Positionnement, dynamique et perspectives

Cohabiter avec Macron ? Pourquoi la politique de l’Union Populaire est une impasse

Comité de Rédaction

Cohabiter avec Macron ? Pourquoi la politique de l’Union Populaire est une impasse

Comité de Rédaction

Transformer un échec en une victoire, quoi de plus révolutionnaire ? C’est ce que proposent Jean-Luc Mélenchon et ses partisans à l’ensemble de la gauche ainsi qu’à l’extrême gauche à quelques semaines des législatives : faire de la troisième place du leader de l’Union Populaire au premier tour des présidentielles un rempart pour contrer Macron et son monde et nous promettre des lendemains qui chantent.

Crédits photo : AFP

Fort de ses 22% à la présidentielle, l’Union Populaire se propose d’être la grande force disruptive contre la Macronie et le grand ordonnateur d’une recomposition à gauche. Une gauche qui ne serait plus sociale-libérale, comme on l’a connue sous François Mitterrand, Lionel Jospin ou François Hollande, mais véritablement anti-libérale et populaire, voire vecteur de transformation sociale, selon l’aile gauche des Insoumis.

L’Union Populaire est le label sous lequel s’est présenté Mélenchon, un « Parlement » composé de personnalités issues en bonne partie de La France Insoumise mais également d’autres formations ou associations classées à gauche. C’est aussi un réseau de « Groupes d’action », le plus souvent issus de LFI, qui ont structuré la campagne. Quand bien même l’Union Populaire ne serait que l’extension de La France Insoumise, elle incarne pour la première fois depuis plusieurs décennies en France une force politique de gauche néo-réformiste.

Son existence est aujourd’hui fondamentalement électorale, en lien avec le projet assumé de construire un « mouvement » centré sur l’objectif de gagner les élections plutôt qu’une organisation structurée. Mais la direction de l’UP souhaiterait qu’elle soit à la base de recompositions politiques et organisationnelles, redessinant les contours de la gauche en France ainsi que ses principales lignes de force en interne. Le score de Mélenchon n’augmente que de 700.000 voix, entre 2017 et 2022. Cependant, l’état d’effritement et de délitement du reste des formations politiques classées à gauche de l’échiquier politique est tel que les 22% de Mélenchon, à 400.000 voix de Marine Le Pen au premier tour, lui donnent l’occasion de redistribuer les cartes.

Ce dont l’Union Populaire est le nom

Cette émergence de l’Union Populaire comme premier pôle au sein de la gauche hexagonale n’est jamais que le résultat de la « mise en adéquation », avec un temps de retard, du champ politique réformiste français avec certaines tendances de fond qui se sont manifestées à échelle internationale. De Podemos dans l’Etat espagnol à Bernie Sanders, aux Etats-Unis, en passant par Syriza, en Grèce, ou le phénomène Corbyn, en Grande-Bretagne ou, avant encore, Refondation communiste en Italie et Die Linke en Allemagne. Des modèles souvent pris en exemple par les mélenchonistes. Ces courants idéologico-électoraux sont dissemblables entre eux mais ont pu incarner ou incarnent une « alternative de gauche » pour une fraction de la jeunesse et, parfois, du monde du travail, face à « l’extrême centre » et à la droitisation définitive des courants sociaux-démocrates historiques. Dans le monde anglo-saxon, les phénomènes Corbyn et Sanders ont coïncidé avec un renouveau de la gauche et des idées socialistes après l’ère Reagan-Thatcher et son lourd héritage, notamment chez les « millenials » et, davantage encore, chez les plus jeunes et la « Génération Z ».

Le score de l’Union Populaire est donc le symptôme d’une poussée, qui n’est pas indépendante de ces glissements idéologiques, au niveau international. C’est aussi et surtout le reflet d’un paysage de la lutte des classes qui, même s’il a été comme « gelé » par la pandémie et les politiques autoritaires mises en œuvre pour y faire face par la Macronie depuis 2 ans, a connu des explosions importantes : le soulèvement des Gilets jaunes, les grèves des retraites, ainsi que la lutte contre la Loi sécurité globale, les mobilisations contre les violences policières et racistes, pour le climat ou contre les violences patriarcales. Dans ce cadre, Mélenchon a su capitaliser une partie de la colère sociale et de la détestation extrême dont le président sortant est l’objet au sein de certaines franges des classes populaires, plus encore qu’il ne l’avait fait en 2012, contre Sarkozy (3,9 millions de voix, soit 11,1% pour le Front de Gauche) ou en 2017 après Hollande (7 millions de voix, soit 19,6% pour La France Insoumise). Dans un paysage politique « droitisé », le score et le « phénomène » Union Populaire suscitent ainsi au sein d’une fraction de l’extrême gauche des expectatives quant aux perspectives politiques que Mélenchon incarnerait et qui nous auraient fait défaut jusqu’à présent.

