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Pourquoi Piñera n'est pas tombé ?

Chili : après deux mois de lutte, quelles perspectives pour la mobilisation ?

La révolte chilienne s'inscrit dans le cadre de diverses luttes autour du monde ces dernières semaines : France, Équateur, Colombie, Hong Kong... Depuis le réseau international La Izquierda Diario, auquel appartient Révolution Permanente, qui a été en première ligne de ces deux mois de lutte, nous faisons un bilan qui nous permet de proposer une orientation pour la victoire de la révolte chilienne.

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Depuis le Parti des Travailleurs Révolutionnaires chilien et le réseau international La Izquierda Diario, auquel appartient Révolution Permanente et qui a été en première ligne de ces plus de deux mois de lutte – notamment aux côtés des jeunes et des travailleurs chiliens – nous faisons un bilan qui nous permet de proposer une orientation pour la victoire.

Traduction : Alba Nur et Cléo Rivierre

Deux mois se sont écoulés depuis le début de la révolte chilienne. Celle-ci a commencé par les actions de fraude du métro après l’annonce de la hausse des prix. Le mouvement s’est ensuite répandu comme une traînée de poudre, jusqu’à atteindre son apogée le 12 novembre, avec la grève générale la plus importante depuis plus de 40 ans.

Le « vrai Chili » entre en scène

Le gouvernement et l’opposition ont tout essayé pour mettre fin à cette lutte. Elle a fait apparaître le « vrai Chili », loin de celui que vendent les politiciens, le Chili où les gens meurent sur les listes d’attente des hôpitaux, où l’éducation est un privilège, où l’emploi est précaire, où la sous-traitance n’est pas un choix et où les journées de travail sont interminables.

Le mouvement a commencé avec la répression de la révolte de jeunesse. Un état d’urgence et un couvre-feu ont été imposés. Le président chilien, Sebastián Piñera, déclare sur la chaîne de télévision nationale : « nous sommes en guerre ». Les cours dans les écoles et les universités sont suspendus, afin que les jeunes ne puissent pas s’organiser. Mais rien de tout cela n’a suffi pour arrêter la montée de la révolte et ce jusqu’au 12 novembre. Ce jour-là, le pays s’est immobilisé et les travailleurs ont fait leur entrée en scène, unis à la jeunesse et au peuple. Le Chili s’est réveillé le 18 octobre et a tremblé le 12 novembre. Ce jour-là, le gouvernement « a vu le vide sous ses pieds ».

À partir de ce moment, tout a été fait pour désarmer le mouvement. La répression terrible a coûté la vie à au moins 25 personnes. On compte aujourd’hui plus de 2 000 personnes en détention provisoire et près de 350 personnes souffrant de lésions oculaires, de violences sexuelles ou de torture.

Mais la répression n’est plus une barrière aux mobilisations, car depuis le 18 octobre, « la peur a quitté le pays ». La haine générée par 30 ans de mauvais traitements et de discrimination, par l’humiliation et la surexploitation, ne sera pas résolue par les mesurettes prises par le gouvernement, ni par la force.

La lutte contre la répression, contre l’impunité et pour que soient punis les responsables politiques et policiers de la répression doit continuer ; de même que le combat pour le droit de manifester et pour la liberté des prisonniers. Le Parti des Travailleurs Révolutionnaires (PTR) a mené une campagne pour s’opposer à la persécution par le gouvernement d’un de ses millitants, Dauno Tótoro, pour avoir exprimé ce que des millions de personnes disent dans les rues : « Piñera dehors ! » [À cause de ces revendications, Dauno Tótoro, leader du PTR et candidat à Santiago aux élections municipales de 2017, était accusé par le gouvernement d’« incitation à la subversion ».]

Bien que la répression brutale par le gouvernement et ses manœuvres « démocratiques » aient calmé les rues dans l’immédiat, il ne s’agit pas d’une défaite – plutôt d’une nouvelle expérience : « le Chili s’est réveillé » et rien ne sera plus pareil. Des millions de personnes se sont mobilisées, avec la jeunesse en tête. De plus, une crise « par en haut », entre les partis du système, peut ouvrir de nouveaux processus de mobilisation.

Le procesus de révolte du Chili s’inscrit dans le cadre de diverses luttes autour du monde en ce moment : en France, avec la classe ouvrière au centre ; la rébellion en Équateur ; en Colombie ; à Hong Kong, etc. Depuis le Parti des Travailleurs Révolutionnaires chilien et le réseau international La Izquierda Diario – [dont fait partie Révolution permanente], nous avons été en première ligne pendant ces deux mois de lutte, aux côtés de millions de personnes contre Piñera. Nous faisons ici un bilan qui nous permet de proposer une orientation pour la victoire.

