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Interview

Blocus au lycée Simone de Beauvoir : « Pour eux, les lycéens de banlieue ne sont que du bétail »

Au lycée Simone de Beauvoir de Garges-lès-Gonesse, le blocus mené par les élèves et soutenu par leurs professeurs se poursuit. Tous exigent plus de moyens pour de meilleures conditions de travail et d’étude. Ils condamnent le mépris des responsables de l’administration du lycée et de l’éducation nationale. Révolution Permanente est allé à la rencontre des élèves mobilisés.

Augustin Tagèl


et Louis McKinson

13 décembre 2022

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Crédits photos : Révolution Permanente

RP : Pouvez-vous nous expliquer les raisons du blocus et les revendications des élèves ?

Ce blocus du lycée est la continuation directe de celui qui s’est tenu pendant une semaine à partir du 17 octobre. Nous n’avons pas été entendu, alors nous reprenons. Nous avions d’ailleurs toujours précisé que ce ne serait qu’une suspension du blocus.

Nos revendications sont simples, le lycée manque de tout : de moyens, de tables, de chaises, de matérielles informatiques fonctionnelles, de connexion internet. Il manque également de personnel. Par exemple, lorsque les PC fournis par la région tombent en panne, c’est aux AED ( assistants d’éducation) de les réparer, mais ils ne sont pas là pour ça, ce n’est pas leur formation ! Imaginez, pour recenser le matériel manquant, on nous avait demandé, nous élèves, de faire l’inventaire, à 6h du matin. Évidemment, profs et élèves, nous avons tous refusé.

Avec l’arrivée du froid, il y a eu de multiples demandes d’élèves et d’enseignant de lancer les chauffages du lycée. Ils ont été activés quelques jours puis plus rien. Les rideaux tombent en lambeaux, les fenêtres sont cassées ou ferment mal. Nous devons continuer d’aérer avec le covid, et il fait de plus en plus froid. Sans chauffage avec de telles températures, il devient presque impossible d’étudier. C’est terrible de se dire que dans un lycée en France il n’y a pas de chauffage, en plein milieu de l’hiver.

Il y a également eu un décalage de nos épreuves d’oraux blancs, pour le bac. Par manque de moyens, nous a-t-on dits. Le bac blanc écrit devait avoir lieu le 7 janvier, il a déjà été décalé au 21, et les professeurs se battent pour organiser un oral blanc le 23. Sans quoi les seuls oraux blancs que nous aurons seront en mai, c’est-à-dire juste avant les épreuves qui ont lieu en juin. Or, nous avons besoin de cet entraînement ! L’administration s’obstine à nous le refuser.

À côté de tout cela, il y a les remarques racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, grossophobes, tenues par une responsable administrative, et les comportements indignes qui vont avec. Cela touche tout le monde, les élèves, les profs, les parents d’élèves. Ces propos nous choquent, venant d’une personne qui est supposée aider les élèves et gérer un lycée !

Pensez aux élèves, qui se lèvent tôt tous les matins, pour aller dans un lycée sans chauffage alors qu’il fait 0°C dehors, sans matériel, tout en se faisant insulter. C’est évident que ça ne donne aucune motivation et que ça pèse lourdement sur le moral.

Nous avons tous une lourde pression sur les épaules, et après et l’administration s’étonne que de plus en plus d’élèves tombent en dépression, ou accumulent les problèmes psychologiques. À ce propos, ce qui est choquant, c’est qu’au début de l’année, avant que la psychologue n’arrive sur le site, c’étaient les professeurs qui s’occupaient des dossiers des élèves dépressifs. Et la psychologue n’est là que deux jours par semaine, ce qui est largement insuffisant. L’infirmière du lycée doit gérer des élèves en situation dépressive grave, elle-même ne s’en sort pas, ce n’est pas sa formation et son rôle. Voilà nos revendications : des moyens, du chauffage, et du personnel.

RP : Quelles ont été les réponses de l’administration, du ministère ?

On accumule les problèmes dans ce lycée, mais chaque fois, ils sont minimisés. La première réponse, c’est l’infantilisation. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde où on attend toujours plus de nous en tant qu’élèves et futurs citoyens, mais quand on demande les outils pour réussir ou progresser, on nous traite de feignants, de capricieux, on nous dit que c’est l’adolescence, l’immaturité. Mais nous sommes des enfants quand ça les arrange, quand nous avons des problèmes scolaires par exemple, le discours change : « tu es un adulte, tu es responsable » etc...

Dès que nous nous plaignons de la situation, que nous demandons qu’elle soit réglée, nous sommes ignorés ou méprisés, parce que nous sommes « juste des élèves », des jeunes. Nous sommes aussi des êtres humains ! Certains passent leur temps à relativiser la situation, en disant que dans tel pays c’est pire, mais nous sommes en France ! La base, c’est d’avoir du chauffage et des fenêtres qui ferment !

