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Les tracteurs sur la capitale

Colère et amertume. Paroles d’agriculteurs à La Nation

Très à droite, les agriculteurs et les éleveurs qui se sont mobilisés aujourd’hui,dans Paris, pour converger Place de la Nation ? Pas spécialement. Il n’y a pas de « complot anti-socialiste », à l’œuvre dans leur mobilisation. De là à dire qu’ils seraient tous de gauche, il y a un pas. Instrumentalisés par la FNSEA, comme le titrait, jeudi, Libération (qui, pour le coup, est un journal aux ordres de Hollande) ? Non plus. Ceux que l’on a pu interroger sont conscients du fait qu’ils participent à un mouvement lancé par le puissant syndicat agricole, qui représente surtout les gros bonnets de l’élevage et des cultivateurs. Mais ils sont loin d’épouser la ligne de Xavier Beulin, son principal dirigeant. C’est sans doute pour cela qu’il a été copieusement sifflé, Place de La Nation. Pour les plus modestes, venus de l’Ouest, notamment, il y a surtout beaucoup d’inquiétude, de colère et d’amertume. C’est le sentiment recueilli au gré de conversations, Place de la Nation, avant le départ des tracteurs. Jean-Patrick Clech

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5000 étaient présents, jeudi, avec plus d’un milliers de tracteurs. Ce qui frappe, avant tout, c’est les différences que l’on découvre, parmi ces agriculteurs et éleveurs, par delà l’apparente uniformité de la mobilisation. C’est ce que pointe Hervé, propriétaire d’une moyenne porcherie familiale, dans la région de Morlaix. « Je suis le seul à être venu en tracteur. Avec les collègues, qui travaillent sur d’autres exploitations, on a décidé d’envoyer qu’un seul de nos tracteurs. C’était compliqué, sinon. Eux sont venus en car, dit-il en pointant ses collègues, voisins d’exploitation, présents avec d’autres syndiqués sous une banderole de la FDSEA finistérienne. Mais il y a des gros exploitants qui ont mis plus d’un engin sur la route. On n’a pas grand-chose à voir avec eux ».

Dans la FNSEA, le syndicat majoritaire, avec 56% des voix aux élections pour les Chambres d’agriculture, il y a les très gros et les gros, qui tirent les ficelles, et les autres. Tous des smicards, les moyens et petits agriculteurs et éleveurs ? Sans doute pas. Mais parmi les 5000 manifestants de jeudi, à Paris, certains sont en très grande difficulté.

« Les prix de vente varient énormément, raconte Hervé. D’une année sur l’autre, si tu n’as pas de trésorerie, tu peux te retrouver sur la paille. Ou la corde au cou ». Plusieurs rapportent ces histoires d’exploitants, criblés de dettes, incapables de les rembourser, et qui finissent par se suicider. « C’est sûr qu’à la tête de la FNSEA, et même chez les Jeunes [Agriculteurs, la branche « jeune » de la fédération], ils n’ont pas les mêmes problèmes. Ce sont eux qui raflent la plupart des allégements et des aides ». « Nous ce qu’on veut, c’est des prix, pas des primes », rajoute-t-il, en écho aux revendications de la Coordination Rurale, à l’origine du dernier gros blocage de la capitale, en 1992.

Les annonces de Valls et les attentes des exploitants

Le premier ministre Manuel Valls a annoncé plusieurs mesures qui visent, avant tout, à favoriser les gros : des allègements ou des annulations de charges à hauteur de 85 millions, qui visent avant tout ceux qui emploient une main d’œuvre temporaire ou permanente, une année blanche sur le remboursement des traites et des prêts pour les exploitants les plus en difficulté, mais qui exclut ceux qui sont « juste » en difficulté, trois milliards d’aides sur trois ans et une pause normative.

Géraldine, qui est venue avec son mari, tous deux éleveurs à Carnoët, est en colère. Elle ne fait pas pourtant partie de ceux qui ont sifflé Beulin, vers 15h30, lorsqu’il est sorti des négociations avec le gouvernement pour intervenir devant « ses » troupes : « avec l’année blanche, tout ce qu’on fait, c’est repousser d’un an les traites. Mais ça ne résout rien. Pour le reste, on sait qu’on ne verra qu’une toute petite quantité de cet argent, qui ne va pas finir dans les petites exploitations bretonnes. Ça se saurait, sinon ».

Parmi les éleveurs bretons interrogés, tous réclament, en effet, une intervention au niveau des prix, des garanties sur les ventes, à l’origine des grosses mobilisations des éleveurs bovins et porcins en juilletet en août. Et une fois encore, le gouvernement a botté en touche, se justifiant par le fait que la question des prix dépend exclusivement des industriels et des distributeurs, sur lesquels il ne saurait faire pression, si ce n’est en « incitant » à acheter à un prix supérieur.

Un ras-le-bol qui persiste

On comprend la colère de ces exploitants lorsque Beulin leur a demandé de lever le camp. « On a le sentiment d’avoir été floué, une nouvelle fois », assène violemment Erwan, qui est venu avec son oncle, dont il devrait reprendre l’exploitation, en Ille-et-Vilaine. « Qu’est-ce qu’on va faire ? On va vendre à perte pendant combien de temps, encore, pendant que d’autres se font plein d’argent », dit-il à l’adresse de la FDSEA 56.

Au niveau de la fédération nationale, on évoque la mobilisation de Bruxelles, prévue pour lundi prochain, afin de « maintenir la pression ». L’un des vice-présidents des Jeunes Agriculteurs, partie-prenants de la journée et partisans également d’une pause dans les mobilisations, promet de « suspendre les actions sous la forme des manifestations, mais de maintenir une veille syndicale ». Dans toutes les têtes, y compris chez le gouvernement, il y a la peur d’un débordement des structures de direction par la base des exploitants, ce qui avait déjà commencé à pointer en juillet et en août. D’où la « déclaration d’amour » de Valls en direction du monde rural, et les promesses faites, jeudi.

Le gros obstacle à un développement et à un débordement du mouvement des petits exploitants, ce qui permettrait d’obtenir, au moins, des garanties en termes de prix, reste le fait qu’ils soient pieds et poings liés à la FNSEA, qui négocie sur un tout autre plan. L’autre problème, lié au premier, est que le mouvement reste isolé des autres secteurs salariés et de la jeunesse. Dans l’Ouest, c’est en se liant de façon transversale à d’autres secteur du monde du travail que les agriculteurs et les éleveurs bretons ont fait reculé le gouvernement sur l’écotaxe, indépendamment des tentatives d’instrumentalisation qui ont pu avoir lieu par rapport au mouvement des Bonnets Rouges

C’est aux côtés des salariés de l’agro-industrie et de la distribution que les paysans, cultivateurs et éleveurs, pourraient imposer des prix à l’achat, des salaires et des prix de vente corrects et acceptables aussi bien pour les paysans, les salariés du secteur et les consommateurs, la seule façon également de battre en brèche le modèle sur-productiviste défendu par la FNSEA et qui fait que seules les « firmes », et non les fermes, pourront se reconvertir et survivre. Une alliance à construire, donc, qui tournerait le dos à la fois à la FNSEA et à la Coordination Rurale, encore plus marquée à droite. Un pas que ni Hervé, ni Géraldine, ni Erwan et son oncle ne semblent disposés à faire, pour le moment, même s’ils promettent de « continuer à bouger, même si Beulin nous demandent de retourner à nos fermes ». « De toutes façon, nous autres, les cultivateurs, dit Erwan avec un sourire, on a tout l’hiver devant nous pour les emmerder tous ».


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