Pour celles et ceux qui voient la nécessité de tacler la Macronie dès que possible, de s’opposer radicalement à la violence des contre-réformes qu’il prétend porter, tout en défendant un horizon politique révolutionnaire - qui ne saurait se résumer à une simple propagande identitaire pour le communisme révolutionnaire ou à un empilement de combats à mener - les éléments caractérisant la dynamique de l’Union Populaire et les débats qu’elle suscite obligent à répondre sur un terrain à la fois immédiat et conjoncturel, ainsi qu’à plus long terme. C’est ce que nous essaierons ici de faire en passant en revue quelques-uns des arguments avancés dans le sillage de la campagne Mélenchon, à quelques semaines des législatives et en vue, surtout, de la politique qui sera celle de l’exécutif, très probablement dominé par la Macronie, dans les mois à venir.

Avant de commencer, néanmoins, une considération destinée à lever tout malentendu : on ne saurait reprocher à une force politique qui prétend vouloir transformer les coordonnées de la situation en faveur des classes populaires de vouloir accéder au pouvoir. La question, fondamentalement, c’est comment y arriver, avec quel programme et dans quel cadre. Plus qu’une perspective d’affrontement contre la Macronie et contre l’extrême droite, qui a réalisé au second tour un score jamais atteint, condition nécessaire pour poser la perspective d’un pouvoir de réelle transformation, l’Union Populaire, son parlement et son leader semblent réduire l’ensemble des éléments de la question qui se pose à une seule perspective de va-tout électoral, paradoxalement adapté au cadre de la Cinquième République. Celle-ci faisant l’économie de ce qui devrait se préparer, si les organisations syndicales et politiques du mouvement ouvrier et de la jeunesse s’en donnaient les moyens : s’organiser en amont pour en découdre avec la Macronie, quel que soit le résultat qui pourrait sortir des urnes au soir du second tour des élections législatives, le 19 juin prochain. Ce discours et cette stratégie, plaqués sur le calendrier électoral et sur une perspective institutionnelle, ne sont pas simplement une affaire de communication politique et de propagande en période de scrutin. Il s’agit de choix qui sont révélateurs de la stratégie de l’UP et des impasses qu’elle incarne.

Un troisième tour électoral qui enjambe la question de l’affrontement

Pour celui qui rempile pour un second mandat comme président du Medef, du CAC 40 et des CSP+, le prochain quinquennat sera très probablement tout sauf une promenade de santé. Cela n’est pas uniquement lié à des questions de simple légitimité. Malgré ses 58,5% au second tour, contre 66% en 2017, Macron a avant tout été élu président par défaut face à l’extrême droite. Ce déficit de légitimité est dû à l’abstention massive, bien qu’en légère diminution par rapport à 2017 (près de 14 millions), et aux 3 millions de bulletins blancs ou nuls. Cela donne au président bien mal réélu un score d’à peine 38% si l’on tient compte de l’ensemble des inscrits. Macron élargit son bloc social en allant braconner sur sa droite, démolissant Les Républicains, cinq ans après avoir déboulonné le PS dont il ne reste, aujourd’hui, plus grand-chose. Malgré tout, le bloc macronien reste extrêmement étroit, ce qui était déjà sa marque de fabrique en 2017.

Dans ce cadre, le quinquennat qui s’annonce sera, y compris selon les analystes les plus proches de la présidence, semé d’embûches et de conflits, et ce d’autant que les contre-réformes à mener seront douloureuses. Jusqu’à présent et malgré tous les dommages qu’il a pu causer aux classes populaires, Macron n’a pas pu faire passer l’ensemble de son programme de déstructuration néolibérale promis en 2017. D’abord en raison de la lutte des classes, avec le grand mouvement des Gilets jaunes qui a mis un premier coup d’arrêt à l’agenda macronien, suivi de la bataille des retraites. Néanmoins, le quinquennat à venir étant le dernier pour Macron, on peut s’attendre à des attaques redoublées, d’autant plus dures qu’il sera poussé plus que jamais par ses parrains du CAC 40.

