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Qui sont les vrais racistes ?

Cabale médiatique contre le festival afroféministe Nyansapo : mais de quoi ont-ils peur ?

Comment comprendre la polémique qui s’est ouverte suite à la menace d’annulation du Nyansapo Fest - organisée par le collectif Mwasi - par Anne Hidalgo, la maire de Paris ? Pourquoi comme le camp décolonial d’août 2016, le festival féministe anticolonial à l’université paris VIII début 2017 et maintenant le Nyansapo Festival, prévu le 28 juillet prochain à Paris, font-ils l’objet de tant d’accusations et d’attaques ?

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Qu’est-ce qui dérange tant ? Et qui cela dérange-t-il ? L’extrême droite et la fachosphère, au racisme, au sexisme et à l’homophobie décomplexés. Jusque-là rien de bien surprenant. Mais pourquoi Hidalgo, des élus de droite comme de gauche, LICRA, SOS racisme ont-ils tellement tenu, tous en cœur, à condamner ce festival ? Qui a-t-il de si insupportable à penser à unévénement organisé par des femmes noires, métisses, et ouvert principalement à des personnes racisées ? De quoi ont-ils peur ? Que ces personnes parlent du fait que l’Etat français et ses institutions sont racistes ? Des dizaines de crimes policiers dont les victimes sont majoritairement des noirs et des arabes et restent tous impunis ? Du fait que la couche de travailleurs et de travailleuses la plus exploitée sur le marché du travail est racisée ? Mieux encore, imaginez que les premiers concernés, que celles et ceux qui depuis la naissance sont discriminés du fait de leurs origines, de leur religion, de leur couleur de peau, posent ouvertement la question de s’organiser, de vouloir changer les choses radicalement. Et ceci loin des institutions…

L’offensive d’Hidalgo et les réactions des médias : un racisme nauséabond

Ce dimanche, la maire de Paris a cru bon de donner du crédit et reprendre les arguments de l’extrême droite qui depuis quelques jours était en train de s’échauffer sur les réseaux sociaux sur le Nyansapo Festival, un festival afroféministe européen militant qui doit se tenir du 28 au 30 juillet. Organisé par le collectif Mwasi, ce festival sur trois jours propose une programmation avec des temps de débats ouverts à tous et toutes ainsi qu’une série d’ateliers en non-mixité, certains étant ouverts uniquement aux femmes et personnes assignées femmes noires et métisses, d’autres réservés aux personnes noires, hommes et femmes ( voir le programme du festival) Le site du festival indique que la soirée d’ouverture se déroulera dans les locaux de La Générale, un local appartenant à la Ville de Paris situé dans le 11ème arrondissement de la capitale.

L’extrême droite et la fachosphère n’ont pas tardé à s’insurger d’un tel événement faisant circuler la rumeur selon laquelle cet événement serait « interdit aux blancs ». La LICRA reprend alors l’information et publie un tweet : "Festival "interdits aux blancs" : #RosaParks doit se retourner dans sa tombe. Le combat antiraciste devenu l’alibi d’un repli identitaire.". Sous la pression d’un ensemble de protagonistes et d’organisations hostiles à ce festival, Hidalgo s’empare de l’affaire et annonce qu’elle demande l’interdiction du festival et qu’elle compte saisir le Préfet de Police en ce sens. « Je me réserve également la possibilité de poursuivre les initiateurs de ce festival pour discrimination » ajoute également la maire de Paris ce dimanche 28 mai. A peine 24 heures plus tard, Anne Hidalgo s’est exprimée sur Twitter pour annoncer qu’une « solution claire » avait été trouvée pour permettre à l’événement de se tenir : seuls les débats ouverts à tous doivent se tenir à la Générale. Mais selon le Mwasi et les internautes, le programme prévoyait déjà cela… Au-delà du ridicule pour la maire de Paris de quoi cette polémique ultra couverte médiatiquement est-elle le nom ?

En effet, les tweets ont ouvert sur une polémique repris par l’ensemble des médias : le Nyansapo festival est-il raciste ? Doit-on tolérer ces évènements en non-mixité qui excluent « les blancs » ? N’est-ce pas un phénomène de « repli identitaire » ? De la provocation ? Pouvait-on lire un peu partout hier dans les médias et suite aux prises de position d’un ensemble de figures politiques et d’associations.

