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Contre-insurrection et militarisme à Bâle (Suisse)

CONEX15 : L’Armée suisse se prépare à réprimer les mouvements sociaux

Correspondant Alors qu’en Europe et dans le monde les tensions géopolitiques s'aggravent à mesure que les contradictions sociales s’approfondissent, la militarisation de la politique intérieure et extérieure des Etats avance à grand pas, en Suisse tout particulièrement.

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Le bruit des bottes résonne à nouveau dans les rues de Bâle. Cet hiver, déjà, lors du sommet de l’OSCE plusieurs milliers de soldats occupaient cette ville de 200 000 habitants. À présent, la ville se prépare pour le « CONEX », terme qui désigne un exercice de troupes à grande échelle qui aura lieu du 16 au 25 septembre. Le port de Bâle et ses « infrastructures critiques » seront « sécurisés » et les frontières fermées avec 5000 soldats. Le scénario, qui comprend des flux de réfugiés, des pillages et des militants préparant des sabotages, se situe dans une „Union européenne fictive“, comme le souligne l’armée. Mais en réalité CONEX n’a pas l’air si déplacé que cela dans l’Europe d’aujourd’hui. Ce scénario catastrophe ne se réalisera pas forcément tel quel, mais de tels exercices sont tout à fait ancrés dans l’évolution de la crise et la peur des soulèvements qu’elle inspire à nos dirigeants. Ils ne sont pas (seulement) les produits des cerveaux des états-majors paranoïaques.

Les exercices militaires se multiplient

L’ampleur du CONEX et cette combinaison de contre-insurrection, sécurisation d’infrastructures et protection des frontières, n’en fait pas pour autant un cas isolé. Il s’agit du troisième grand exercice de troupes en suisse cette année, après STABANTE 15, avec 6000 militaires en Suisse romande, et ZEPHYR avec 2600 Soldats dans la Suisse centrale. En 2012 STABILO DUE, l’armée suisse s’est entrainée spécifiquement pour la répression des manifestations et en 2013, les soldats suisses protégeaient les frontières contre une France tombée en guerre civile. Tous ces entraînements ont comme point commun la préparation à des troubles sociaux en temps de crise économique.

Offensive médiatique

En marge de l’exercice, une exposition intitulée « Votre armée », présentera les « capacités et moyens des troupes participantes » avec une journée consacrée au public scolaire. À la différence d’autres exercices, qui se déroulaient plutôt à l’écart, CONEX sera utilisé comme événement promotionnel. « Je veux montrer que nous existons » a en effet affirmé le commandant militaire de la région. « D’ailleurs, après des semaines d’entraînement militaire, c’est à juste titre qu’ils [les soldats] peuvent présenter ce qu’ils ont appris », s’empresse-t-il de rajouter. Ce ton paternel ne dissimule guère le militarisme sous-jacent. Il s’agit d’habituer la population à la présence de l’armée. En 2012, le chef de l’armée André Blattmann avait déjà qualifié cet exercice d’« offensive médiatique ».

La militarisation de l’Union Européenne

C’est partout en Europe qu’on cherche à redorer le blason de l’armée et à élaborer des stratégies pour renforcer la puissance de combat. En France et en Allemagne, la militarisation est particulièrement prégnante, parce que leur politique extérieure les amène à souvent montrer « les gros bras », en intervenant sur des théâtres d’opérations extérieures. Le fait que l’UE, malgré son importance économique, soit militairement peu indépendante des Etats-Unis, du fait de l’OTAN, est source de tracas pour les pays impérialistes centraux, au premier rang desquels la France et l’Allemagne. C’est pourquoi dernièrement, le projet d’une « armée européenne » a pris un nouveau souffle. Mais les Etats de l’UE se retrouvent dans un dilemme sans solution. Ils souhaitent avoir plus d’influence militaire au niveau global, pour être en mesure de conserver leurs prés carrés et leur accès aux ressources, dans le Proche Orient ou en Afrique et ce, en toute indépendance des Etats-Unis. Mais en même temps, une machine de guerre commune est rendue impossible par les contradictions d’intérêts grandissantes à l’intérieur de l’Europe. Ainsi, le projet d’armée européenne est encouragé par Berlin, mais la plupart des autres Etats restent très sceptiques – surtout après les démonstrations de force allemandes sur le plan de la politique économique européenne. La Grande-Bretagne a déjà indiqué que sa position à l’égard d’un tel projet était un « Non limpide et cristallin ». Il est donc très improbable qu’une armée de l’UE voie le jour. Mais sur le plan de la coopération européenne en matière d’armement, les dossiers avancent vite comme celui, par exemple, de la fusion des firmes d’armement Krauss-Maffei et Nexter. Dans ce domaine la Suisse est bien présente, notamment avec des entreprises d’armement impliquées dans le développement d’un drone pour Frontex.