À la lumière des combats de ces dernières années dont le dénouement a été gelé par la pandémie et ses conséquences, fortes des leçons des luttes et de ce qui nous a manqué pour passer des résistances à la contre-offensive, la campagne des présidentielles et celle des législatives auraient pu et pourraient être, à gauche, l’occasion de débattre de la façon dont il nous faut nous préparer pour en découdre. Or, depuis le soir du premier tour, l’Union Populaire n’a qu’un mot à la bouche : le troisième tour. Non pas le troisième tour social, mais « l’after » électoral que seraient censées être les législatives de juin. Une façon de réduire la préparation nécessaire au combat contre la Macronie à une pure mécanique électorale, qui non seulement place tout le curseur sur le bulletin de vote mais relève de la politique-fiction. Avec, à la clef, une démobilisation probable et un retour de manivelle idéologique.

Même à l’aune d’une simple ambition électorale, la perspective mélenchonienne ne tient pas la route. L’argument avancé par les porte-paroles de l’Union Populaire est qu’une victoire serait à portée de main, à condition qu’un accord autour de l’UP se réalise avec le reste de la gauche, PS inclus (nous y reviendrons), et que l’ensemble des votants du premier tour reportent leur voix sur les candidats étiquetés UP aux législatives. La politique institutionnelle, sous la Cinquième République, et la mécanique électorale, depuis la réforme constitutionnelle de 2001 et l’inversion du calendrier électoral en 2002 sous Lionel Jospin (dont Mélenchon était ministre délégué à l’enseignement professionnel), font qu’une cohabitation impliquant une majorité de députés distincte de la couleur du président est rendue impossible. Ce que le mécanisme de scrutin majoritaire uninominal à deux tours rendait compliqué jusqu’en 2002 relève, aujourd’hui, de la politique-fiction. La faute non à des électeurs dont un tiers pourrait porter ses suffrages sur des candidatures uniques « à gauche », mais à un système verrouillé et anti-démocratique qui empêche une quelconque représentation proportionnelle, même déformée et revue à la baisse, pour ce que pourrait être un « groupe parlementaire de gauche » à l’Assemblée et, par extension, une majorité distincte de la Macronie.

Les dernières projections, bien qu’incomplètes compte-tenu des modalités de scrutin des législatives, donnent d’ailleurs pour l’heure dans le meilleur des cas une petite centaine d’élus en cas d’alliance autour de l’UP avec le PS, Génération.s, le PCF et les écologistes - un groupe qui serait bien supérieur aux 60 députés des groupes socialiste, LFI et GDR actuels, mais bien en deçà des 289 nécessaires pour y être majoritaires. La projection Harris du 26 avril prévoit ainsi une majorité absolue pour les macronistes, quand bien même 61% des sondés disent souhaiter une majorité d’opposition. Plus encore qu’aux présidentielles, ce « tout sauf Macron » quel qu’il soit, ne peut émerger compte tenu des modalités du scrutin. Cela n’empêche pas moins les ténors de l’Union Populaire de clamer qu’une victoire serait possible et de voir Mélenchon à Matignon.

Premier ministre de la Cinquième, le bluff combiné à l’adaptation (et au sauvetage de la République)

Il s’agit-là d’une autre des constantes de l’UP depuis quelques semaines, expression non seulement d’un aplatissement stratégique sur l’électoral, mais aussi d’une adaptation aux pires travers de la Cinquième République. À nouveau, on ne saurait reprocher à une force politique de gauche qui a pour ambition de vouloir arriver au pouvoir de gouverner. Reste à savoir dans quel cadre et comment. Laissons de côté les contradictions que nous avons pointées sur la possibilité qu’une majorité autour de l’Union Populaire se dessine à l’Assemblée, et l’ambiguïté rejetée en paroles par Mélenchon sur le fait qu’il pourrait arriver à Matignon par simple pression sur Macron. Imaginer pouvoir gouverner comme un Premier ministre sous la Vè République, porté par une hypothétique « majorité de gauche » sous un président de droite, relève a minima du renoncement et d’une confiance excessive dans les mécanismes institutionnels. Au pire, d’une stratégie de démobilisation.

