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Entre crise politique et crise économique

Brésil. Coup d’Etat ou coup de théâtre ?

Ces derniers jours le Brésil a été marqué par des manifestations contre et en appui au gouvernement de Dilma Rousseff du Parti des Travailleurs (PT). Ces mobilisations se tiennent dans le cadre d’une situation de polarisation et de crise politique suite aux scandales de corruption à répétition et aux difficultés économiques que le pays connaît depuis plusieurs mois.

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Moins d’un an après sa réélection, le gouvernement de Dilma est devenu le gouvernement le plus impopulaire de l’histoire du pays : seulement 8% d’opinions favorables. Le dernier facteur qui a fortement affecté la popularité du gouvernement du PT c’est le grand scandale de corruption autour de la compagnie pétrolière nationale Petrobras révélé à la fin de l’année dernière.

Plusieurs dirigeants du PT, de Petrobras et de grandes entreprises du BTP et d’ingénierie sont impliqués dans un schéma de pots de vin pour obtenir des contrats surfacturés pour réaliser des travaux et offrir des services au géant pétrolier brésilien.

Alors qu’en 2005 un autre scandale de corruption avait touché le PT, la conjoncture économique favorable avait permis à Lula Da Silva être réélu président. Cette fois la mauvaise situation économique du pays ne fait que renforcer la crise politique.

Polarisation politique

C’est ainsi que s’est développé un mouvement contestataire des secteurs conservateurs et des classes moyennes exigeant l’ouverture d’un processus de destitution de Dilma au parlement. C’est ce secteur qui s’est manifesté très massivement en mars et avril dernier et qui vient d’organiser la dernière manifestation dimanche 16 août. Cependant, malgré les images impressionnantes qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les journaux internationaux, la dernière mobilisation semble montrer une perte de vitesse.

Selon les observateurs locaux dans plusieurs villes importantes, notamment à Sao Paulo, le nombre de manifestants n’a pas été à la hauteur de ce que l’on avait prévu, certains parlent même d’un recul du nombre de participants.

Il y a plusieurs raisons qui expliquent cela. Parmi les plus importantes on peut mentionner le fait que ces manifestations sont composées des classes moyennes aisées blanches des grandes villes. Cela a comme conséquence que les revendications portées par les manifestants n’ont rien à voir avec les besoins des classes populaires. Bien au contraire elles ont une rhétorique très antipopulaire, certains défendant ouvertement une « intervention » de l’armée.

Quant à la manifestation pro-gouvernementale de jeudi, elle a été nettement plus petite que celle contre le gouvernement : les chiffres varient selon les sources mais d’après l’agence de sondages Datafolha, à Sao Paulo il y aurait eu 40.000 personnes à la manifestation pro-Dilma alors que celle du dimanche aurait rassemblé 135.000 personnes.

Une autre donnée intéressante de la manifestation soi-disant pro-Dilma c’est que seulement 54% des participants approuvent la politique du gouvernement. Le député fédéral José Guimarães a même déclaré qu’à Fortaleza (dans le nord-est du pays) il y avait plus de pancartes exigeant un changement dans la politique du gouvernement et des programmes sociaux que de pancartes en soutien à Dilma et au PT.

Ces éléments sur les manifestations « anti-impeachment », qui étaient composées de secteurs plus populaires que celles de la droite, montre qu’il existe un mécontentement grandissant avec le gouvernement de Dilma parmi les travailleurs et la jeunesse.

Le patronat essaye de temporiser

Un autre élément qui pourrait expliquer la faiblesse relative des mobilisations de dimanche contre Dilma c’est le fait que le patronat et la presse capitaliste depuis quelques jours ont pris clairement parti pour calmer la situation et éviter que la crise politique s’aggrave et vienne s’ajouter à la situation économique difficile.

