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Collectif féministe « Pan y Rosas »

« Bread and Roses » : Du pain, des roses, de la poésie et du rock

Andrea D’Atri et Malena Vrell “Ce que veulent les femmes qui travaillent c’est le droit à vivre, et pas seulement à exister – le droit aux bonheurs de la vie auxquels seulement les femmes riches peuvent accéder, le droit à la lumière du soleil, à la musique, à l’art. Il n’y a rien dont les femmes travailleuses ne devraient pas avoir le droit. Les travailleuses doivent avoir le droit au pain, mais aussi aux roses”. Rose Schneiderman, ouvrière étatsunienne 1912

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De Rose Schneiderman à Ken Loach, en passant par le film Pride, où la voix de la chanteuse étatsunienne Mimi Baez, le slogan « pour le pain et pour les roses » a été de nombreuses fois repris pour rendre compte de la combattivité des femmes travailleuses, mais aussi, et peut-être surtout, pour transmettre en héritage un des éléments les plus profonds notre lutte. Loin du simple droit « d’exister », de « survivre » (le pain), la lutte des femmes se mène aussi pour tout ce qu’il y a de beau, de bien, de libre, dans la vie (les roses), tout ce qui nous est arraché, que nos conditions d’existence nous empêchent d’atteindre. Plus d’un siècle après, à l’image des ouvrières étatsuniennes du textile, nous sortirons toujours dans les rues pour réclamer notre droit au pain, mais aussi aux roses.

Du mythe fondateur aux luttes d’aujourd’hui

« Pour le pain et pour les roses » s’exclame pendant une grève en 1912 l’ouvrière Rose Schneiderman. On ne peut pourtant pas être certains que ce soient ces paroles qui aient inspiré le poème « Pain et roses » de James Oppenheim, poète ouvrier de l’organisation « Travailleurs Industrielles du Monde » (IWW), ou si ce fut le contraire, ou si c’étaient plutôt ces jeunes ouvrières du textile qui, lors de la célèbre grève connue par la suite comme la « grève Du Pain et des Roses » en 1912 à Massachussetts, ont porté des pancartes avec ce slogan. Le flou dans les origines du mythe fondateur est bien souvent la marque que celui-ci a précisément dépassé le cadre de l’événement historique pour représenter un sentiment partagé de façon plus large, un patrimoine transcendant l’espace-temps.

Quoi qu’il en soit, c’est le même contenu et les mêmes revendications qui se détachent des trois origines postulées, et c’est l’ensemble de ces éléments qui se trouvent à leur tour à l’origine du nom donné au collectif féministe « Pan y Rosas », qui depuis 10 ans, n’a cessé de grandir en Amérique Latine (Argentine, Mexique, Chili, Brésil, Bolivie, Uruguay), et commence à s’installer en Europe (État espagnol). Impulsé au début des années 2000 par des militantes du PTS en Argentine et des étudiantes et travailleuses indépendantes, celui-ci s’est forgé dans les luttes ayant suivi la crise économique qui a frappé le pays en 2001. Les images de la vidéo se trouvant à la fin de cette article, retracent l’histoire de ce collectif, qui est l’histoire d’une tradition qui se compose au rythme de toutes ces voix de femmes qui chantent, qui dénoncent, qui luttent pour leur droit au pain, mais aussi aux roses.

Du poème à la chanson, de la chanson aux mobilisations

« Nos vies ne seront pas passées à suer de la naissance à la mort
Le cœur a faim tout comme le corps.Donnez-nous du pain, mais aussi des roses (…) »

Un demi-siècle a dû s’écouler pour que les vers de James Oppenheim redeviennent des actes dans la lutte des ouvrières étatsuniennes du textile, pour qu’ils se transforment en chanson, grâce à l’adaptation de Mimi Baez, plus connue comme Mimi Fariña – la sœur de la célèbre Joan Baez –, et pour qu’ils signent le leitmotiv du collectif éponyme créé par la chanteuse. En plein milieu des mouvementées années 70, Mimi fonde donc le collectif « Pain et Roses », dans le but de rassembler des groupes et des musiciens pour emmener la musique et l’art (les roses, en fin de compte) aux hôpitaux, maisons de retraite et prisons. Elle y consacrera une bonne partie de sa vie, et matérialisera par ce biais une conception de la musique et de l’artiste engagé très caractéristique de l’époque. Dans les années 1980, ce collectif lui permettra d’organiser un certain nombre de concerts protestataires, contre les guerres civiles soutenues par les Etats-Unis au Guatemala et au Salvador. Aussi bien que Fariña, la chanteuse Judy Collins a interprété des centaines de fois la chanson de son amie. Bread and Roses (1976) deviendra d’ailleurs le titre d’un de ses albums les plus célèbres, et surtout, le plus politique, en plein cœur de l’impérialisme, précisément pour batailler contre celui-ci.