L’extrême droite, le FN, la maire de Paris, la LICRA, se sont tous mis en ordre de bataille pour condamner ce qui serait de la discrimination raciale, ce que certains – pour reprendre la terminologie de l’extrême-droite- assimilent à du « racisme anti-blanc ». « Que dira-t-on le jour où l’on interdira des réunions à des non blancs ? » a estimé le président de SOS racisme. De son côté, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) a dénoncé dimanche sur Twitter "l’organisation d’un festival comportant des espaces ’en non-mixité’ fondés sur la race". Des attaques venues, ne nous y trompons pas, d’associations qui ne sont que des relais et des antennes du gouvernement. Un front - républicain - pour diaboliser celle et ceux qui aujourd’hui pensent que le racisme n’est pas une question individuelle, que cela ne se règle ni par la discrimination positive, ni par les quotas, ni par la « mixité sociale », mais que le racisme est une question structurelle, institutionnelle, politique. Parce qu’il suffit de regarder d’un peu plus près le programme du festival pour comprendre qu’il y a une ligne politique, une ligne qui ne plaît pas beaucoup ni à Hidalgo, ni aux autres, et qui raconte que l’Etat français est raciste, qu’il est sexiste. Pire ! Un événement qui propose de « construire des stratégies et des solidarités durables », de faire « avancer » les combat des afroféministes.

« Le problème n’est pas la non-mixité »

Comment comprendre ces attaques contre le Nyansapo festival en dehors du contexte général ? Un contexte politique qui voit s’accentuer les discours et politiques racistes et islamophobes. Est-il nécessaire de rappeler qu’Hidalgo soutien les politiques du PS, celui là même qui a défendu la déchéance de nationalité ? Qu’elle-même, depuis le début de son mandat, a accentué la répression contre les migrants dans les rues de Paris ? Qui a organisé l’encadrement et la répression de la marche pour la dignité du 19 mars ? Qui subventionne et soutien la réouverture d’un bar dans le XVème arrondissement qui voulait se nommer le « bal nègre » ?

« Le problème n’est pas la non-mixité » pointent justement les défenseurs du Mwasi. Un hashtag #JesoutiensMwasi a été créé à la suite de cette polémique. Les militants de l’anti-racisme comme Sihame Assbague ont pris la défense du collectif et sont venus expliquer les réelles raisons de la demande d’annulation de ce festival et rappelés qui sont les vrais racistes. Qui accède aujourd’hui aux instances de pouvoir ? Qui sont les patrons du CAC 40 ? Qui dirige les médias dominants ? Qui fait passer des lois islamophobes et racistes ? Alors, qui sont véritablement les exclus, les personnes discriminées ? Parce que ce qui doit se discuter fin juillet à la Générale et ailleurs n’est pas la question de savoir comment les noirs et les arabes doivent aussi avoir « leur chance » de devenir professeur à la Sorbonne ou trader dans la finance, mais de discuter de ce qui organise structurellement les inégalités raciales, et des moyens de s’organiser pour les combattre collectivement. La question est de regarder en face une réalité qu’Hidalgo en tant que maire de Paris aime à dissimuler : qui sont ces jeunes victimes de crimes policiers ? De quelles origines sont-ils ? Quelle est la couleur de leur peau ? De quelle couleur est le RER D bondé le matin à 6h ? Qui nettoie les marches de l’Elysée ?

Le festival Nyansapo voudrait que ces questions soient abordées, conscientisées, débattues pendant ce festival de trois jours. Certains espaces sont réservés aux femmes assignées noires et métisses, d’autres aux personnes noires, d’autres à toutes les femmes. Non pas pour interdire ces espaces aux blancs, aux hommes, à certaines femmes mais pour créer un temps où la discussion ne soit pas monopolisée, où celles et ceux que l’on entend jamais puissent prendre la parole, pour discuter et prendre conscience de l’oppression raciale et/ou sexiste. Des oppressions qui sont vécues non pas par une poignée de militants et de militantes mais par une partie majoritaire de la population en France mais aussi en Europe et dans le reste du monde.

