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« Sois prof et tais-toi »

Collège République de Bobigny : quand des enseignants sont attaqués pour leur appartenance syndicale

Mutations disciplinaires et blâmes menacent ces trois enseignants au parcours professionnel irréprochable pour leur engagement pédagogique mais surtout syndical chez Sud Education.

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Ils sont tous les trois à la tribune. Lors de cette réunion publique, organisée par le comité de soutien à la Bourse du travail de Paris jeudi 6 juin, et à laquelle Sud Education 93, le Snes, la CGT et la CNT de Seine-Saint-Denis se sont ralliés, Caroline, Sabine et Cyrille reviennent sur leur parcours depuis mars 2019, date à laquelle ils ont reçu des lettres recommandées leur annonçant des procédures disciplinaires les concernant.

Des enseignants exemplaires

Les dossiers sont vides. « Je suis allée consulter mon dossier le 9 avril, dans lequel il n’y avait rien du tout » raconte Sabine, enseignante d’Histoire-géographie au collège « La République » depuis 22 ans. « C’était le double du dossier administratif que j’ai à la maison – passage d’échelon, rapports d’inspection. J’ai jamais eu de souci […], je suis même en classe exceptionnelle ». Et aussi formatrice pour d’autres professeurs sur les enseignements à destination des enfants en situation de handicap. Comme elle, Caroline, enseignante de français et Cyrille, d’Education Physique et Sportive (EPS), ont un parcours professionnel irréprochable : de très bons rapports d’inspection qui saluent leurs qualités pédagogiques, un véritable engagement auprès des élèves attesté par respectivement 27 et 18 ans d’ancienneté dans ce collège REP+ classé parmi les plus difficiles de la Seine-Saint-Denis. Des perles rares au sein des établissements de Seine-Saint-Denis marqués par un très fort « turn over » et un manque d’expérience des équipes.

« Le seul souci que je vois » estime Sabine, « c’est qu’en tant que représentante syndicale je défends les droits des élèves, les droits des collègues ». Notamment contre la perte des moyens au sein de l’établissement, le manque d’Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS) pour les élèves handicapés, la réduction des heures d’enseignement que Cyrille estime à « près de 200 heures en l’espace de 4 ans » pour « La République » de Bobigny.

L’appartenance à Sud Education invoquée dans les dossiers disciplinaires

Lors de son entretien au rectorat, mercredi 29 mai, Cyrille a écopé d’un blâme. Dans la lettre motivant son entretien, lui était reproché un manquement « à son devoir de dignité et à son obligation d’exemplarité » concernant deux rapports d’incidents avec des élèves datant de l’année 2016-2017, soit trois ans auparavant. En réalité, durant l’entretien avec le recteur, il n’a été question que de ses relations avec la hiérarchie et de ses activités syndicales sur l’établissement. Aucun motif professionnel.

Pour Caroline et Sabine, menacées de « mutations dans l’intérêt du service », le
rectorat avait dû reporter sine die la commission paritaire administrative prévue initialement le 19 avril faute d’éléments suffisamment valables accompagnant les dossiers. De nouvelles pièces ont depuis été ajoutées aux dossiers que Caroline et Sabine ont consulté de nouveau le 7 juin : Sud Education, syndicat auquel sont affiliés les trois enseignants visés, y est désormais nommément cité. La chasse aux syndicalistes combatifs lancée…

Le collège « La République » : laboratoire de l’article 1 de la loi Blanquer

Sabine, Caroline et Cyrille passent en revue leur année 2018-2019 pour comprendre ce qui a motivé le rectorat. Leurs mesures disciplinaires arrivent alors qu’ils ont dénoncé « un dysfonctionnement financier » au sein de leur établissement par la voix de 13 courriers adressés à la direction départementale (DSDEN) et au rectorat et restés sans réponses. Après qu’ils aient défendu le cas de souffrance au travail d’une collègue handicapée mise à pied et aujourd’hui décédée. Cela arrive « dans un concours de circonstances qui va avec la loi Blanquer » et le très controversé article 1 sur le « devoir d’exemplarité » des professeurs, synthétise Caroline. « On est en plein dedans ! »

L’autre concours de circonstances, c’est la nomination de Daniel Auverlot à la tête du rectorat de Créteil par Jean-Michel Blanquer en février 2018. Ancien inspecteur académique passé Directeur académique des Services de l’Education nationale, Daniel Auverlot qui aura, en tout et pour tout, passé deux ans de sa carrière à enseigner dans le secondaire, a été à la DSDEN de Seine-Saint-Denis de 2008 à 2012… sous la direction d’un certain Jean-Michel Blanquer alors recteur de l’Académie de Créteil (2007-2009). Ils avaient fait alors de l’Académie de Créteil le laboratoire de la « méthode Blanquer ». De là, à voir dans la répression syndicale des enseignants de Bobigny, la directe émanation – et un échantillon-test – de l’article 1 de la loi Blanquer, il n’y a qu’un pas. « Ce qu’on demande aux enseignants du collège de la République de Bobigny c’est d’appliquer d’ores et déjà, l’article 1 de la fameuse loi Blanquer », ne fait d’ailleurs que constater le représentant de Sud Education lors de la conférence de presse.

