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Justice patriarcale

Condamner l’initiatrice de #BalanceTonPorc, c’est réduire les femmes au silence

L’initiatrice de #BalanceTonPorc avait été assignée en justice par Éric Brion, qu’elle accusait de harcèlement sexuel dans un tweet. La justice a aujourd’hui donné raison à Éric Brion, à qui elle devra verser 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son « préjudice moral », ainsi que 5 000 euros de frais d’avocats.

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#BalanceTonPorc, écho français de #MeToo

En octobre 2017 éclate la désormais célèbre affaire Weinstein ; de nombreuses actrices accusent le très influent producteur américain de harcèlement et d’agressions sexuelles. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #MeToo prend de l’ampleur, d’abord aux États-Unis, puis dans le monde entier. Partout, les femmes témoignent du harcèlement dont elles ont, elles aussi, été victimes sur leurs lieux de travail. Les actrices, grâce à la plateforme dont elles disposent, mettent en lumière des rapports de genre qui existent dans tout le monde du travail.

En France, en réaction à ce mouvement, joignant son témoignage à des milliers d’autres, la journaliste Sandra Muller lance un hashtag en France dans le tweet suivant : « #balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. ». Quelques heures plus tard, elle ajoute : « “Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit” Eric Brion ex-patron de Equidia #balancetonporc ».

Le hashtag se répand comme une traînée de poudre. Une expression publique et massive de la violence sexiste subie par des millions de femmes dans nos sociétés patriarcales. Maître Francis Szpiner, son avocat, dira plus tard : « Sandra Muller, lorsqu’elle fait ce tweet, est une inconnue. Pourquoi le compte d’une inconnue ayant un nombre de followers limités a pris cette ampleur ? S’il a pris cette ampleur, c’est qu’il a trouvé une résonance chez de nombreuses femmes ».

Trois mois après le tweet, Éric Brion l’attaque en justice pour diffamation. Il ne nie pas les faits, mais la qualification de porc et de harceleur porte selon lui atteinte à son honneur. Et aujourd’hui, Sandra Muller est condamnée à lui verser 15 000 euros de dommages et intérêts. Le tribunal a considéré que Sandra Muller n’avait aucune preuve des paroles qu’elle dénonçait dans le tweet, et que l’épisode en question ne pouvait être qualifié de harcèlement, n’étant ni répété, ni une « pression grave ».

« On aurait voulu que les femmes se taisent, on ne s’y serait pas pris autrement. »

Symboliquement, cette décision est lourde de sens. L’avocat de Sandra Muller dénonce une volonté de faire taire les femmes. « Ce n’est pas un signal positif que la justice envoie. On leur dit, Mesdames, retournez sept fois votre langue dans votre bouche avant de tweeter, sinon vous serez asphyxiées financièrement. »

Ce qu’on reproche à Sandra Muller, c’est d’avoir révélé le nom d’Éric Brion sur les réseaux sociaux. Mais quelle solution reste-t-il alors aux femmes victimes de violences sexistes ?

Faut-il qu’on se taise, sous peine de devoir payer des fortunes à ceux qu’on accuse ? À qui cette décision de justice profite-t-elle ? Car bien souvent, l’assignation en justice pour diffamation ou calomnie est une arme pour les hommes accusés de violences sexistes. En retournant la dynamique, ils se positionnent en victime et accablent les femmes qui les dénoncent… Une stratégie de défense rendue possible par une justice patriarcale, bien plus prompte à museler les femmes qui osent sortir du silence qu’à condamner les hommes qui les ont harcelées, agressées ou violées, d’autant plus s’ils sont issus des classes dominantes.

À titre d’exemple, en 2016, plus de 7 poursuites judiciaires sur 10 pour violences sexuelles ont fait l’objet d’un non-lieu. On sait déjà que seul un cinquième des victimes de viols portent plainte, en raisons de nombreux facteurs dissuasifs. Une part non-négligeable des cas de viols sont requalifiés en agressions sexuelles par la justice ; entre 2012 et 2013 par exemple, 46 % des procès pour agressions sexuelles au tribunal de Bobigny étaient des cas de viols requalifiés. En tout, seul un dixième des plaintes pour viol aboutit à une condamnation.

On sait aussi que le nombre de femmes portant de fausses accusations est minime, et que le processus pour porter plainte est un véritable parcours du combattant, au regard du nombre de plaintes classées sans-suites. Loin d’être un recours pour les femmes, la justice les réduit au silence.

L’impasse des institutions patriarcales

La condamnation de Sandra Muller met aujourd’hui en lumière le rôle joué par la justice dans un système patriarcal, véritable maillon qui banalise et légitime les violences subies par les femmes, et dont l’ampleur et le caractère systémique ont été révélés par les vagues #MeToo et #BalanceTonPorc. La lutte contre les violences de genre ne sera pas victorieuse si elle est déléguée à une justice patriarcale dans une logique exclusivement punitive.

De plus, le gouvernement Macron, dans une tentative de coopter la colère contre les violences de genre, a fait de l’égalité femmes-hommes une « grande cause du quinquennat », créant notamment un nouveau délit supposé sanctionner le harcèlement de rue. Ce n’est rien d’autre qu’une mesure cosmétique, qui ne changera rien à la réalité des rapports de domination que subissent les femmes à l’égard de leur patron, supérieur hiérarchique ou employeur, dénoncés par les tweets #BalanceTonPorc.

Car le sexisme est structurel, possède de nombreux visages, et il s’agit de s’organiser collectivement, indépendamment des institutions, pour le combattre.

Crédit photo : KEYSTONE


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