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Les FARC rendent les armes

Bientôt la paix en Colombie ?

« Un accord historique », selon le président Juan Manuel Santos (centre-droit). Les accords de La Havane signé entre les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement devraient mettre fin au conflit armé le plus long d’Amérique latine. La paix serait-elle en vue ? La situation est bien plus complexe, et Washington tire les ficelles.

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Eduardo Molina

L’ONU, instrument de l’impérialisme pour superviser le plan de « paix »

Le gouvernement étatsunien est intervenu directement tout au long des discussions qui ont duré quatre ans à La Havane. L’envoyé spécial d’Obama, Bernie Aronson, a été autorisé à participer, par ailleurs, à d’éventuelles négociations avec l’ELN, l’autre guérilla qui n’a pas encore déposé les armes. Le Congrès américain, par ailleurs, vient de voter une aide de 450 millions de dollars pour renforcer, cette année, le Plan Colombie, mis en œuvre sous Clinton, en 1999, pour tenter d’éradiquer les organisations politico-militaires de gauche dans le pays. L’aide, cette fois-ci, est censée financer le début du « post-conflit ». Plusieurs capitales européennes ont par ailleurs promis des fonds pour « aider » le pays.

Obama souhaitait que « l’accord de paix » soit conclu entre le gouvernement et les FARC avant qu’il ne quitte la Maison Blanche, considérant l’accord comme partie intégrante de la politique extérieure qu’il souhaite léguer à son successeur, à savoir une politique centrée sur les négociations pour l’Amérique latine qui devrait permettre à Washington de regagner son influence perdue sur le continent. Les « accords de paix » sont en effet censés permettre de renforcer le gouvernement colombien, le principal allié de Washington dans la région. Parallèlement au « dégel » vis-à-vis de La Havane et aux pressions destinées à piloter une « transition post-chaviste » au Vénézuela, « l’accord de paix » en Colombie devrait représenter un pas supplémentaire dans la recomposition de la domination étatsunienne dans la région mais également un appui pour la droite continentale, alliée de Washington, et ce davantage encore après la victoire de Mauricio Macri aux élections de novembre 2015 et le coup d’Etat institutionnel contre Dilma Rousseff au Brésil.

L’ONU est en train de mettre sur pied une mission qui devrait superviser la démobilisation des FARC, et ce avec la participation de plusieurs pays latino-américains, dont l’Argentine. En ce moment-même, des officiers de l’armée colombienne, de la guérilla et des fonctionnaires onusiens sont déjà en train d’inspecter les 23 zones et les 8 camps de démobilisation destinés aux quelques 7000 combattants et miliciens des FARC, dont le désarmement devrait prendre fin six mois après la signature de l’accord final.

Après plus de quinze ans de soutien militaire et de financement massif de l’armée colombienne par les Etats-Unis dans le cadre du Plan Colombie, les FARC ont été affaiblies mais n’ont pas été détruites. Une solution purement militaire à la longue « guerre interne » commencée en 1964 s’est démontrée purement illusoire. La voie de la négociation politique accompagnée de pressions militaires incessantes choisie par Juan manuel Santos, pourtant ancien ministre de la Défense d’Alvaro Uribe et responsable à ce titre des années les plus sanglantes du conflit, a démontré être la meilleure option pour mettre fin au conflit. En échange, le gouvernement n’a fait que des concessions minimes, à l’instar de la mise en place d’un régime spécial de « justice transitionnelle » pour les combattants des FARC et la mise en place de mécanismes propres à tranformer l’organisation en parti politique, un de plus sur l’échiquier colombien.

Les bénéfices, pour l’Etat colombiens, sont énormes. L’un des principaux acquis consiste en cela que les FARC ont accepté, dans les faits, le récit mis en place par le gouvernement Santos qui place sur un pied d’égalité, d’un côté, la guérilla (qui, indépendamment d’une stratégie erronée et d’actions parfois absolument néfastes qui ont parfois affecté également les classes populaires de Colombie, représente néanmoins de façon déformée la résistance paysanne contre Bogotá et les grands propriétaire terriens) et, de l’autre, l’Etat colombien, l’un des Etats bourgeois les plus réactionnaires et sanguinaires d’Amérique latine, un Etat dont les forces armées sont les principales responsables de la grande majorité des crimes commis depuis plus d’un demi-siècle au cours d’un conflit qui a fait plus de 220.000 morts, plus de 45.000 disparus et 4 à 6 millions de déplacés dans les régions rurales. Cette guerre a été menée avec l’appui de commandos armés au service des grandes entreprises, à l’origine de l’assassinat de dizaines de syndicalistes, mais également de groupes paramilitaires qui continuent à opérer dans les campagnes. Bien que 30.000 paramilitaires ont été démobilisés ces dernières années, nombre d’entre eux se sont reconvertis dans la criminalité organisée et une infime minorité de leurs chefs ont été jugés pour leurs crimes.