Le militarisme suisse

La Suisse – Etat théoriquement neutre politiquement - n’impose pas ses intérêts à l’étranger avec ses propres moyens militaires. Comment peut-on donc caractériser et comprendre son militarisme ? Bien-sûr, la Suisse fait partie de l’Europe, ce continent colonialiste qui essaye de maintenir avec l’OTAN un certain ordre mondial. Mais – à la différence des superpuissances de l’UE, comme la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne - elle n’a quasiment jamais cherché à devenir avec son armée un acteur important dans les conflits géopolitiques. L’armée suisse a déjà participé dans un cadre très limité à des « missions internationales » (au Kosovo et en Bosnie) et il existe, bien entendu, des voix qui appellent à un renforcement de son implication internationale. Le think-tank « foraus » (Forum de politique étrangère) considère ainsi que la Suisse compromet ses possibilités d’investissement dans ses sphères d’intérêts, parce qu’elle serait de plus en plus perçue comme « parasitaire » au sein de l’architecture sécuritaire européenne.

Mais ni ces discours politiques, ni le développement de l’armée Suisse n’impliquent avec certitude que celle-ci multipliera dans un avenir proche les « excursions ». Le Parti nationaliste et raciste UDC (Union démocratique du centre) - qui jouit d’un poids électoral important- s’oppose par exemple à toute intervention à l’étranger. En Suisse, le militarisme d’hier comme celui d’aujourd’hui remplit principalement, deux fonctions : Il est un outil puissant pour la production des éléments centraux du nationalisme helvétique (véracité, indépendance, repli). Et il est deuxièmement le garant de la sécurité intérieure. Comme arrière-pays du capital, où les transactions se font en tranquillité, la Suisse dépend d’une stabilité absolue des conditions sociales. Quand les contradictions s’accroissent…on investit dans l’armement.

Le "développement de l’armée"…

La réforme de l’armée du ministre de la défence Ueli Maurer a été adoptée en septembre 2014 au Conseil fédéral. Le „développement de l’armée“ (DEVA) est censé répondre aux « lacunes d’équipement ». Alors que les effectifs des troupes seront significativement réduits, le budget militaire augmente pour atteindre 5 Milliards de Francs suisses annuels (4,6 milliards d’euros). Un autre objectif de la réforme est aussi de rendre le service militaire plus efficace. Cela constitue peut-être un premier pas en direction d’une professionnalisation de l’armée – en tout cas la réforme s’inscrit dans la tendance internationale vers des armées plus petites, mais plus mobiles et dotées d’un armement plus sophistiqué. (note de bas de page : Le service militaire masculin est toujours obligatoire en Suisse)

...pour des interventions à l’intérieur

Aspect révélateur du DEVA : alors que les effectifs totaux seront réduits, les bataillons de police militaire seront doublés. Cela montre très clairement l’orientation de l’armée vers la sécurité intérieure, dans laquelle CONEX se situe aussi. L’exercice porte ce nom – le mot connexion transparaît avec évidence– justement parce qu’il entend tester l’interaction de l’armée avec les institutions civiles (police, garde-frontière, services administratifs, entreprises). Quand de tels exercices sont organisés en ville, il s’agit toujours aussi d’entrainement à la lutte contre-insurrectionnelle. Bien que la Armée Suisse dispose de plusieurs villages artificiels (des constructions high-tech intitulées « installations de combats en localité »), l’entraînement dans un « environnement construit » réel reste indispensable.

Quand la bourgeoisie se sent menacée, elle se sert de l’armée pour préserver le statu quo. C’est ce qui s’est passé en Suisse en 1918 quand la grève générale a été réprimée par l’armée. C’est ce qui se passera de nouveau quand les luttes des classes s’intensifieront et que l’ordre social sera secoué. La militarisation de la sécurité intérieure est une réponse des puissants à l’aggravation des contradictions. CONEX, c’est une préparation à l’état d’urgence. Une mobilisation en réponse était nécessaire et elle n’a pas tardé :

La mobilisation contre CONEX15

Ces derniers mois, une résistance contre CONEX s’est constituée. Le militaire n’a rien à faire dans nos vies ! Et les chefs de l’armée se sont trompés s’ils pensaient pouvoir utiliser notre ville comme coulisse, sans que nous essayions de gâcher leur plaisir. C’est notre classe, notre mouvement et la perspective d’une transformation radicale de la société qui sont visé-e-s par CONEX. Venez à Bâle : Bloquer CONEX et manifester, voilà notre riposte ! (Il y aura des possibilités d’hébergement).

Manifestations :
Vendredi 18 septembre à 19h
Samedi 19 septembre à 14h

Plus d’info sur : http://noconex15.noblogs.org/francais/


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