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Analyse

Brésil : au-delà de l’éternelle politique du « moindre mal », comment combattre le bolsonarisme ?

Diana Assunção est dirigeante du Mouvement révolutionnaire des travailleurs (MRT), organisation sœur de Révolution Permanente au Brésil. Dans cet article, elle débat avec le philosophe de gauche Vladimir Pinheiro Safatle sur le caractère du Bolsonarisme et la stratégie pour l’affronter.

Diana Assunção

27 octobre 2022

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Au Brésil, le résultat du premier tour des élections présidentielles interroge profondément les opposants au bolsonarisme. Comment est-il possible que des idées réactionnaires issues des bas-fonds de la dictature puissent avoir un tel écho dans la société ? Il est décisif, y compris dans la chaleur de l’élection, de saisir les desseins de ce phénomène d’extrême droite brésilienne, d’inspiration trumpiste.

À ce sujet, Vladimir Safatle [philosophe, chercheur, et théoricien critique brésilien, ndlr] présente une lecture très lucide des événements, qu’il présente comme une sorte de “révolution inversée” [ou “révolution conservatrice”, ndlr], mobilisant un discours à même de séduire près de la moitié de la population.

Safatle n’emploie pas le terme de “révolution” au hasard : le bolsonarisme a justement cherché au cours de ses quatre années au pouvoir à donner l’image d’un gouvernement opposé à l’Etat et l’oligarchie - en ciblant le pouvoir judiciaire et le Tribunal suprême fédéral (STF), les partis ou encore la presse. Oui, Bolsonaro est parvenu à mobiliser sur la base d’un projet idéologique et de société reposant sur la liberté individuelle et la croyance religieuse.

La notion de liberté issue du sein du libéralisme est très bien décrite par Safatle : "La responsabilité de l’enseignement est transférée aux individus (par l’école à domicile), le domaine de la santé est transféré aux individus (comme on a pu le voir lors de la pandémie, alors que l’État préférait verser des aides d’urgence plutôt que de consolider le système de santé), la sécurité, elle-aussi, est transférée aux individus (qui peuvent et doivent porter des armes). De même, toutes les obligations de solidarité envers les groupes plus vulnérables sont progressivement abrogées, car elles sont tacitement considérées comme des obstacles au bon déroulement de la lutte individuelle pour la survie”.

Fort de ces valeurs, le bolsonarisme s’est mobilisé de manière importante le 7 septembre [lors de la fête nationale célébrant l’indépendance du Brésil, ndlr], et a montré au travers des urnes une volonté persistante d’approfondir ce processus de “transformation réactionnaire”, ainsi que la peur d’un retour au gouvernement du PT et un fort sentiment anti-pétiste, comme facteurs importants dans la corrélation des forces.

Mais il n’est pas possible de comprendre l’émergence du bolsonarisme, et en particulier son renforcement, sans mentionner les bases économiques matérielles sur lesquelles il assoit son pouvoir. Nous nous référons ici à une extrême droite érigée sur les piliers économiques fondamentaux de l’après-crise internationale de 2008 et l’épuisement d’une politique de concessions qui visait à réconcilier le travail et le capital (uniquement dans le but de maintenir les profits capitalistes), en incluant les plus pauvres à la société aux travers des Bolsa Família ou en ouvrant l’accès à l’université.

Il n’est pas étonnant que les grands patrons de l’agrobusiness aient été parmi les principaux supporters du coup d’État institutionnel à l’origine de l’éviction du quatrième gouvernement PT. La soif de profit en période de crise s’est heurtée aux limites de la politique de conciliation du PT, dont les plans d’ajustements jugés trop timorés, ne permettaient pas d’assouvir le désir d’augmenter le taux de profit si nécessaire au maintien de l’ordre capitaliste.

Il faut nommer les choses telles qu’elles sont. Aurait-il été possible que les désirs les plus sombres de ceux qui se retrouvent dans le slogan “Le Brésil au-dessus de tous, Dieu au-dessus de tout”, se matérialisent dans un gouvernement Bolsonaro, sans la solide structure des diverses institutions de ce régime politique dégradé, telles que les forces armées, l’agrobusiness, le pouvoir judiciaire, les lobbys évangélistes et pro-armes ?

Non : la force réactionnaire verte-jaune s’est construite avec l’appui de ces piliers économiques et sociaux, qui ont été les mêmes interlocuteurs des gouvernements PT, et que les “politiques d’alliances pour la gouvernabilité” ont contribué à renforcer. De l’adresse de Dilma Rousseff aux évangélistes, promettant qu’elle ne légaliserait pas l’avortement, à l’actuelle proposition de Lula de créer des prisons de haute sécurité, les mains tendues aux institutions qui dictent la marche à suivre du pays montrent qu’il n’existe pas d’affrontement réel de la part du PT aux fondements du bolsonarisme.

