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Non à la casse de l'hôpital !

« C’est plus possible de jouer avec la vie des patientes » : colère au secteur Naissances du CHU de Purpan

Ce 24 juin, le secteur des naissances au CHU de Purpan, à Toulouse, était en grève pour exiger de meilleures conditions de travail, afin de pouvoir garantir des accouchements et des soins dignes. Une mobilisation essentielle face aux politiques libérales qui détruisent l’hôpital, et pour les droits de toutes les femmes.

Joël Malo

29 juin 2022

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Ces derniers mois, la colère monte au secteur Naissances du CHU de Purpan. Ce 24 juin, le vase déborde et les aides-soignantes, les auxiliaires puéricultrices et sages-femmes du service se sont mises en grève pour exiger de meilleures conditions de travail, des embauches et des rénovations des locaux dont les murs s’effritent. « Quand tu es soignant, tu as la culture du bon petit soldat, on nous aurait dit il y a 10 ans qu’on ferait grève, on ne l’aurait pas cru, mais c’est la situation qui nous l’impose » confie une soignante du service. « Si on se mobilise aujourd’hui, c’est d’abord et avant tout pour nos patientes ». Chez toutes les soignantes qui témoignent de leur souffrance au travail, c’est cette même préoccupation qui revient sans cesse, la peur de faire face à « une catastrophe ». Des catastrophes que seul le professionnalisme des soignantes permet d’éviter face à des conditions de travail toujours plus dégradées.

En effet, comme conséquence de la précarité imposée à l’hôpital public, tout un faisceau de facteurs créent les conditions d’une catastrophe. L’hôpital Paule de Viguier qui a été construit en 2003 était prévu pour 3500 accouchements par an. Aujourd’hui les soignantes du secteur Naissances en effectuent 5200 ! En général, le service reçoit 13 accouchements pour 24 heures, « mais on a déjà eu des records à 27 ou 28 », rapporte une sage-femme. En cause, la fermeture des maternités périphériques, qui délestaient les grands centres comme le CHU de Purpan d’un certain nombre d’accouchements, pour ne lui laisser que les cas les plus difficiles à gérer. Il s’agit en effet d’un hôpital de niveau 3, qui implique de recevoir par exemple les extrêmes-prématurés de toute la région Midi-Pyrénées ! Alors quand il y a urgence, pas de mystère, les accouchements programmés sont priés d’attendre.

A côté de cela, certaines évolutions du métier tendent à rallonger le temps d’un accouchement. Si à la fin des années 1990 « qui accouche bien, accouche vite », les avancées de la recherche obstétricale indiquent qu’il faut davantage prendre le temps de faire accoucher, avec moins d’interventions. Mais les moyens ne suivent pas pour permettre d’appliquer ces nouvelles recommandations pour le bien des mamans et de leurs bébés.

Au contraire, cette situation d’urgence permanente entraîne un certain nombre de violences obstétricales, qui ont été dénoncées par les soignantes du service dans une pétition. Entre des accouchements sans péridurales, contre l’avis de la mère, mais faute de moyens, ou encore des cas où « l’on doit arracher l’enfant du sein de leur mère pour faire de la place pour une autre femmes. On est déjà débordées donc on sépare tout le monde, la mère dans une chambre, le père en salle d’attente et le bébé en pouponnière ». « Ça brise le cœur de devoir agir ainsi, et quand on sait que la 2ème cause de mortalité maternelle c’est le suicide après un post-partum, c’est évident que tout ce qui se passe pendant l’accouchement joue énormément » raconte une sage-femme. Une collègue ajoute : « Notre quotidien c’est rentrer chez soi en pleurant en se disant :"Aujourd’hui j’ai fait de la grosse merde". Alors qu’on est tellement capable de faire et de très bien faire, et que c’est un métier qu’on adore ».

Tout cela est le résultat de manques de locaux et de personnels, au cœur des revendications des grévistes. Elles disposent en effet aujourd’hui de seulement 9 salles d’accouchement dont 1 réservée aux césariennes. Sur une garde de 12 heures, l’équipe est composée de 5 sages-femmes, 3 aides-soignantes plus une pour les césariennes, et seulement 3 aides-soignantes le week-end, « peut-être parce que les femmes se disent :"ah non aujourd’hui c’est le week-end, j’accoucherai lundi" », ironise une aide-soignante.

Souvent, il faut trouver le moyen de pousser les murs et les femmes qui viennent d’accoucher et sont gardées sous observation sont déplacées dans d’autres services par manque de place, ou bien lors de pics d’activité, certaines collègues d’autres services viennent spontanément prêter main forte. Il faut dire que le nombre de sages-femmes par service est réglementé par un décret datant de 1998 qui préconise une sage-femme pour mille naissances par an, mais à l’époque aucun hôpital ne faisait plus de 5000 accouchements dans l’année, et les pratiques ont changé. Une législation périmée dont les soignantes exigent la modification pour obtenir de vrais binômes entre aides-soignantes et sages-femmes dont les rôles sont différents et complémentaires : « Mais à force on ne sait même plus qui est qui, on est obligé de faire les deux travaux, en ayant appris sur le tas, sans avoir forcément le diplôme ».