Cela relève, d’une part, du renoncement, dans la mesure où le chantre de la Sixième République (projet vis-à-vis duquel on peut avoir les désaccords les plus profonds) serait prêt, en devenant locataire de Matignon, à épouser le moule de la Cinquième (vis-à-vis de laquelle, que l’on soit insoumis ou d’extrême gauche, on partage l’idée qu’il s’agit d’un régime à abattre). Mélenchon oublierait ainsi toutes les critiques faites dans le passé à cette « monarchie présidentielle » qu’est la Cinquième et dont Matignon est l’une des pièces ? Cela relève d’autre part d’une confiance excessive dans les institutions, dans la mesure où il suffirait selon Mélenchon de quelques décrets, par le truchement du 49.3, sur le SMIC à 1400 euros (contre 1305 euros aujourd’hui), sur le retour de la retraite à 60 ans (mais avec 40 annuités de cotisations) ou sur le blocage des prix (sans ôter aux capitalistes le pouvoir qu’ils ont sur les industries et services essentiels) pour résoudre les problèmes urgents qui se posent à notre camp social.

Ces questions de programme et le caractère très modéré des changements promis par rapport à ce que signifierait engager un véritable rapport de force avec le patronat qui détient, réellement, le pouvoir sur nos vies, ne sont pas le seul problème de « Mélenchon à Matignon ». Le slogan « Mélenchon Premier ministre », repris en boucle par les réseaux de l’Union Populaire a pour corollaire la restauration de la confiance dans les mécanismes institutionnels, qui ont pourtant été la cible de tous les mouvements sociaux de ces dernières années, à commencer par celui des Gilets jaunes. Alors que la défiance vis-à-vis du pouvoir n’a jamais été aussi grande, alors que ce qui nous a manqué, lors des dernières mobilisations, c’est une stratégie du « tous ensemble » pour faire plier Macron et le patronat (à l’exact opposé des grèves perlées, de la segmentation des mobilisations et des calendriers, voire de l’hostilité des directions syndicales et politiques vis-à-vis de certains mouvements jugés trop disruptifs), en clair une stratégie au service de l’unité de celles et ceux qui luttent et de l’auto-organisation, Mélenchon demande à ce qu’on lui fasse confiance et qu’on lui délègue le pouvoir.

L’aile gauche de La France Insoumise nous dira que « faire confiance » en un gouvernement de gauche et « retrouver confiance en nos propres forces » ne sont pas opposés, pas plus qu’une stratégie de pouvoir institutionnel « par en haut » qui serait accompagnée, secondée ou appuyée par des mobilisations « par en bas ». Mais tout dans l’histoire de notre classe, de Juin 36 au gouvernement Tsipras en Grèce en passant par le Chili d’Allende nous rappelle, plus ou moins tragiquement, que ce genre de perspective mène à l’impasse, démobilise et prépare, en dernière instance, le retour de la droite et de la réaction au pouvoir, parfois très violemment.

À ce sujet, on songera à la formule lapidaire de Daniel Guérin, souvent convoqué (de travers), pour appeler à lutter contre le fascisme (et, aujourd’hui… voter Macron), au sujet du gouvernement du Front Populaire : « De toutes les erreurs, la plus néfaste fut de faire croire aux travailleurs que le gouvernement du Front Populaire était leur gouvernement (…) L’illusion fut répandue que cet État n’était plus un État de classe, mais un État providentiel ». Après l’aplatissement sur le calendrier électoral, la démobilisation donc, combinée à ce qui ressemble fort à une stratégie de restauration de la confiance dans ce qu’est censé être « la République ». Mélenchon oublie, ce faisant, l’épithète qui avait fait sa marque de fabrique (« la Sixième »), mais reste d’une fidélité absolue à ce qui fait l’un des marqueurs de la gauche réformiste en France depuis ses origines au milieu du XIX° : « La République » comme alternative à la révolution, et ce alors que la droite s’est accommodée au fil du temps d’une République contre la révolution (ou, a minima, contre le mouvement ouvrier et au service du capital).