Une fois ce constat établi, il est possible d’éclairer l’observation de Safatle, qui relève que la campagne de Lula n’est pas parvenue à une démonstration de force dans les rues équivalente à celle du 7 septembre dans le camp bolsonariste. Pour quelle raison ? Le texte de Salfate n’apporte pas de réponse à cette question, pourtant décisive pour saisir le caractère du 7 septembre et le bolsonarisme lui-même.

La rhétorique “anti-système” de cette “révolution inversée”, est justement le symptôme que la politique de conciliation du PT vis-à-vis des forces les plus obscures du régime politique, n’a pas ouvert la voie à un changement social graduel, mais au contraire, va dans le sens d’une dégradation de cette “démocratie des riches”. Le récit autour duquel le PT cherche à convaincre l’ensemble de la population est, comme le souligne Safatle, celui de la nostalgie envers un gouvernement passé qui avait "bien marché" et qui, précisément pour cette raison, avait suscité la réaction de la droite.

Il faut cependant noter que, si bien la bourgeoisie porte en elle une haine de classe qui voit dans le PT une représentation du prolétariat brésilien, son offensive n’est pas due au fait que le gouvernement du PT ait “bien” ou “mal fonctionné”, ce qui ne veut rien dire dans le cadre du capitalisme, dans lequel le rôle du gouvernement est d’administrer l’exploitation. La notion de bien et de mal ne permet pas de refléter les rapports de force entre les classes. Du point de vue des capitalistes, un gouvernement “qui fonctionne bien” assure des taux de profit élevés tout en maintenant la classe des travailleurs subordonnée, à mesures que cette dernière voit ses droits aller et venir au gré des crises, que les parasites capitalistes ont eux-mêmes créées.

En d’autres termes, on a semé l’illusion qu’en dépit du fait que l’exploitation soit maintenue, que le modèle de la sous-traitance se développe, il y aurait malgré tout peu à peu des améliorations et la conquête de nouveaux droits, et que pourraient être progressivement pensées des réformes plus profondes, pour lesquelles le compromis avec la droite bourgeoise et ses intérêts serait un prix raisonnable à payer. Mais le résultat de cette politique n’a été que la flexibilisation de la sous-traitance et par-là des conditions de travail, et le renforcement d’un régime politique et de ses alliés (comprenant l’église évangélique, l’agrobusiness, les forces militaires, et l’autoritarisme judiciaire).

La conclusion qu’ils ne veulent pas que nous tirions est précisément que la politique de conciliation contribue à renforcer la droite. Pourquoi ? Parce qu’à ce stade de la situation politique du pays, la seule manière d’éviter une mobilisation de masse extra-électorale contre Bolsonaro est de convaincre que la force n’est pas dans les mains de la classe ouvrière organisée aux côtés des mouvements sociaux et indigènes, mais plutôt que la solution reposerait sur les patrons, les banquiers, les propriétaires terriens, les leaders évangéliques, les militaires et libéraux de tous bords.

Que s’il n’a pas été possible de battre Bolsonaro au premier tour, c’est qu’il est nécessaire d’élargir encore l’arc de soutiens, y compris jusqu’à Joe Biden et son Parti démocrate, le plus vieux parti impérialiste du monde. Qu’il n’y a pas d’issue collective de classe, qu’il faut se subordonner aux mécanismes bonapartistes du régime lui-même et se rallier à l’une des majorités en lice. Tout au plus, le parti appelle à des mobilisations contrôlées par la bureaucratie, rejetant toute méthode de la classe ouvrière, comme les grèves et les manifestations.

Voilà pourquoi le PT n’a rien organisé de semblable au 7 septembre bolsonariste. Ni pour le 1er tour des élections, ni pendant les quatre années de gouvernement Bolsonaro, ni face au coup d’État institutionnel, à l’emprisonnement arbitraire de Lula, ou à l’approbation des contre-réformes. Leur poids prépondérant dans les plus grands syndicats du pays joue un rôle décisif de contention de la classe ouvrière et de son potentiel, divise les luttes et décourage des issues progressistes de classe. La stratégie proposée est celle du vote, main dans la main avec Alckmin et les patrons.

