’une faction ont déjà tué une dizaine d’autres membres d’une faction ennemie.

Tout le monde le sait, le système carcéral brésilien est surpeuplé de pauvres et de Noirs incarcérés sans jugement et accusés de participer au trafic de drogue. Pour survivre dans un tel environnement où l’extrême violence est ordinaire, il est commun de voir les détenus choisir une faction une fois entrés dans la prison. Sans ce choix, les risques sont plus grands.

Dans l’Amazonas, cette règle générale est portée à un tout autre niveau. Si dans tout le pays il existe une surpopulation de 67 %, les prisons de l’Amazonas, qui ont été prévues pour 250 318 prisonniers en détiennent actuellement 622 202, enregistrant ainsi une surpopulation de 159 %.

Dans tout le pays, on estime que 40 % des prisonniers n’ont jamais été jugés. Les cas dans lesquels l’accusation aurait des connexions avec le trafic sont les plus fréquents. Il est suffisant pour la police d’accuser arbitrairement une personne pauvre et noire de détention d’une certaine quantité de drogue pour garantir son incarcération. Il est encore trop tôt pour spéculer sur le rôle précis du gouvernement d’Amazonas dans le massacre, bien qu’il soit connu qu’il existe un conflit entre les factions qui cherchent à contrôler la route du flux international de drogue à travers le río Solimões. Cette route a remplacé la route paraguayenne qui, elle, est dominée par une des factions en lutte.

Est aussi connu le rôle actif que les forces de police et les politiques ont joué dans la création des différentes factions dans divers États du pays (et en particulier le rôle qu’ils ont joué dans l’alimentation de la division et de la guerre des factions à Rio de Janeiro à partir des années 80, en créant en même temps les milices). Les objectifs de la promotion de cette barbarie sont variés : d’une part elle vise l’obtention de recours illégaux mais également aussi un objectif plus global en laissant libre cours aux conflits sanglants qui permettent de promouvoir la répression comme solution. Ces conflits permettent de justifier une violence étatique quotidienne sous l’aspect de cette « guerre contre les drogues » qui serait une réponse aux conflits engendrés premièrement par la non légalisation et ensuite par l’encouragement des guerres des factions.

Les liens de l’État avec cette barbarie qui sévit au sein de ce système carcéral intrinsèquement raciste, dans la prohibition des drogues et même dans l’incitation à la guerre des factions, demeurent évidents. Il est inutile qu’un policier de l’Amazonas fasse directement usage de ses armes pour que se retrouve à nouveau la signature de la responsabilité de l’État dans un massacre tel que celui de Carandiru.


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