Bloc social, préoccupations électorales et amnésie politique

Comment gouverner, en faveur des classes populaires, sans bloc social majoritaire ? C’est l’autre argument qui est avancé par celles et ceux qui animent le parlement de l’Union Populaire. Si l’analyse du « bloc macronien » est relativement claire chez les mélenchonistes du premier cercle, les contours de ce que devrait être un « bloc social » populaire est beaucoup plus flou. Après avoir fait de la récupération du drapeau tricolore et de l’opposition à Berlin et à Bruxelles une marque de fabrique (on se rappellera le Hareng de Bismarck, le pamphlet de Mélenchon de 2015 qui a irrigué sa campagne et son discours en 2017), l’UP est revenu à un discours sans doute moins chauvin. De fait, un élargissement populiste (sur sa droite et au centre, comme le suggérait Chantal Mouffe) ne permettait pas une réelle croissance électorale, là où les ressorts, comme l’ont montré les analyses de sociologie électorale, se trouvaient du côté de la jeunesse et des quartiers. En revanche et plus que jamais, chez les mélenchonistes, le « bloc social » continue à être présenté comme synonyme ou simple décalque d’un bloc électoral à construire. Pour les ténors de l’UP, ou du moins ceux qui élaborent ses graphiques, le « bloc populaire » n’est jamais que la somme arithmétique du nombre de voix « à gauche » qu’il faudrait additionner, en ajoutant ses différentes composantes et organisations à un cartel électoral plus large dont l’Union Populaire serait le chef d’orchestre.

Il ne peut exister d’aspiration à gouverner sans que cela ne soit corrélé à un bloc social majoritaire qui se constitue par un programme et par des actes concrets, à la fois offensifs vis-à-vis du ou des blocs antagonistes, et défensifs par rapport à ses potentiels alliés. Être hégémonique, pour les marxistes, c’est être en capacité de proposer à sa classe et d’ébaucher, par des démonstrations, une stratégie d’affrontement contre le camp ennemi en sachant trouver des alliés chez ceux qui ont tout intérêt au changement, quand bien même le statu quo, même dégradé, pourrait leur apparaitre comme la moins pire des solutions, ou du moins la plus réaliste.

À l’UP, sous couvert de « bloc populaire », ce n’est pas de changement systémique dont on parle mais de « réformer les contre-réformes passées » et, surtout, d’alliance électorale. Pour la gauche de l’UP, celles et ceux qui, à l’extrême gauche, refusent d’adhérer à sa logique, ne comprennent rien à la question politique et aux mystères de l’hégémonie chez Gramsci du fait d’un logiciel vulgairement « luttiste ». Pourtant, de notre point de vue, « l’hégémonie » telle qu’elle est défendue par la direction de l’UP et la question du « bloc populaire » ne sont jamais que des faux-nez un peu savants qui cachent avant tout une préoccupation d’appareil : la satellisation politique et électorale autour du mélenchonisme de tout ce qui peut l’être. Ou, à défaut de satelliser, découper tout ce qui se trouve sur sa droite ou sur sa gauche et qui pourrait être tenté de répondre, positivement, à ses sirènes. Et ils sont nombreux.

Par ailleurs, par-delà le programme réformiste sur la base duquel se ferait cette alliance, les tractations d’appareils actuelles - avec Génération.s (qui auraient abouti au moment où nous écrivons cet article), avec le PS (qui iraient bon train), avec le PCF et les écolos (qui seraient plus ardues), ou avec la direction du NPA - montrent que, pour la direction de l’UP, il n’y a guère de limite pour constituer ce bloc en vue des législatives. Celui-ci se ferait avec ceux qui sont responsables de l’arrivée de Macron au pouvoir et de la montée de l’extrême droite, après les expériences catastrophiques des gouvernements sociaux-libéraux Mitterrand-Jospin-Hollande. Des expériences catastrophiques pour notre camp social, dont le patronat, s’il n’était pas si ingrat, n’aurait guère de raisons de se plaindre. En essayant de tisser des accords avec le PS, les écologistes ou le PCF, l’UP ne fait pas seulement semblant d’oublier ce qui s’est fait depuis 1981, mais aussi ce qui continue à se faire aujourd’hui, en termes de cadeaux aux patrons, de politiques anti-sociales et sécuritaires dans les régions, départements et villes - et non des moindres - qui sont gérés par des majorités composites « de gauche ». Ce faisant, l’UP ne s’aplatit plus seulement sur le calendrier électoral, en s’adaptant aux contours du système cinquième républicain en appelant à lui faire confiance. Elle procède, sous couvert de « faire bloc » et avec un peu de vernis gramscien, à une entreprise d’amnésie politique collective permettant de travestir ceux qui, en dernière instance, sont aussi les ennemis des secteurs les plus militants de notre classe, de la jeunesse et des quartiers populaires.