Dans son article, Vladimir Safatle tire la conclusion inverse de celle présentée par le PT sur son Front large. En s’appuyant sur l’exemple de Rio de Janeiro, où Marcelo Freixo [candidat soutenu par Lula, évincé dès le premier tour face au candidat bolsonariste, NDLR] s’est associé aux patrons et a transformé sa campagne en un culte évangélique de droite, Safatle démontre que le Front large a échoué. Que l’arc élargi d’alliances n’a pas servi à gagner à Rio de Janeiro. Il y a ici deux problématiques différentes : si Marcelo Freixo gagnait avec un gouvernement agenouillé aux forces policières, évangéliques et patronales de Rio de Janeiro, la conclusion serait-elle que le Front large était une politique correcte ? Deuxièmement, pourquoi cette conclusion ne s’appliquerait pas au niveau national, où le tandem Lula-Alckmin propose exactement la même stratégie ?

Il nous semble ici qu’il y a une question sous-jacente dans la réflexion de Safatle, qui mériterait d’être développée. En analysant la situation dans laquelle nous nous trouvons - à laquelle répondre n’est pas évident - Safatle démontre que la politique du Front large est aussi une affaire de chantage. Que la classe ouvrière et ceux qui détestent Bolsonaro sont acculés, et n’ont d’autre solution que de soutenir le Front large, qu’il n’y aurait ainsi que deux alternatives, en affirmant : "ces jours-ci, nous voyons des représentants du système financier qui, jusqu’à présent, ont soutenu Lula, déclarer que ce dernier devrait abandonner une bonne fois pour toutes les velléités de revenir sur les réformes du code du travail et clarifier son programme économique. C’est ce genre de choix forcé, dans lequel on perd dans n’importe quelle situation”.

Il poursuit : “Si Lula fait ce qu’on lui exige, il sera tout simplement à court d’arguments pour contrer Bolsonaro et n’a aucune garantie que l’élite libérale n’exigera pas toujours plus de lui en échange de son soutien. Au final, les promesses de Bolsonaro, qui a défendu les intérêts de l’élite brésilienne en tant que chien de garde, peuvent et vont finir par être plus audibles. En d’autres termes, nous aurons le pire des scénarios, qui consiste à perdre en silence. Mais si Lula ne fait pas ce qu’on lui demande, les libéraux auront également une justification pour l’abandonner, ce qui malgré tout nous laisserait plus de liberté pour faire ce qui compte vraiment : forger une alternative concrète tournée vers l’avenir et gagner les élections, en convaincant le peuple qu’un autre monde est possible."

La préoccupation autour de ce que Lula devrait ou ne devrait pas faire, au-delà de tendre vers la conciliation de classe, cède selon nous la place à une réflexion purement électorale, sans répondre à la problématique de savoir quel sujet social pourrait réellement porter les germes d’une alternative concrète tournée vers l’avenir. Le rôle de Lula, à l’heure actuelle mais aussi historiquement, a été de contenir cette possibilité.

Plus encore, il a été d’empêcher l’émergence d’alternatives à la gauche du PT, ces dernières se retrouvant toujours prises au piège d’un énième soutien à un quelconque Front large, toujours contre la menace de l’extrême droite, à laquelle tous nous nous opposons. Le PT réalise ainsi le double exploit d’articuler des alliances avec de larges secteurs du régime politique, justifiées par la lutte contre Bolsonaro, tout en muselant les forces de gauche qui aspirent à construire un projet alternatif.

L’accord même avec Alckmin, est en soi un élément de démoralisation de certaines bases, comme c’est le cas des enseignants de São Paulo, qui ont subi une importante répression durant son mandat. Le contrôle de la base par la démoralisation est un symptôme du rapport entre l’ampleur des alliances formées et la nécessité de domestiquer les bases. C’est pourquoi le rôle du PT dans l’endiguement des luttes et la fragmentation de la classe ouvrière et des mouvements sociaux doit être au cœur de toute réflexion.

Ici, la séparation entre programme et stratégie fait que les mots d’ordre suggérés par Vladimir Safatle, en soi corrects, se transforment en propagande abstraite et non nécessairement réalisable. En d’autres termes, il ne suffit pas de penser à nos objectifs (programme), il faut réfléchir à la manière et à la stratégie pour les atteindre (si l’on considère la stratégie comme une combinaison de tactiques isolées) et conquérir ce programme, afin qu’il ne soit pas juste couché sur le papier.

Cela ne sera possible qu’en parvenant à constituer de véritables "volumes de force" de la classe ouvrière et de la jeunesse, pour mener à bien la lutte pour ce programme. Mais il serait utopique de penser qu’une liste Lula-Alckmin, soutenue par Benjamin Steinbruch [banquier et patron brésilien, ndlr], qui défend qu’un travailleur devrait manger son déjeuner d’une main et continuer à travailler de l’autre, puisse se battre pour la réduction de la journée de travail à 35 heures par semaine. C’est une contradiction inhérente.

