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Milton Friedman fait son grand retour avec...

Benoit Hamon et la « fausse bonne idée » du revenu universel

Credit : LEWIS JOLY/SIPA. - SIPA Contesté par la droite, mais aussi et tout récemment par Manuel Valls, le « revenu universel », mesure phare du programme de Benoît Hamon a tout pour apparaitre comme LA mesure sociale de cette campagne 2017. Il serait pourtant faux de juger la proposition à l’aune de la position politique de ses détracteurs. Et non : les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis… D’autant plus lorsqu’on sait que le revenu universel est une idée d’inspiration libérale, aussi bien soutenue par l’économiste Milton Friedman, inspirateur des politiques de Ronald Reagan et Margaret Thatcher que, en France, par Frédéric Lefèvre, cadre des Républicains et ancien ministre de Nicolas Sarkozy, ou encore, dernier soutien en date, le filloniste Henri De Castries. Décryptage d’une proposition qui n’a de « sociale » que l’apparence. Yano Lesage

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Un « revenu de base » plus qu’un « revenu universel »

« Revenu universel », « revenu de base » ou encore « impôt négatif » comme l’appelait Milton Friedman, l’idée d’une allocation universelle n’est pas nouvelle et remonterait au 18ème siècle, avec la proposition d’une « indemnité » universelle de Thomas Paine. Transcendant les clivages politiques, l’idée du versement d’un revenu sans condition d’emploi est reprise, en France, à la fois par la droite – de la très réactionnaire et catholique Christine Boutin au libéral Alain Madelin à Fréderic Lefèvre – et par la gauche – figurant au programme d’Europe-Ecologie les Verts et aujourd’hui, à celui de Benoît Hamon. Les distinctions se font généralement à la marge, sur le seuil du revenu versé – de 500 euros à 1000 euros –, sur la population concernée – enfant compris ou seulement les adultes – et sur ses modalités de cumul avec les autres prestations sociales – hausse du RSA et maintien des prestations sociales ou fusion des prestations sociales dans le revenu universel.

Pour la situer dans ce panorama, la version du revenu universel que propose Benoit Hamon pour 2017 a davantage à voir avec les propositions de la droite libérale qu’avec celles plus orientées à « gauche ». D’abord parce qu’Hamon propose de fixer l’allocation universelle à 750 euros par mois, soit un niveau inférieur au seuil de pauvreté, situé à 1000 euros (pour 60% du niveau de vie médian). Ensuite parce que la mesure sera adossée à une suppression d’autres prestations sociales (aide au logement, allocations familiales) et non pas cumulable avec ces dernières ; la proposition d’Hamon a plus à voir avec un « revenu de base » - entendez de survie – qu’avec un « revenu universel » permettant à toutes et tous d’accéder à un niveau de vie décent.

La fin de la « sécu » et la porte ouverte à la privatisation de la santé et des retraites

Du côté du financement, Hamon, reste allusif. Après avoir changé à plusieurs reprises de positions (voir les décodeurs du Monde), notamment pour rester dans les clous de l’austérité, il prévoit d’organiser une « grande conférence citoyenne » notamment sur la question de son financement. Déjà des pistes sont évoquées, comme la fusion de plusieurs pôles de dépenses de l’État, l’individualisation de l’impôt et la lutte contre l’évasion fiscale.

Le financement du revenu universel repose pourtant sur un principe clair, partagé par tous ses partisans : il s’agit de supprimer les cotisations sociales qui sont comprises dans nos salaires, et donc payées par les entreprises, et de transférer ce financement vers la fiscalité qui pèse sur l’ensemble de la population. Voilà pourquoi la mesure séduit tant les libéraux : en vérité, elle consiste à « alléger le coût du travail » pour le patronat - une pure et simple baisse de salaire – en faisant payer à la collectivité ce revenu socialisé.

En supprimant la « sécu », le revenu universel est, en outre, une véritable aubaine pour les assureurs privés et les mutuelles. Aujourd’hui, l’emploi offre, au travers des cotisations sociales, une assurance publique et obligatoire contre le chômage, la vieillesse, la maladie. Dans le domaine de la santé, les mesures de déremboursement ou d’application de forfait, au prétexte d’une faillite organisée de l’assurance maladie, ont peu à peu ouvert le champ à des assureurs privés. La mise en place d’un « revenu universel » et l’abandon de cette assurance publique obligatoire va donc pousser toujours plus ceux qui en auront les moyens à souscrire une assurance privée et autres mutuelles, marché ô combien lucratif. Le raisonnement s’applique de la même manière pour les épargnes retraites.

Le projet en creux du revenu universel, c’est la fin de la « sécu ». Reste à savoir si cette suppression du modèle social assurantiel, pour reprendre la typologie d’Esping-Andersen, signifie pour Benoit Hamon un passage au modèle social « universaliste » des pays scandinaves, ou à un modèle libérale à l’anglo-saxonne.

Si dans le premier cas, le revenu universel s’adosse à un maintien des services publics, à des salaires élevés et à une amélioration des niveaux de vie, il semble pour le moins peu crédible que Hamon vise cette option - en témoignent notamment ses reculs sur le montant alloué, l’austérité même relâchée restant sa grille de lecture dans un capitalisme en crise.