Piñera est toujours en place. Le rôle des directions syndicales et des partis du régime

Les directions syndicales – et notamment de la CUT, dirigée par le Parti Communiste – sont responsables du fait que malgré toute la volonté de lutter des bases, Piñera soit toujours là. Détesté, mais sur son trône. Le rôle criminel des directions syndicales bureaucratiques a été d’établir une trêve de facto avec le gouvernement, en ne continuant pas sur la lancée de la grève générale du 12 novembre. Les directions syndicales n’ont donné aucune continuité, aucun plan de lutte ; ni assemblées, ni de comités de grève.

Les directions syndicales ont également mis en place la désorganisation d’une grève qui se prévoyait autour du 26 novembre ; appelant d’abord à une grève le 21 par des rumeurs, puis à une grève de trois jours, puis de deux jours et, au final, d’un seul jour. Cette désorientation était une manœuvre consciente pour que la dynamique du 12 novembre ne se répande pas. Les directions syndicales bureaucratiques ont tracé le chemin vers la défaite. De plus, le bloc syndical qui se réunit autour de qu’on appelle la « table sociale » s’est retrouvé dans une réunion avec le gouvernement pour discuter d’un programme social.

Une chose est sûre : si la classe ouvrière avait suivi et approfondi la route ouverte le 12 novembre, alors Piñera ne serait plus en place aujourd’hui. Une grève générale qui aurait duré, voilà qui aurait tout changé.

La crainte profonde qu’éprouve la bourgeoisie envers la perspective qui aurait pu s’ouvrir l’a poussée à élaborer une politique de détournement des classes populaires ainsi qu’une aggravation de la répression envers les secteurs les plus combatifs.

Le parlement a voté une feuille de route pour un « processus constitutif » qui se révèle plein de pièges, et le Frente Amplio [coalition de partis et mouvements de centre-gauche] a joué un rôle important pour détourner les masses populaires de la révolte dans les rues, organisant un grand vote en avril.

Des lois répressives ont étés votées avec l’abstention scandaleuse de la majorité parlementaire du Parti Communiste. Ce dernier, cyniquement, critique le Frente Amplio pour avoir joué le jeu du gouvernement – alors même que le vote de certaines lois anti-populaires ne pourrait même pas être envisagé si les partis qui gouvernent n’avaient pas la précieuse collaboration du PC.

Des manœuvres politiciennes pour tromper les masses

Des campagnes médiatiques féroces ont été menées contre les « casseurs » et ce malgré la révélation de cas de millitants de droite infiltrés dans les manifestations pour piller. « Le pillage est la violence, la violence est dans les rues et sur les barricades, dans les manifestations il y a des barricades, tout cela influence l’économie, alors interdisons les manifestation et nous reviendrons sur le chemin de la paix et de la croissance ». C’est ainsi que les hommes d’affaires et leurs politiciens pensent. Mettre dans le même sac les pillages, aussi bien ceux causés par la faim que ceux organisés par les trafiquants de drogue et la droite afin de criminaliser le mouvement, voilà le contenu de l’offensive menée par les médias dominants. Si un secteur de la classe moyenne est gagnée par ce discours, malgré tout cet arsenal médiatique, plus de 60% de la population appuie toujours les mobilisations des jeunes et des combattants sur le front de la lutte.

Parallèlement, l’entreprise de détournement des classes populaires s’est mise en marche. Une consultation populaire a eu lieu dans de nombreuses communes. Ce vote avait une visée non contraignante, avec des questions partielles et imprécises. Il a pourtant recueilli les votes de 2 millions de personnes. Les jeunes étaient autorisés à voter dès 14 ans. Les médias, de manière assez cynique, ont appuyé cet aspect « démocratique » de la consultation. Les jeunes âgés de plus de 14 ans peuvent également être torturés, arrêtes et violés – mais aussi prendre part à un vote qui ne va avoir aucun impact.