Peut-être que ce qui est exprimé ici est l’idée que Lula pourrait se transformer en un Salvador Allende, comme Safatle l’a exprimé dans un livre revendiquant l’expérience chilienne comme une alternative pour l’Amérique latine, en soulignant qu’il s’agissait d’un phénomène plus à gauche. Il n’entre pas, dans le cadre de ce texte, dans le bilan de l’expérience chilienne, sujet sur lequel nous avons débattu dans nos colonnes.

Mais il faut souligner que si au Chili les revendications étaient plus à gauche, c’est parce qu’elles étaient le fruit d’une radicalisation des masses, qui ont répondu aux putschistes par l’un des plus profonds processus d’auto-organisation de l’histoire, par les méthodes de la lutte des classes, contre laquelle la politique d’Allende constituait un obstacle plutôt qu’un catalyseur. Un autre élément important dans l’analyse d’Allende et de son "insurrection institutionnelle", présentée comme une "stratégie pour l’Occident", est que cette dernière a donné naissance à l’une des dictatures les plus sanglantes de la région, démontrant que cette politique institutionnelle était incapable de répondre aux aspirations de la classe ouvrière.

Mais revenons-en au Brésil : plus les alliances sont larges, plus le programme est faible en ce qui concerne les droits et la défense de la classe ouvrière. Et plus un éventuel nouveau gouvernement Lula-Alckmin sera conditionné aux nombreuses forces du capital assoiffées par l’augmentation de leur taux de profit.

En plus du chantage contre l’extrême droite, la nécessité de gouvernabilité sera également un argument pour décourager tous types de manifestations contre ce nouveau gouvernement, qui seront criminalisées comme des actions de droite. Comme ce fut le cas des journées de juin 2013, [contre les mesures anti-sociales du gouvernement Dilma, ndlr], accusées par le PT d’être la cause de l’émergence de la droite, et au sujet desquelles nous sommes presque entièrement d’accord avec l’analyse de Vladimir Safatle, l’un des rares à avoir combattu cette théorie.

C’est pourquoi, l’idée de Salfate est intéressante : pour lutter contre une révolution conservatrice, “il faut un projet politique en positif, qui ne soit pas uniquement basé sur la nostalgie du passé et la peur”. Cependant, la candidature Lula-Alckmin est un processus basé sur la crainte d’une extrême droite, que cette même politique de conciliation a contribué à favoriser. De cette façon, elle présage pour le pays un projet de subordination au capital financier plus important encore que lors des précédents mandats du PT.

Un projet au sein duquel une grande partie de la gauche agira, soit directement à l’intérieur du gouvernement, soit en se "divisant le travail" en intervenant dans les mouvements sociaux et les syndicats, en s’en servant comme des moyens de contention des processus de luttes, en cherchant à temporiser vis-à-vis du gouvernement Lula, le temps qu’il "mette de l’ordre dans la maison".

Ainsi, l’idée que la lutte contre le bolsonarisme se ferait dans le cadre des élections, en articulant une critique radicale de la notion de “liberté” individuelle agitée par la droite, et en réhabilitant l’antagonisme peuple/élite, semble insuffisante. Si nous assistons effectivement à une "révolution inversée", il n’y a alors pas d’autre issue que de préparer intelligemment la révolution de notre côté.

Le fait est que le Front large n’est pas du côté de la classe ouvrière, même s’il se présente aux élections contre Bolsonaro. Ces hommes d’affaires et patrons sont ceux qui soutiennent les contre-réformes et ne sont pas nos alliés, pas plus que le pouvoir judiciaire qui attaque nos droits, ni l’impérialisme américain qui continue à violer les droits des peuples du monde entier. Ils ne sont pas “un front démocratique” contre la barbarie, ils sont les soutiens de cette barbarie de "toutes sortes", y compris avec un visage plus "humanisé".

Le Front large n’est pas simplement une alliance électorale. Lula fait le choix conscient d’écarter les attentes du mouvement de masse vis-à-vis d’un gouvernement post-Bolsonaro qui reviendrait sur les attaques du coup d’État institutionnel. L’objectif est également de générer de l’apathie et de préparer psychologiquement à des ajustements façonnés à la sauce PT, plus acceptables que s’ils avaient été menés par un gouvernement d’extrême-droite - tout en maintenant les attaques les plus brutales du bolsonarisme. C’est une étape nécessaire pour décourager l’émergence d’une alternative à gauche et c’est le chemin le plus court pour faire accepter l’immobilisme des bureaucraties syndicales réformistes, rangées derrière Lula.