Front unique, entrisme qui ne dit pas son nom et impasse opportuniste

Au sein de son aile gauche, à commencer par Ensemble !, les appels au vote, à rejoindre l’UP ou à répondre positivement à ses invitations, comme l’a fait dernièrement la direction du NPA, se fait au nom de l’opposition à la Macronie et à l’extrême droite (toujours) et au patronat (parfois), tout en mobilisant, pour la forme, Trotsky sur « le front unique » ou même Lénine contre les « gauchistes et les sectaires » qui n’auraient vraiment pas compris que la nouvelle voie ou, à défaut, le raccourci pour la « transformation sociale » passerait par l’Union Populaire.

Si le front unique ne saurait être exclusif des luttes, il est théorisé au début des années 1920 en tant que tactique, sans jamais faire l’économie de l’indépendance politique que les communistes doivent défendre vis-à-vis de leurs alliés de circonstance, y compris sur le terrain électoral. De ce point de vue, participer au cartel élargi de l’UP, tel que le propose Mélenchon et ses lieutenants, c’est non seulement participer à une dynamique et la valider mais aussi souscrire, en dernière instance, un programme. Les mélenchonistes sont d’ailleurs très clairs sur ce point : adhérer à l’UP, dans le cadre de la campagne des législatives impliquerait accepter sa discipline, en cas d’élection, à l’Assemblée. La question, donc, n’est pas tant d’être fidèles aux formules du passés que de l’être à l’esprit d’un éventail d’outils tactiques et stratégiques qui font partie de notre héritage, pour faire avancer les intérêts des classes populaires et du monde du travail. En épousant un programme néo-réformiste, en renonçant à son indépendance politique, c’est la défense de ces mêmes intérêts qui est, en dernière instance, compromise. Sans que l’on gagne, par ce détour par l’UP, une quelconque capacité à être davantage audible.

Certains avanceront, de façon complémentaire, que l’UP et l’univers qu’elle mobilise devraient être à la fois l’instrument et le terrain d’intervention des révolutionnaires pour sortir d’une extrême gauche recroquevillée et incapable d’avancer au sein des mouvements réels de ces dernières années. C’est en tout cas de cette façon que différents courants qui ont rejoint ou appuient le Front de Gauche-La France Insoumise-l’Union Populaire ont envisagé, envisagent ou justifient leur compagnonnage avec le mélenchonisme (on songera ainsi à Convergences et Alternatives et à la Gauche Anticapitaliste, aujourd’hui Ensemble ! ; à des courants plus petits comme Révolution ! ou La Gauche Révolutionnaire ; ou de façon semblable à certains courants de l’antiracisme politique). Si l’on peut faire la distinction, sur un plan électoral, entre un vote d’action (pour soutenir une option politique), un vote d’adhésion (qui implique un appui plus articulé du programme) et un vote militant (impliquant non seulement un soutien électoral, mais son corollaire sur le terrain militant), l’UP a su capitaliser une colère sociale et une détestation de la Macronie, mais pas davantage qu’avant elle n’a réussi à les structurer, par-delà les comités d’action qui ont pu être lancés.

Dans ce cadre, imaginer que l’UP serait la clef de la politique, en confondant parfois les recommandations de Lénine aux communistes britanniques d’entretenir un rapport étroit avec le Parti Travailliste, alors une organisation de masse représentant une quasi contre-société, avec ce que serait le néo-réformisme melenchonien, c’est maquiller son propre électoralisme ou adaptation au réformisme avec quelques références classiques. Avec, à terme, des perspectives qui sont rarement brillantes : si une partie de l’extrême gauche a fait le choix de seconder les phénomènes néo-réformistes qu’ont connus d’autres pays et auxquels nous faisions allusion (Refondation communiste, Syriza, Podemos, Corbyn ou Sanders), elle en est généralement revenue dépitée, désarmée voire désarticulée.

