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Billet de l'Education nationale

Blanquer en défenseur des libertés ?

Mensonges, hypocrisie et instrumentalisation.

Christa Wolfe

21 octobre 2020

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Crédit Photo : O Phil des Contrastes

Avec l’assassinat terrifiant de Samuel Paty, vendredi 16 octobre à Conflans Ste Honorine, le gouvernement s’est lancé dans une vaste campagne d’instrumentalisation et de récupération, agrémentée d’un saut sécuritaire et raciste. La mort tragique de Samuel et l’émotion bien naturelle qu’elle a suscitée chez les enseignants offrent à un ministre, qui ne s’est jamais privé de les mépriser tous les jours, une occasion en or de faire l’étalage de son émoi, de sa bienveillance et de ses convictions. Désormais, à en croire le gouvernement et Blanquer lui-même, personne n’a jamais été plus soucieux de la liberté d’expression des profs et de leurs droits en tant qu’enseignants. Vraiment ?

Est-ce que ce sont nos têtes qui tournent, ou Blanquer est-il en train de s’autoriser une volte-face rhétorique inouïe ? On parle bien du ministre qui depuis 2017 a imposé par la force, et contre toutes les critiques pédagogiques des enseignants eux-mêmes, une réforme du lycée et du bac, supprimant le caractère national de l’examen de fin de Terminale ? On parle bien du ministre qui n’a jamais eu un seul mot pour les suicides des personnels, à l’exemple de Christine Renon à la rentrée 2019 ? On parle bien de ce ministre de l’éducation nationale, qui fait passer les épreuves des E3C grâce à l’intervention des forces de l’ordre et qui organise la répression de toutes formes de contestation, à l’exemple des 4 de Melle ? Et c’est ce ministre-là qui célèbre depuis vendredi la liberté d’expression et les libertés pédagogiques ? Être partout chez soi, c’est un talent typiquement bourgeois - mais ne pas sentir le malaise quand on est littéralement en train de faire passer des vessies pour des lanternes, c’est mépriser radicalement l’intelligence des enseignants face à une telle malhonnêteté ministérielle.

Et c’est à un tel ministre que les profs devraient confier leur émotion, le même qui se fichait du tiers comme du quart de leurs revendications jusqu’au jeudi 15 octobre ? Le même qui, depuis la rentrée, les envoie chaque jour sans protections - parfois même sans savon dans les toilettes - dans une situation de crise sanitaire en leur chantant que "Tout va bien" et maintenant, "Ils sont libres, les profs" ?

Cette liberté qui gêne le gouvernement aux entournures depuis 2017 et dont Blanquer prétend se faire désormais le défenseur ? De quoi parle-t-on, au juste ? Les profs sont libres de suivre les programmes et de dire ce qu’on leur demande de dire, c’est ça ? "Libres d’obéir", comme le rappelait amèrement un livre récent de Johann Chapoutot ? Mais libres de critiquer ? Libres de contester l’ordre inégalitaire qui structure notre société ? Libres d’exprimer des désaccords face aux "éléments de langage" du gouvernement ? Libres de dire que les ministres de l’éducation ne poussent pas sur les arbres, que cette société n’a rien d’une réalité naturelle, que les institutions sont des fabrications sociales traversées par les mêmes tensions et conflits de classe que la société ? Libres de montrer que l’histoire est toujours faite par les vainqueurs - ou comme le disait Howard Zinn : "Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera faite par les chasseurs" ? Est-ce que ce sont ces libertés-là auxquelles pense le tout nouveau "ministre des libertés pédagogiques" ?
Toujours est-il que le changement de discours creux, aussi soudain que révélateur, fait résonner de lointaines références à une oreille attentive : dans son ouvrage Sur le concept d’histoire, Walter Benjamin rappelle que dans la lutte des classes, la bourgeoisie "ne s’arrête même pas devant les morts" pourvu qu’elle trouve à les faire servir à l’oppression. Tous les mensonges et les faux-semblants de ces hypocrisies ministérielles montrent quel usage le gouvernement compte faire de l’assassinat monstrueux de Samuel Paty : "à l’heure qu’il est, l’ennemi n’a pas encore fini de triompher" comme l’écrivait Walter Benjamin en 1940.


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