Il n’y a pas d’autre façon d’affronter cette situation qu’en mobilisant la seule force capable de vaincre le bolsonarisme et de proposer un autre projet de société, rejetant les alternatives visant à administrer le capitalisme. C’est la conclusion fondamentale que le PT et ses alliés ne veulent pas que le peuple travailleur tire. Celle que la sortie de crise est entre ses mains, que le combat nécessaire est celui pour l’unification des ouvriers, des travailleurs des transports, de la santé, des enseignants, des dockers, des opérateurs de télémarketing, des livreurs, des salariés du nettoyage, de la pétrochimie, de la construction, des étudiants des universités et des lycées, des stagiaires et des jeunes apprentis, des femmes, des noirs, des LGBTQIAP+, des indigènes, des personnes handicapées et de toute la force de la classe ouvrière aux côtés des secteurs opprimés.

Ceux-ci pourraient faire beaucoup plus qu’aller voter tous les 4 ans : en s’organisant en assemblées de base et en créant des coordinations de lutte entre quartiers, villes et états, mettant en place des commandements de mobilisation nationale avec des délégués élus à la base. Ce serait l’occasion de défendre un programme se confrontant directement à Bolsonaro, mais aussi aux représentants du patronat comme la FIESP [Fédération des Industries de l’Etat de Sao Paulo, ndlr] et la FEBRABAN [Fédération brésilienne des banques], qui survivent grâce au sang des travailleurs. Nous devons revendiquer la révocation totale de la réforme du travail, des retraites, de la loi sur le plafonnement des dépenses publiques et de la sous-traitance sans restriction.

Réduction de la journée de travail sans réduction de salaire ! Droit à un avortement légal, sûr et gratuit ! Egalité de rémunération entre les hommes et les femmes, les Noirs et les Blancs ! Ces revendications ne peuvent être arrachées que par la lutte des classes : grèves, piquets de grève, soutenus par des parlementaires qui défendraient cette perspective. C’est le seul langage que la bourgeoisie comprend, comme l’histoire l’a montré. Ce n’est pas un chemin facile, mais il est nécessaire que la gauche se mette en branle dans cet objectif.

Si nous sommes effectivement dans une période d’extrêmes, comme le souligne Safatle en reprenant Eric Hobsbawm, la stratégie consistant à se positionner au "centre" en cherchant le "consensus" avec nos ennemis est une impasse qui coûtera cher à notre classe. Il y a donc un dialogue nécessaire à avoir avec l’intellectualité de gauche qui s’interroge sur sa place dans le combat politique.

Comment articuler le combat contre l’extrême droite, en tirant les leçons de la politique de conciliation, afin de construire une issue indépendante ? Quelles seront les idées qui commanderont les tranchées de la classe ouvrière dans les années à venir ? Qui continuera à s’affronter aux conséquences du coup d’État institutionnel, des années Bolsonaro, à la persistance du bolsonarisme et à un éventuel nouveau gouvernement subordonné au capital financier et à l’impérialisme ? A notre avis, l’intelligentsia, en particulier l’intelligentsia marxiste, devrait mettre toute son énergie dans le combat contre l’extrême droite, en dénonçant le bonapartisme du régime politique, en s’opposant frontalement au conservatisme et à ses conséquences. Mais il est également nécessaire de contribuer à ce que les secteurs d’avant-garde tirent les conclusions sur la manière de construire une voie indépendante.

C’est pourquoi nous sommes aux côtés de tous ceux qui, par leur vote, veulent s’opposer à Bolsonaro. Mais la réflexion théorique et politique en vue de développer une position d’indépendance de classe implique de débattre ouvertement de ce qui est en jeu. Et l’enjeu est la possibilité ou non de bâtir une voie qui transforme l’idée de socialisme en un objectif stratégique atteignable et non en un discours domestiqué, comme l’a fait la majorité de la gauche jusqu’ici.

Ainsi, tout le chantage du Front large, qui oppose les travailleurs et les enjoint à choisir entre le bien et le mal, nous désarme pour affronter le profond mouvement réactionnaire que constitue le bolsonarisme, et qui est venu pour rester, étant intégré au régime lui-même. Il ne sera vaincu qu’avec une force sociale propre : celle de la classe ouvrière en lutte, avec un programme pour faire payer aux capitalistes leur crise.

Traduction : Jade Marlen


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