Les espaces non-mixtes existent depuis les années 1970. Comme l’explique Sihame Assabague ce qui dérange varie en fonction de qui organise, de qui en est exclu et surtout du contenu. Ce qui dérange ici est que ce soit organisé par Mwasi qui est un collectif de militantes afroféministes, ce qui dérange est le contenu anti raciste, anti capitaliste et politique. Si les thèmes avaient porté sur l’intégration des personnes racisées à la République française, si un tel événement avait été organisé par une clique de professeurs émérites, le festival n’aurait très certainement pas été aussi violemment attaqué.

Le festival Nyansapo : une échéance militante pour « organiser nos résistances »

Ces dernières années, il y a une résurgence de l’anti-racisme politique. Un anti-racisme politique qui dans l’hexagone est traversé par les spécificités de l’Etat français, cette puissance impérialiste et coloniale. Un anti-racisme politique qui regroupe des tendances, des mouvements différents, cherchant à tirer les bilans des luttes passées. À tirer les bilans surtout de comment les luttes anti racistes ont été récupérées par les institutions d’Etat, de comment leurs luttes ont été dévoyées, institutionnalisées, et sont quotidiennement réduites au silence, invisibilisées.

L’Etat français n’aime pas tant quand des milliers de personnes défilent dans la rue pour dénoncer les violences policières ou quand les opprimés cherchent à s’organiser. Dans ces cas les méthodes du gouvernement sont à la fois simples et puissantes : discréditer et criminaliser. En accusant ce festival d’événement « discriminatoire », Hidalgo ne cherchait pas à annuler le festival mais à le salir, à discréditer les organisatrices, à en faire un événement minorisant et minoritaire, un événement qui divise, qui met de « l’huile sur le feu ». Des discours et des méthodes pour pointer du doigt celles et ceux qui selon le gouvernement « divisent la France », « inventent des problèmes ». Un discours dominant qui vise à empêcher – entre autres - à ce que les opprimés émergent comme des sujets politiques.

Depuis environ deux ans, on assiste donc à une cabale contre différentes échéances anti racistes, anti coloniales et qui posent ouvertement la question de l’auto-organisation. Ainsi, l’été dernier c’était le camp d’été décolonial qui était menacé d’annulation, avec à peu de choses près les mêmes attaques. Un festival féministe anti-colonial à l’université Paris VIII a également aussi été saboté, la direction empêchant les étudiant.es d’accéder à des salles. À l’époque, Joao Gabriell, militant qui tient le "Blog de Joao", résumait bien la situation sur le camp d’été décolonial « C’est le contenu tourné vers la rupture avec la pensée dominante sur le racisme, ainsi que l’auto-organisation des victimes du racisme systémique, mais pas la non mixité en soi (...) qui les gêne. ».

Parce que l’Etat et le gouvernement n’ont pas intérêt à laisser les personnes subissant une ou plusieurs oppressions prendre conscience de leur force. Qu’ils n’aiment pas non plus quand les luttes convergent, que l’anti racisme rencontre l’anti capitalisme, que les mouvements anti racistes se préoccupent de la question des migrants… Parce que le gouvernement voudrait que ces discussions se déroulent dans des lieux « privés », que tout cela reste invisible, se cantonnent à des échanges entre une poignée d’individus. Mais l’afro féminisme, les luttes antiracistes, les luttes féministes, n’ont pas vocation à rester entre quatre murs. Les discussions qui ont lieu en non-mixité ont vocation également à poser la question de l’auto-organisation des opprimés, à poser la question d’une politique vers l’extérieure, à se préparer à de prochaines mobilisations.

Le Mwasi a donc voulu axer son festival précisément sur cette question qu’elles ont nommé « l’organisation de nos résistances ». Au-delà de l’auto-organisation des personnes racisées, parfaitement légitime car en premier lieu les victimes de ce racisme institutionnel et les plus à même pour poser les perspectives pour lutter contre, reste à penser les modalités de convergence pour « organiser les résistances » à la plus large échelle possible. En effet, le combat contre un Etat français raciste, sexiste, impérialiste, et à la solde d’un patronat qui exploite plus spécifiquement les personnes racisées, premières cibles de la précarité du travail, mais également de larges couches de la population nécessite un combat de l’ensemble des subalternes, et pas seulement des subalternes racisé-e-s, qui ont tout à gagner de ce combat pour en finir avec les oppressions et l’exploitation.


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