Ces conditions dégradées de travail créent un terrain de risques énormes en cas de forte affluence de patientes. C’est ce qui s’est passé le 22 avril, décrit comme un traumatisme par toutes les soignantes qui y ont fait face : 9 accouchements en 2 heures ! Et pour le coup, la catastrophe a été évitée de peu. Malgré tout leur professionnalisme, il n’était tout simplement pas possible pour les soignantes de prendre en charge toutes les femmes en temps et en heures. Certaines ont dû attendre dans les couloirs alors qu’elles étaient prêtes à accoucher : « On a failli perdre une mère et son fils ». « J’ai été occupé à sauver une femme pendant 3 heures, mais pendant ce temps j’ai dû laisser deux autres femmes sans surveillance » se rappelle une soignante. Une sage-femme évoque une autre nuit similaire, « il y a 10 jours », où l’absence de binôme sage-femme/aide-soignante aurait pu mal tourner : « J’ai dû aller faire l’aide-soignante à la place d’autres collègues. Mais laisser une sage-femme accoucher seule c’est dangereux ». Plusieurs manœuvres peuvent être nécessaires dans les minutes ou les heures qui suivent un accouchement, notamment en raison des risques hémorragiques pour la mère, s’il faut prodiguer les premiers secours à l’enfant ou si des manœuvres obstétricales sont nécessaires.

« C’est pas possible de jouer avec la vie des patientes. Pour nous c’est terrible, c’est pas pour ça qu’on fait ce métier ! J’espère qu’au moins cette garde de l’enfer n’aura pas servi à rien ». Pourtant, directement après le 22 avril, il n’y a eu aucun debrief avec les équipes concernant ce qu’elles venaient de vivre. « Heureusement qu’on s’est soutenu entre nous et qu’il y avait le syndicat ! » affirme une sage-femme. Le vase avait en effet débordé et les soignantes se sont mises à revendiquer des embauches et la rénovation des locaux. « Quand vous êtes en train d’accoucher, vous voyez le plafond qui s’effrite et des trucs qui pendent… Il y a des endroits où on peut mettre la main dans le mur » s’alarme une soignante.

Suite à la rencontre en CHSCT le 24 juin, le syndicat Sud Santé Sociaux écrit dans un communiqué : « La direction a reconnu la suractivité et l’insalubrité des locaux et a accédé à quelques demandes des agentes, mais les moyens nécessaires n’y sont toujours pas. En effet, la direction a accepté l’ouverture d’un poste de sage-femme supplémentaire 24h/24 et 7j/7 à compter du 1er septembre 2022, donc pas cet été et sans augmenter les moyens de suppléance de cette équipe.

Par ailleurs, les demandes d’embauches d’aides-soignantes ou auxiliaires de puériculture pour un vrai binôme avec les sages-femmes garantissant la sécurité et la qualité de la prise en soin ont été refusées, ainsi que la mise en place d’un pôle de remplacement. En ce qui concerne l’insalubrité des locaux, l’étude débutera cet été en espérant des travaux dans l’année, car il y a urgence, mais le calendrier n’est pas fixé. Le personnel et le syndicat y seront associés. »

Une revendication des soignantes est aussi une revalorisation salariale, moins pour elle que pour permettre l’embauche de renfort ! « Les étudiantes qui travaillent avec nous, quand elle voit la réalité du métier, elles ne sont plus si chaudes que ça... » avoue une soignante. Toutes les soignantes qui ont témoigné auprès de notre journal travaillent dans ce secteur depuis une dizaine d’années, et toutes décrivent une même dégradation des conditions de travail.

En cause la casse de l’hôpital public, les tours de vis austéritaires pour faire des économies partout. « Ce sont des administrateurs, pas des gens de terrain » déplore une gréviste, qui rappelle qu’il n’y a pas de problème avec l’encadrement direct qui se retrouve parfois à mouiller le maillot de la même manière qu’elles dans les moments d’urgence. Elle dénonce avant tout la direction du CHU qui obéit à des logiques austéritaires. « Si on confiait la direction à des soignants et à des médecins, ça n’arriverait pas ! »

Illustration, ici dans le service des naissances du même mal qui ronge l’hôpital dans tous les services. Alors que les urgences toulousaines sont en grève tous les lundis depuis deux semaines, il est évident que le combat que mènent les soignantes du service Naissances pour la reconnaissance de conditions de travail dignes est un combat pour toute la population ! A l’heure où aux Etats-Unis, la Cour Suprême déclare la guerre aux femmes, en revenant sur le droit à l’avortement, la colère et la détermination des soignantes de l’hôpital Paule de Viguier vient rappeler que les mesures libérales sont une source essentielle des violences faites aux femmes : au travail, pendant leur grossesse leur accouchement, ou pour la prise en charge des IMG/IVG ! Lutter pour les conditions de travail de ces soignantes, c’est lutter pour toutes les femmes !


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