Nous avons appris qu’aujourd’hui, le 13, une équipe allait venir évaluer le lycée. Ce soir, il y aura un conseil d’administration exceptionnel, du fait du blocus. Sans la mobilisation, il ne se serait rien passé. On sait déjà qu’on n’aura pas toutes réponses, mais on maintient la pression parce qu’on exige des avancées. Ils nous demandent toujours de les croire, mais nous voulons des preuves. Ces dernières semaines, ils ont déjà tenté de nous endormir avec des questions de procédures et de délais administratifs, donc on a relancé le blocus pour réveiller l’administration. On sait bien que si au-dessus, la décision est prise, elle sera appliquée, et que ça peut aller vite. Ce n’est qu’une question de volonté. Je veux bien qu’il y ait des délais, mais un mois pour changer un rideau, c’est absurde !

RP : Vous avez été soutenu par les professeurs pour ce blocus, il y a même eu une grève, ils sont venus avec vous ?

Pour la plus grande majorité, les professeurs nous soutiennent complètement. Certains ont aussi été victimes des propos de la responsable de l’administration et ils souffrent aussi du manque de moyens du lycée pour faire cours. Tout le monde sait que ça va mal dans cet établissement, même la mairie pense la même chose. Tout le monde en a conscience.

RP : C’est la grande contradiction, un constat très partagé, mais très peu de bruit finalement ?

Sur place, nous avons été soumis à une forme de répression. L’administration tente d’étouffer l’affaire. Avant la fin du premier blocus, des parents ont été appelés, avec un message sur l’Espace numérique de Travail en ligne (ENT) pour stigmatiser certains élèves qui y avaient participé.

Mais on se bat pour nos droits, on est tout sauf naïf. Il faut se mobiliser sans quoi on se fait marcher dessus, et ça ne s’arrêtera pas, ce n’est pas ce que nous voulons pour nos petits frères, nos petites sœurs, et plus tard nos enfants même. C’est comme si demain notre futur patron nous écrasait, nous ne resterons pas sans rien faire, on ne se laissera pas marcher dessus sans rien dire.

RP : Comment s’est organisé le blocus ?

Des élèves en ont pris l’initiative, ils en ont parlé à tout le monde, pour les convaincre de la nécessité de cette action. Puis il y a eu l’arrivée d’autres élèves, des parents, des profs, ça s’est fait petit à petit, mais rapidement. Tout le monde pense la même chose sur la situation.

RP : Ces problèmes étaient déjà partagés avec d’autres lycées, avec d’autres mobilisations, avez-vous des contacts avec eux ?

Non avons peu de contacts, mais ça pourrait être pertinent de les développer.

RP : Comment vous voyez la suite dans ces conditions d’études ?

On n’imagine pas travailler dans ces conditions. Si on laisse passer ça, ils en profiteront pour nous imposer des conditions encore plus dures, aux motifs qu’il n’y a plus de moyens. C’est inadmissible, personne ne peut travailler dans de telles conditions.

Au prétexte que chaque année, des élèves ont leur bac, on attend que les générations suivantes réussissent aussi, mais c’est un raisonnement absurde parce que les conditions de travail se dégradent chaque année. On a décidé de faire entendre notre voix, ce n’est pas un combat que pour nous, mais aussi pour ceux qui viendront après. On pense à tous les futurs élèves. Si personne ne se mobilise ça ne changera jamais.

RP : Quelles suites voulez-vous donner à la mobilisation si vous n’obtenez pas satisfaction ?

On continue, même si ça va être dur, on ne peut pas s’arrêter maintenant. Ils veulent faire du chantage, ils nous demandent de cesser le blocus pour commencer à discuter, mais on ne tombera pas dans le panneau.

RP : Comment ressentez-vous la politique générale du gouvernement envers les établissements des quartiers populaires ?

Nos quartiers sont délaissés, nous n’avons pas les mêmes droits, les mêmes moyens qu’un lycée parisien par exemple. De plus, le gouvernement nous stigmatise, nous donne une réputation exécrable, une image violente notamment. Pour eux, les lycéens de banlieue ne sont que du bétail, rien de plus que des chiffres.

RP : Que vous a appris la lutte ?

Ce combat nous a donné un autre point de vue, nous sommes bientôt tous adultes et on a une nouvelle vision, de ne pas se laisser faire, de ne pas accepter des conditions de travail et d’étude aussi déplorables. Nous sommes français comme les autres, alors pourquoi on aurait ces conditions-là, pourquoi aurions-nous moins de chances de réussir que les autres ? Les grands principes, ils en parlent beaucoup, mais ils ne sont jamais appliqués ici. Le mot « égalité » il n’y a que dans la devise nationale qu’il apparaît.


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