C’est pour cela que conjoncturellement le grand patronat brésilien considère que ce qui est à l’ordre du jour n’est pas la destitution de Dilma et l’ouverture d’une situation politique incertaine mais l’application de « réformes ». Le patronat prône la « responsabilité » pour mener à bien les réformes qu’il considère « prioritaires » : créer un climat favorable aux affaires que les scandales de corruption détériorent, réduire les dépenses publiques (programmes sociaux), réduire la taille de l’Etat (privatisations)…

Evidemment, rien n’est dit sur les problèmes des classes populaires comme le chômage (qui ce mois-ci a atteint presque 8%), l’inflation qui sera de 9% cette année, le problème chronique du logement, les hausses dans les factures d’eau et d’électricité, etc. La bourgeoisie entend que le gouvernement de Dilma soit une sorte de gouvernement de « transition » qui fasse le « sale boulot » d’ici 2018, lors des prochaines élections présidentielles.

La droite embarrassée

Cette position du patronat brésilien met dans une position difficile le principal parti de droite brésilien, le PSDB (Parti Social-démocrate du Brésil). En effet, il doit en même temps répondre aux intérêts du patronat et essayer de ne pas se couper de son électorat traditionnel qui est celui qui se manifeste pour exiger la destitution de Dilma.

Le PSDB ne peut et ne veut pas devenir le représentant politique des mobilisations anti-PT non plus. Il ne peut pas car il y a une méfiance générale envers les partis politique de la part des manifestants de droite. Souvent on lit des déclarations parlant du « manque de leaders » capables de substituer le PT et Dilma. En même temps, se lier trop aux secteurs qui se mobilisent serait se couper d’une partie importante de l’électorat populaire sans une partie duquel il est impossible pour le PSDB de gagner les élections présidentielles.

Parallèlement, il existe une lutte interne entre les différents leaders du PSDB. Alors qu’Aécio Neves, dernier candidat de la droite battu par Dilma en 2014, bénéficierait d’une destitution le plus rapide possible de Dilma, son principal rival interne, l’actuel gouverneur de l’Etat de Sao Paulo Geraldo Alkmin, a besoin de plus de temps pour se préparer à gagner la dispute interne et devenir le candidat du PSDB pour les prochaines présidentielles.

Pour un troisième pôle

Cette crise politique et de représentativité des partis bourgeois au Brésil est sans aucun doute liée aussi aux mobilisations populaires de juin 2013. A l’époque on avait vu la jeunesse et les travailleurs descendre dans la rue pour dénoncer les coûts des travaux pour la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques et en même temps les conditions désastreuses dans lesquelles se trouvaient les services publics comme la santé, l’éducation, les transports.

Aujourd’hui la situation tend à se polariser entre deux options bourgeoises et tout à fait antipopulaires : les secteurs de la petit-bourgeoisie conservatrice raciste et profondément anti-ouvrière d’une part ; et le gouvernement du PT et Dilma de l’autre qui sont en train d’appliquer des plans d’austérité contre les classes populaires, privatiser des entreprises publiques, sans parler des scandales de corruption dans lequel ses membres se trouvent embourbés.

Beaucoup de partis politiques d’extrême-gauche et d’organisations sociales justifient leur participation aux manifestations organisées par le gouvernement et ses organisations satellites par un supposé « danger de Coup d’Etat ». La réalité c’est que bien qu’il y ait des secteurs qui demandent ouvertement une « intervention militaire », le Brésil est loin d’être menacé par un Coup.

Au contraire aujourd’hui ce qui se pose pour les travailleurs, la jeunesse, les habitants des quartiers populaires et l’ensemble des opprimés c’est la construction d’un pôle d’indépendance de classe aussi bien de la droite que du gouvernement. C’est pour cela que nous soutenons l’appel que nos camarades du Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs ont lancé au PSOL à travers leur quotidien d’extrême gauche brésilien Esquerda Diario pour organiser avec l’ensemble des partis et organisations sociales indépendantes du gouvernement et du patronat une troisième mobilisation qui représente les intérêts des travailleurs et des classes populaires.


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