Les FARC ont bien entendu le droit de négocier avec le gouvernement la fin de leurs activités militaires. Ce qui est en revanche inacceptable, c’est le fait que les dirigeants des FARC et de la gauche réformiste colombienne embellissent ce qui est, en dernière instance, une défaite stratégique, celle de la voie armée, et la présentent comme s’il s’agissait d’une victoire populaire. L’extreme gauche doit, à l’inverse, montrer ce dont est fait le plan de « paix » imposé par Santos avec le soutien de la bourgeoisie colombienne et de l’impérialisme.

Partisans et opposants de la paix au sein du patronat et de la droite en Colombie

En Colombie, le plan de « paix » de Santos a reçu l’aval de la grande majorité des classes dominantes. L’un des derniers éditos deEl Tiempo, de Bogotá, est assez illustratif à ce sujet. Au sujet des coûts que représentent les opérations de déminage, l’éditorialiste souligne que les « principaux bénéficiaires de la signature de la fin du conflit [ne seront pas, comme le dit la droite colombienne opposée aux accords] les politiciens [tels que Santos] ou les chefs de la guérilla. (…) Le défi gigantesque des opérations de déminage est considéré avec le plus grand sérieux dans le plan, avec l’appui des FARC ».

Ce faisant, l’éditorialiste s’adresse à tous ceux qui estiment que le contenu des accords de La Havane sont insuffisants, à commencer par l’ancien président Alvaro Uribe et son parti, Centre Démocratique. Ce secteur s’appuie sur des fractions minoritaires de la bourgeoisie, à l’image des éleveurs et des grands propriétaires, qui se sont appropriés au cours du conflit de plusieurs centaines de milliers d’hectares de terres arables grâce aux déplacements massifs de paysans en raison du trafic de drogue et des violences paramilitaires et qui craignent que leurs « acquis » soient remis en cause.

Uribe critique les accords de « paix », notamment les points relatifs à la « justice transitionnelle ». Selon lui, cette disposition protégerait les chefs guérilléros de poursuites alors que les responsables de la police et de l’armée accusés de crimes contre l’humanité auraient à rendre des comptes à la justice. Il n’en est rien. Indépendamment de cas isolés de responsables des forces de répression dont l’implication dans ces crimes est de notoriété publique, l’armée comme la police en tant qu’institutions sont protégées. Par ce biais, Uribe tente également de capitaliser en fonction de son propre agenda politique le rejet des FARC qui existe au sein de secteurs de la population et qui a été généré sous sa présidence mais également par Santos lorsqu’il était ministre de la défense de même que les grands groupes de presse colombiens qui ne se sont pas privés, ces dernières années, de tirer profit de l’isolement relatif des FARC vis-à-vis de la population et de monter en épingle l’impact négatif de certaines actions menées par les guérillas.

Néanmoins, le plan de « paix » de Santos réussi à générer un certain consensus dans la mesure où il s’agit de l’option la plus sérieuse pour la bourgeoisie. De son succès dépend la possibilité, pour le régime, de se refaire une légitimité à travers une sorte de « réconciliation nationale », et ce alors que la Colombie est l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine. La « paix », par ailleurs, permettrait d’alléger les dépenses militaires de l’Etat (« la paix coûte moins cher que la guerre », a coutume de dire Santos), mais également d’attirer de nouveaux investissements étrangers pour relancer le « modèle » économique colombien alors que ce dernier fait face à de sérieuses difficultés.

L’économie colombienne est, en effet, sérieusement affectée par la chute du prix des matières premières, notamment du pétrole. Elle est en repli depuis 2014 et, cette année, la croissance ne devrait pas dépasser les 2,5%. Santos a eu recours jusqu’à présent à une série de privatisations, à commencer par le secteur de l’électricité, à plusieurs mesures d’ajustement et a en projet d’augmenter les impôts, à commencer par la TVA. Il doit faire face à un large front de mécontents dans les zones rurales mais également en province où des grèves sectorielles ou provinciales ont été organisées.


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