Bloc de résistance et extrême gauche de combat

Il existe, au sein de l’extrême gauche organisée, au sein des courants du mouvement syndical, de la jeunesse et des quartiers défendant une stratégie de rupture avec le système, une possibilité et une nécessité de se retrouver pour « faire bloc ». Non pas de façon repliée sur les institutions, mais pour pousser la mobilisation et l’auto-organisation de ces centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs en CDI ou CDD, précaires, chômeurs, retraités ou très jeunes qui ont imprimé au quinquennat passé le tempo que l’on sait sur le terrain de la lutte des classes.

Le pouvoir politique et le patronat en sont bien conscients. Quitte à devoir affronter des mouvements de colère, ils préfèrent d’ailleurs qu’ils soient encadrés, voire si possible canalisés en amont sur un terrain politique ou institutionnel, plutôt que de devoir y être confrontés sur le terrain de la lutte des classes, plus encore compte-tenu du risque de gilet-jaunisation des mouvements en raison de la faiblesse, fragmentation ou délitement des organisations traditionnelles. Comme le notait encore récemment Jean-Pierre Raffarin en guise d’avertissement à Macron : « Macron II sera différent de Macron I. Il doit être autant mobilisé sur la politique que sur l’économie. Son projet pourrait être celui d’une "Ve République augmentée" : il faut recréer du débat au sein de la politique pour éviter les combats de rue ».

En ce sens, d’ailleurs, il est assez intéressant d’observer la différence de traitement médiatique entre ce dont a bénéficié le score effectivement sans précédent de Mélenchon et le peu de cas des 460.000 voix qui se sont portées sur les deux candidatures d’extrême gauche que nous soutenions, de notre côté, de façon critique. C’est assez révélateur de la façon dont l’opération d’institutionnalisation de la colère, à travers la canalisation électorale et un projet de réforme du système, est complétée par une invisibilisation de ce vote. Bien entendu, ces 460.000 voix sont un recul par rapport aux 600.000 recueillies par Philippe Poutou et Nathalie Arthaud en 2012 et 2017, et bien moindre que les 2,1 millions de l’extrême gauche en 2007. Ces voix expriment néanmoins l’existence d’un noyau dur, de classe et politique, qui à la différence du mélenchonisme soutient que la police ne saurait être de proximité mais qu’elle tue, que les « territoires ultra-marins » sont des colonies et que l’impérialisme français n’a rien à faire en Afrique, ou encore qu’il faut que les travailleurs et les travailleuses prennent leurs affaires en main en ôtant aux capitalistes leur pouvoir de nuisance, et pas uniquement « instaurer la séparation de la finance et de l’État ». Une perspective bien différente de ce que Mélenchon prétend vouloir mener à Matignon.

Le problème, sans aucun doute, c’est que cela fait près de trente ans, depuis l’appel non tenu d’Arlette Laguiller à constituer un Parti des Travailleurs à la suite des élections de 1995 et à la veille des grandes grèves de l’hiver 1995 contre Chirac-Juppé, que l’extrême gauche telle qu’elle existe est repliée sur elle-même (et adaptée aux directions syndicales) et, par effet miroir, constamment happée par un opportunisme qui la condamne à se diluer dans la gauche réformiste ou néo-réformiste. Contre Macron et ses attaques, alors que lui-même affirmait, dans son discours de « victoire », que « les années à venir ne seront pas tranquilles », il nous faut préparer un bloc de résistances, pour dépasser les impasses auxquelles nous ont condamné les directions syndicales lors des dernières mobilisations de masse, et une extrême gauche de combat pour batailler dans ce sens. L’un ne va pas sans l’autre.

C’est le pari que nous comptons relever dans la période à venir. En lien avec toutes celles et ceux qui ont voté pour l’UP, par colère et par détestation de la Macronie, et qui sont convaincus de la nécessité de reprendre les combats dès que possible, mais également avec toutes celles et tous ceux qui ont été des luttes de ces dernières années et ont fait un autre choix. C’est la responsabilité que devraient relever les révolutionnaires, la seule façon de briser l’isolement, d’intercepter la radicalité et de préparer les combats tout en posant la question politique de la société socialiste, libérée de l’exploitation et des oppressions, que nous voulons construire. Une perspective qui ne saurait se confondre avec fusion, rapprochement ou compagnonnage avec le néo-réformisme dont l’essence est de canaliser quand il ne cherche pas à démobiliser et à désarmer.

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