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Série

Big Little Lies : les milles rouages du sexisme et de la violence machiste

La série Big Little Lies est sortie en 2017. Trois ans plus tard elle est considérée comme l’une des séries de ces dernières années qui aborde le mieux à l’écran la question des violences de genre. Un succès qui tient à l’alliance réussie d'un travail cinématographique, et d'un travail féministe sur les personnages, les scènes et les dialogues.

Cécile Manchette

28 octobre 2020

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Crédit photo : HBO

« Qu’est-ce qu’il y a sous la surface de l’eau ? »

 
« Qu’est-ce qu’il y a sous la surface de l’eau ? »

interroge Madeline, l’un des personnages principaux de Big Little Lies, alors qu’elle fixe la mer depuis sa villa longeant les côtes californiennes. « Des monstres ? » lui répond sa fille, « des monstres peut-être » lui rétorque pensivement sa mère. En effet, la série nous plonge dans l’univers aseptisé de la ville de Monterey où réside majoritairement une partie de la haute bourgeoisie américaine. Ce qui s’étale à perte de vue est la richesse et l’apparente tranquillité de familles qui ont bien plus que l’argent nécessaire pour vivre.

Pourtant, dès le début, on apprend qu’un crime est venu perturber le cours de la vie à Monterey. On ne sait pas qui est la victime. Par contre, des habitants de Monterey interrogés dans le cadre de l’enquête de police, jugent que le ou la coupable est à chercher du côté de plusieurs femmes de la ville, et de leurs conjoints.

Ces femmes sont les personnages principaux que l’on découvre et suit tout au long de la série. Elles s’appellent Madeline interprétée par Reese Witherspoon, Céleste (Nicole Kidman), Renata (Laura Dern), Bonnie (Zoé Kravitz), et Jane (Shaileen Woodley). Leur point commun est d’habiter dans cette ville gouvernée par les préjugés, les jugements, et les violences, des plus petites aux plus grandes.
Dans le premier épisode, un incident survient et semble constituer un point de basculement vers une situation où les choses ne vont faire que s’envenimer.

Alors que toute la petite ville de Monterey s’agite autour de la rentrée scolaire, le premier jour est marqué par un accident : une élève s’est faite étranglée par un autre élève. L’institutrice réunie tous les élèves et leurs parents, et demande à l’élève agressée, Amabella, qui est la fille de Renata, une femme d’affaires, de pointer le coupable. Elle désigne alors Ziggy, le fil de Jane, une femme fraichement arrivée dans la ville. Autour de cet évènement et des préjugés que les mères et femmes entretiennent les unes sur les autres, les tensions et les clans s’organisent. Dans ce premier épisode les assertions sexistes se succèdent sur les femmes de Monterey dépeintes comme des femmes jalouses, compétitives, faiseuses d’histoires, colériques et ainsi suspectées, pour ses raisons, d’être à l’origine du crime.

La majorité des protagonistes n’ont a priori rien d’« aimable », ni d’héroïnes. Madeline, Renata, Céleste, Jane, Bonnie sont à la fois les protagonistes et les prisonnières de cette ville ennuyeuse d’ultra riches repliés sur eux-mêmes.
Ce que la série parvient surtout à faire est dresser une généalogie de la violence machiste. Parce que bien plus qu’une série policière, dramatique, ou un portrait de la bourgeoisie américaine, il s’agit ici de l’exploration des mécanismes et des milles visages du sexisme et de la violence machiste, de comment elle façonne des parcours de vie, les rapports hommes-femmes ou des femmes entre elles, et des personnalités, féminines et masculines. D’où vient la violence ? interroge la série. Pas héréditaire, génétique nous dit-on mais apprise, socialement et plus encore perpétrée par les institutions (scolaires, et aussi judiciaires comme on le découvre plus tard dans la série).

Dans de nombreuses scènes les adultes rient, discutent mais aussi se disputent, se mentent, se violentent sans se rendre compte voire en ignorant la présence des enfants ou en sous-estimant leur capacité à sentir, comprendre, intérioriser et reproduire ce qu’ils ont vu ou entendu.

Quelle est la frontière entre le secret et le mensonge ?

Quelle est la frontière entre le secret et le mensonge ? D’autant plus quand on est victime d’une agression comme Amabella, de violences conjugales comme Céleste ou de viol comme Jane. Quelles sont les conséquences profondes des violences sexistes et sexuelles sur les victimes ? La série parvient à décrire les mécanismes, notamment d’emprise, qui s’instaurent dans un rapport de violences conjugales, et plus largement dans toutes les situations de violences, ainsi que les conséquences psychologiques sur la victime, la honte, le déni, la culpabilité, l’isolement, l’intériorisation du sexisme, de la violence et le retournement de la violence contre soi ou/et l’autre.

Les liens entre les femmes se tissent autour des petits ou grands secrets qui les unissent en réponse au patriarcat et aux violences : cela va de la volonté qui les anime de vivre au-delà de leur rôle d’épouses ou de mères fidèles et dévouées, jusqu’à leurs confidences difficiles sur les violences qu’elles ont subies.

« Qui ne pardonne jamais, n’oublie jamais » dit Céleste à Madeline et Jane, au début de la saison : comment pardonner à ceux/celles qui nous violentent ? Peut-on un jour oublier, pardonner, guérir des violences sexistes et sexuelles ? Des questions qui ouvrent également sur la question du désir de vengeance, de réparation et de la reconnaissance de ces violences par son entourage et la justice ? De longs échanges entre Céleste, victime de violences conjugales, et sa psychologue retranscrivent le long parcours que cela constitue pour une femme victime de violences d’en sortir, et ce qui continue à la hanter souvent longtemps par la suite. Au cours des deux saisons la série questionne également le combat douloureux que représente le fait de se confronter à la justice qui ne condamne et reconnait que rarement ces violences, et ne prend pas en compte leurs conséquences sur les victimes.

 
Tout au long de cette série contemplative on explore les contradictions de ces femmes, qui font échos à celles de toutes les femmes, et leurs violences, celles qu’elles subissent mais aussi celles qu’elles peuvent exercer. C’est dans le courage de regarder en face la réalité de toutes ces violences invisibilisées et de toutes ces contradictions, souvent incomprises, générées par le patriarcat que réside aussi la force et l’espoir de s’en libérer.


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