Le président a utilisé le New York Times comme moyen de communication. Il s’est armé d’un discours plus doux, se vantant de « mesures sociales » et parlant d’une « deuxième transition ». Prix Nobel du cynisme quand le président dit que le « débordement social » était une bonne chose et a permis aux politiciens de se rendre compte qu’il fallait oeuvrer pour un Chili plus égalitaire. Une augmentation des pensions les plus basses, une réduction du prix des médicaments, des péages, etc. Ce sont des pansements sur une plaie béante, qui ne remettent pas en cause l’essence de l’héritage de la dictature et la structure néolibérale du pays.

Changez quelque petits détails, pour qu’au fond rien de l’héritage de la dictature ne change vraiment. La terreur et les menaces d’un côté, la « participation citoyenne » et les rafistolages sociaux de l’autre. Le gouvernement serait même prêt à mettre en prison tout les policiers qui auraient « dépassé les limites » de la répression brutale. 26 morts du côté des manifestants et de l’autre, le gouvernement assure que les policiers auront le droit à un « procès équitable ».

Cependant, l’action des directions syndicales et cette combinaison de politiques a réussi pour l’instant à calmer la mobilisation, à repousser les éléments qui pourraient ouvrir une situation aux caractéristiques plus révolutionnaires.

Malgré cela, pour des centaines de milliers de personnes, rien ne sera plus pareil. Ces deux mois ont gravé dans les consciences le mépris du régime et de ses partis, la haine de la police, et surtout la conscience de la force de la lutte, de tout ce que nous sommes capables de faire. Au Chili, plus personne n’a peur.

La classe ouvrière doit entrer en scène

Sans surmonter la bureaucratie syndicale et les partis du régime, il ne sera pas possible de sortir réellement de cette situation. Ceux qui ont montré la force gigantesque qui peut mettre fin à l’héritage de la dictature, les travailleurs, n’ont pu donner qu’un échantillon de leur puissance. Et ce sont aussi eux qui vivent les pires injustices. Il ne s’agit pas seulement de la santé, l’éducation et des pensions – le gouvernement fera de petites réformes pour maintenir le minimum – mais aussi la sous-traitance, la précarisation, la surexploitation, les heures interminables, la dictature et le despotisme dans les lieux de travail – autant d’élément qui se maintiennent, de fait, à cause du rôle néfaste de la bureaucratie et de l’atomisation des syndicats.

La Izquieria Diario, quotidien frère de Révolution Permanente au Chili, fait connaître chaque lutte, chaque pas en avant et cherche des moyens de réunir les syndicats et ceux qui luttent ainsi que la jeunesse. Il s’agit de lutter pour l’existence de ce genre de syndicats, car si cette puissance des travailleurs entrait en scène, unissant travailleurs, précaires et jeunesse, alors la police, les bureaucrates et les politiciens corrompus, ne seraient plus rien.

« Pour une Assemblée Constituante vraiment libre et souveraine ! »

Nous, qui luttons pour un gouvernement ouvrier, appelons à une lutte dans la rue pour imposer une Assemblée constituante libre et souveraine – totalement opposée à la « Constituante » piégée proposée par le gouvernement.

Il s’agirait d’une assemblée qui pourrait discuter et prendre toutes les mesures qu’elle jugerait nécessaires. Une assemblée où tout le monde pourrait participer, dès l’âge de 14 ans. Il s’agirait d’organiser des élections où des représentants seraient élus pour 10 000 électeurs. Ces représentants devraient être révocables, auraient le même salaire qu’un enseignant.

Pour y parvenir, il nous faut mettre au centre la perspective de la grève génerale ; et ce afin de mettre fin à la trêve imposée par la CUT. Une telle assemblée ne peut en effet être imposée que par une grève générale et par la défaite du gouvernement Piñera.

Construisons un parti révolutionnaire de la classe ouvrière

Pour atteindre cet objectif, il faut une organisation qui s’y emploie consciemment. Un parti pas comme les autres : un parti de travailleurs, de travailleuses et de révolutionnaires, afin de lutter pour la fin de la trêve, jusqu’à ce que la grève générale soit imposée et mette fin à ce gouvernement et à ce régime. Construisons ensemble un tel parti, aidons à remettre sur pied la puissante classe ouvrière chilienne. Cette lutte, que mène chaque jour le Parti des Travailleurs Révolutionnaires (PTR), est une lutte pour refonder la gauche au Chili, pour une gauche des travailleurs, indépendante des entrepreneurs et de leurs partis.

Luttons tous ensemble pour un gouvernement des travailleurs, qui mettra fin à toute oppression et exploitation. Ce combat que mène le PTR est celui de la Faction Trotskyste et du journal La Izquierdia Diario, journal frère de Revolution permanente.


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