« Pendant que nous avançons, que nous avançons, nous nous tenons bien droit. Quand les femmes relèvent la tête, c’est nous tous et toutes qui la relevons. Nos vies ne seront plus exploitées de la naissance jusqu’à la mort (…) »

Non, elles ne le seront plus, le disaient les ouvrières étatsuniennes du textile. Non, elles ne le seront plus le répètent aujourd’hui les ouvrières de Zanon, de Madygraf, de LEAR : ces travailleuses combatives, infatigables, inébranlables. Alors qu’il y a plus d’un siècle, un poète ouvrier cherchait à leur rendre hommage, aujourd’hui, un ouvrier musicien - un de ceux qui volent quelques minutes à la fatigue et à l’aliénation pour se consacrer à l’art – offre sa voix au service des travailleuses, du cri de guerre des travailleuses, de la joie, de la lutte des travailleuses, pour que l’ensemble des voix répète à l’unisson :
«  Nous partagerons les gloires de la vie, le pain et les roses, le pain et les roses ».

Cette vidéo a été réalisée par des camarades de Zone Industrielle TV. La chanson est une version libre du poème « Pain et Roses » de James Oppenheim, adaptée et composée musicalement par Gustavo, ouvrier de l’usine Kraft en Argentine. Elle a été interprétée par un groupe de rock de travailleurs sympathisants.

« Pour les 30 000 disparus de la dictature, pour les victimes de l’AAA (Alliance Anti-communiste Argentine), pour notre camarade Julio López, disparu par les forces de l’ordre, pour la lutte des femmes contre la violence et l’oppression, tou-te-s ensemble au cri de #NiUnaMenos et parce que nous luttons pour mettre fin à la barbarie capitaliste dans le monde entier, oui, je jure ».

La vidéo s’ouvre sur le discours de Myriam Bregman, lors de sa prise de fonctions en tant que députée nationale pour le PTS au sein du FIT. Bregman, ainsi que Noelia Barbeito (3:45) à Mendoza, ou Laura Vilchez à Córdoba (5 :59), comptent parmi les figures des femmes combatives du PTS bataillant depuis leurs postes pour la politique défendue par Pan y Rosas. La bataille de Pan y Rosas, de même que celle des député-e-s pour le FIT, ne saurait pourtant se réduire à la bataille parlementaire, c’est bien le contraire qui les caractérise, et c’est pourquoi Bregman, Barbeito, Vilchez, mais aussi Andrea D’Atri, fondatrice de « Pan y Rosas » (2:56) et les femmes du PTS dans leur ensemble, descendent dans les rues aux côtés et en tant que femmes travailleuses et jeunes femmes pour mener la bataille pour l’obtention des droits depuis le seul espace ayant fait trembler et bouleverser les bastions du système. Rassemblements, manifestations, occupations, coupures d’autoroutes, on les gaze, on les réprime, mais on ne les fait pas flancher. Victoria Moyano, enfant récupérée et fille de militants disparus sous la dictature, le prouve très bien dans cette vidéo (5:04), défiant la gendarmerie qui est venu réprimer les travailleurs-se-s lors d’une coupure d’autoroute.

Pan y Rosas est ainsi la conjonction de la trajectoire et de la combativité de ces femmes n’ayant plus rien à perdre que leurs propres chaînes. Pan y Rosas ce sont les femmes de LEAR (1:14) qui ont coupé à plusieurs reprises l’autoroute argentine en 2014 pour lutter contre les licenciements et qui avec celles de l’ex-Donnelley devenue Madygraf (2:11), sous contrôle des travailleur-se-s, ont crié haut et fort : « plus jamais de familles dans la rue ». Ce sont aussi Valeria y Máxima (3:52) militantes trans qui dénoncent l’hypocrisie des gouvernements les utilisant comme caution de gauche en période électorale. Et ces jeunes dissident-e-s sexuel-le-s chilien-ne-s qui s’organisent « contre toutes les oppressions et en indépendance de l’État, de l’Église et des patrons » (4:00). Ce sont les femmes immigrantes qui rejoignent l’Argentine en fuyant la misère des pays voisins (1:28), qui ont combattu contre la « précarité au visage féminin » et la plupart du temps, celui des femmes noires, à l’Université de Sao Paulo au Brésil (6:15),, celles qui dans les mobilisations #NiUnaMenos ont dit haut et fort « l’État est responsable » (5:47). Ce sont celles qui se sont solidarisées avec #Yaki (2:25) au Mexique, emprisonnée pour s’être défendue de l’homme qui l’a violé, et celles qui dans l’État espagnol redonnent un contenu de classe au 8 mars, de la main des ouvrières des Panrico en grève (6:8). Celles qui viennent de naître en Bolivie, en Uruguay, qui se rependent, qui n’ont pas peur et qui chantonnent sous le fondu enchaîné qui clos la vidéo :

« Ils vont voir, ils vont voir, ils ne pourront pas nous vaincre ».


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