Dans la seconde version, son versement sert de prétexte à la mise à mort des organismes publics – hôpitaux, centre médico-sociaux, crèches, centre pour sans-abris – et à l’individualisation de la prise en charge des risques sociaux. Au prétexte du versement d’une allocation, à l’entière charge de l’individu de financer sa santé, son logement, ses loisirs etc. à partir d’une offre privée. Pour Hamon,cette dernière version peut être maquillée à gauche, le degré de cette mise à mort des services publics pouvant être variable.

Le « revenu universel » ne peut être, ni plus ni moins, qu’une autre mesure d’économie. Voilà pourquoi il séduit aussi largement, y compris dans les rangs du patronat.

Une très probable remise en cause du salaire minimum

Autre point faible, et corollaire du précédent, l’instauration d’un « revenu universel » est la porte ouverte à un abaissement du salaire minimum, sur lequel lorgne le patronat. Or, pour tous ceux, séduits par la proposition, qui voient dans le revenu universel une manière d’abolir le « précariat » et de transformer le rapport au travail en le basant sur le volontariat, celui-ci ne ferait disparaitre en rien les rapports d’exploitation.

D’abord parce qu’il sera certainement difficile de vivre dignement avec un revenu qui reste en dessous du seuil de pauvreté et que le recours, y compris temporaire, à l’emploi sera nécessaire. La suppression du salaire minimum justifiée par l’instauration d’un revenu universel aura donc pour effet d’augmenter le niveau d’exploitation au travail. Pis, il pourrait aggraver la précarité, en permettant au patronat d’en faire une variable d’ajustement pour pouvoir licencier la main d’œuvre lorsque les carnets de commande viendront à baisser.

Comme le souligne très justement Bernard Friot, le « revenu universel », dans le meilleur des cas –maintien des salaires et des services publics -, est une « roue de secours du capitalisme » avec lequel il s’aménage ; dans le pire, une aggravation de l’extraction de la plus-value au service des classes dominantes. Mais il ne modifie en rien les rapports de domination et d’exploitation qui le structure.

La renonciation au plein emploi et au partage du travail et des richesses

S’en remettre au revenu universel est également une renonciation à la possibilité du plein-emploi. C’est une forme d’institutionnalisation de la précarité et du chômage, comme l’est par exemple le Compte Personnel d’Activité, savamment organisés et maintenus au profit des classes possédantes pour concurrencer les travailleurs, augmenter l’exploitation.

Pis, normalisant le chômage de masse, c’est pour faire face à la « révolution numérique », qui va « raréfier le travail » que Benoit Hamon propose le revenu universel. Bien qu’on puisse être d’accord pour affirmer que la hausse de la productivité du travail, à travers l’automatisation, notamment dans l’industrie, raréfie le travail dans cette dernière, cela n’a pas pour effet de raréfier le travail de façon absolue. Se crée ainsi du travail dans d’autres sphères de production, dédiées notamment à la production de ces moyens d’automatisation, ou encore dans les services qui ont suivi un développement accéléré ces trente dernières années. La question n’est donc pas à poser dans ces termes.

C’est en réalité la crise de leur système économique qui est la cause de la « raréfaction » du travail : une crise de valorisation du capital, qui réduit pour le capital en général l’intérêt à investir, et donc à acheter de la force de travail pour la valorisation de ce capital. De cette crise résulte, d’une part, des salariés ayant la « chance » d’avoir un travail surexploité pour résoudre la crise de la baisse du profit, de l’autre des salariés qui s’usent au chômage et dans la précarité. La question étant posée ainsi, il ne s’agit pas de normaliser cette inactivité et ce chômage de masse à travers le « revenu universel » mais bien de répondre de manière résolue et progressiste à ce problème qui touche l’ensemble du monde du travail et la jeunesse. Face au chômage de masse et à la précarité qui minent nos existences, la seule issue progressiste passera par la lutte pour le partage entre toutes et tous du temps de travail socialement nécessaire, qui induira une baisse du temps de travail, et la lutte pour une hausse des salaires, à 1700 euros net minimum.

Ainsi, la redistribution des richesses et la fin de l’exploitation ne passera pas par la proposition de revenu universel d’un Hamon, qui a fait ses bancs d’école au PS et au gouvernement. Il y a, sur ce terrain là, une bataille à mener. De plus, il serait pour le moins utopique de croire que les classes dominantes laisseraient tout à coup financer un revenu universel à la hauteur d’un niveau de vie décent, acceptant ainsi une redistribution des richesses à laquelle elles passent au contraire leur temps à s’opposer - en refusant d’interdire les licenciements, en faisant pression sur les salaires à la baisse, en détricotant la sécurité sociale et le droit du travail, en organisant le chômage. Ainsi, si l’on veut imaginer un véritable « revenu universel », cela passera d’abord par la lutte pour la baisse du temps de travail, via son partage entre toutes et tous. C’est le premier pas pour imaginer un « monde » débarrassé de l’exploitation, un monde où le salariat n’existerait pas. Le revenu universel, c’est s’en remettre à une réorganisation voire, plus probablement, une aggravation de l’existant, sans rien changer à l’accumulation des richesses, qui reste, revenu universel ou pas, dans les mains d’une poignée.


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