Après la Poste et la SNCF, le tour de l’Education nationale ?

La procédure est kafkaïenne. Le rectorat de Créteil « décide d’abord d’appliquer une sanction avant de tenter, a posteriori, de les justifier » explique le représentant Sud. « En refusant de faire une vraie procédure de discipline, avec des défenseurs, un débat, des avocats […] l’administration souhaite contourner les Commissions Paritaires » dans l’esprit de ce que prépare la réforme de la Fonction publique voulue par le gouvernement. En vidant de leur contenu les Commissions Paritaires, où les fonctionnaires sont également défendus par les représentants syndicaux, l’administration « va se donner les moyens d’appliquer les mêmes sanctions, sans les garanties de défense qui sont assurées lors des conseils disciplinaires ». Là encore, le cas de Bobigny fait office de préambule à la réforme de la Fonction publique par laquelle « l’administration va s’arroger les pleins pouvoirs ».

Bobigny s’inscrit dans un tournant antisyndical extrêmement brutal dans l’Education nationale. « On pourrait faire un très long catalogue des cas de répression et d’intimidation qui ont eu lieu cette année », explique un représentant du SNES 93 : « Sophie, de l’académie de Dijon, en décembre 2018, se fait rappeler à l’ordre par une convocation au rectorat […] parce qu’elle a critiqué l’allocution de Macron à la télévision » ; « Sébastien, dans l’Hérault, en avril 2019, convoqué par le DASEN de son département pour avoir parlé sur France Bleu » ; « les violences contre les cortèges syndicaux le 1er mai », une enseignante arrêtée pour une pancarte… la liste est longue.

« Ce qui se joue au collège la République, se joue partout dans le monde du travail, se joue partout dans l’Education » explique le représentant du SNES-FSU. Si la loi Blanquer s’intitule la loi de la confiance, « ce qu’on demande aux agents c’est avant tout l’obéissance ». « L’image des lycéens de Mantes-la-Jolie [lors du mouvement lycéen de décembre 2018, alignés par la police contre les murs et au sol], c’est ce qu’on attend des personnels de l’éducation ». Qu’ils soient à genoux. « Tous les moyens sont bons pour museler les collègues », conclut-il.

La présence d’Eric Bezou lors de cette conférence de presse, pourtant axée sur la répression dans l’Education nationale, fait alors tout son sens. Ce cheminot de Mantes-la-Jolie, syndicaliste Sud Rail, est sous le coup d’une menace de licenciement par la SNCF. Les faits qui lui sont reprochés : s’être littéralement « mis à genoux » pour protester contre les brimades quotidiennes dont il faisant l’objet. Comme ses collègues syndicalistes avant lui, il égrène la longue liste des souffrances au travail, des brimades, des méthodes de harcèlement qui touchent ses collègues, en particulier lorsqu’ils sont syndicalistes. Ce collègue élu au CHSCT que la direction de l’entreprise a réussi à mettre à pied. Ces « listings » classant les salariés cheminots selon leur degré de docilité qu’il a entrepris de dénoncer. Ce collègue et ami, Edouard Postal, cheminot et syndicaliste Sud rail, qui s’est suicidé en se jetant sous un train le 10 mars 2017, victime d’un management de la terreur

Alors que le procès France Télécom n’est pas encore refermé, on voit que les méthodes de management autoritaires se déclinent dans les entreprises publiques en voie d’être privatisées comme c’est le cas à la SNCF, et commencent à s’immiscer au sein des services publics. La loi « Blanquer » et la réforme de la Fonction publique, qui prévoit d’ôter aux agents de l’Etat les moyens de se défendre contre l’arbitraire de leur hiérarchie, en sont des signes annonciateurs. Autant que le cas des enseignants réprimés de Bobigny où l’appartenance à Sud Education et l’activité de défense des conditions de travail et d’étude des élèves sont véritablement le nœud de l’affaire.

Crédits photo : FCPE94


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