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Une première et un succès dans la ville rose

Conférence Trump / Toulouse. Près de 80 participants pour la première de Révolution Permanente 

Ce vendredi soir se tenait la version « toulousaine » de la conférence-débat « Trump à la Maison Blanche : Où vont les Etats-Unis ? Où va le monde ? » , organisée en simultané avec d'autres villes par Révolution Permanente. Il s'agissait de la première apparition publique dans la ville rose, et avec près de 80 participants, la réunion a été un succès enthousiasmant pour la suite.

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Correspondants
 

D’où vient Trump ? Retour sur les causes sociales d’un séisme politique

 
Emmanuel Barot, enseignant-chercheur en philosophie à l’université du Mirail et membre du comité de rédaction de Révolution Permanente, a introduit le débat en partant de l’idée que «  les clés pour expliquer l’élection de Trump sont à trouver dans la nature de la crise sociale et du type de décomposition qui sévit USA, pays du ’fondamentalisme capitaliste’ ». Son introduction est revenue sur un contexte international marqué par la perte du « leadership  » géopolitique des États-Unis, et sur les conséquences encore incertaines de l’élection d’un homme en apparente rupture avec les institutions internationales et la ligne diplomatique de son prédécesseur, à l’heure où les tensions entre les Etats impérialistes atteignent des niveaux records depuis la fin de la guerre froide. Mais la situation mondiale est aussi celle de l’arrivée à bout de souffle des mécanismes de contention de la crise économique de 2007, ainsi que de la faillite du projet néolibéral, qui suscite une remise en cause importante de la politique menée par les classes dominantes aux USA de même qu’en Europe (comme en a témoigné le Brexit l’été dernier).

De là, la comparaison entre Trump et Sanders – les deux outsiders « anti-establishment » de la course à la maison blanche – a permis de mettre en lumière la base commune de leur émergence : la crise, la colère et l’incertitude, et la critique de la caste économique et politique du pays, avec lesquelles ils ont su dialoguer. Evidemment, il fallait aussi montrer leurs profondes différences dans les réponses proposées face à la situation, chacun représentant les versants opposés de la polarisation conséquence de la crise de « l’extrême centre » faisant suite à deux mandats Obama, qui n’a cessé de répéter que « la sortie de crise [était] proche » alors que les conditions de vie des américains n’avaient de cesse de se détériorer, de manière dramatique.

La victoire de Trump nous rappelle le degré de pourrissement affectant la société américaine, sur laquelle a pu s’imposer sa « radicalité » extrême-droitière. La candidature de Sanders a cependant soufflé, pour les mêmes raisons de fond, un vent nouveau sur le champ politique américain, se revendiquant, à l’opposé, du « socialisme » au pays du maccarthysme et de la chasse aux rouges, où ce mot est carrément devenu tabou après la chute du mur de Berlin. Sa conception du « socialisme » est avant tout romantique et assez déformée, en premier lieu parce qu’il pense pouvoir l’atteindre par la voie électorale, c’est-à-dire avec une stratégie purement réformiste (passant à la trappe toute l’expérience du mouvement ouvrier du XXème siècle), comme en a témoigné son soutien à la favorite du grand patronat Hilary Clinton. Mais si la popularité de sa candidature a eu le mérite de démontrer qu’il est possible de prononcer le mot aux Etats-Unis, c’est parce qu’il y a d’importantes franges de jeunes et de travailleurs américains qui commencent à réellement aspirer à un changement radical du système. En ce sens la dynamique Sanders a exprimé la polarisation sociale sur la gauche qui a commencé à se faire jour depuis le début des années 2010, avec le mouvement Occupy, les luttes dans les fast-foods, dans l’industrie pétrolière, dans les télécommunications, pour le salaire minimum à 15$, ou encore le mouvement Black Lives Matter, etc.

Emmanuel Barot est ensuite revenu plus en détail sur le vainqueur des élections, sa base sociale ainsi que son programme pour une Amérique « grande encore ». Pour l’instant il est difficile de savoir jusqu’où Trump pourra mener son programme populiste, les mains en partie liées par le fait qu’il est encore minoritaire au sein de son propre parti, et plus largement la bourgeoisie états-unienne, qui n’est pas prête à « sortir du monde », abandonner les délocalisations, stopper les importations chinoises (de produits en grande partie fabriqués dans des entreprises américaines localisées en Chine), etc. Mais ce qui est certain, c’est que le tournant à droite qu’il incarne est important, et que face aux pires dégénérescences qu’elles peuvent anticiper dans l’avenir, l’alternative ne réside pas dans les institutions qui tuent tous les jours des jeunes noirs, qui bombardent pour le pétrole et organisent la misère aux États-Unis.

Mais la polarisation sociale en cours aux Etats-Unis et la défaillance des procédés démocratiques « traditionnels » au travers desquels la bourgeoisie a coutume d’imposer sa politique, n’est pas sans faire penser à ce que nous connaissons en France. De Trump au « trumpisme » en résumé, Emmanuel Barot est revenu sur le concept de « crise organique », repris du révolutionnaire marxiste italien Antonio Gramsci, pour définir la situation dans laquelle se trouvent actuellement plusieurs pays « centraux », dont la France et les États-Unis. La classe dominante y a de plus en plus de mal à « diriger » de manière consentie, ce qui a pour effet de générer de nouvelles formes de pensée (notamment la fin du « There is no alternative » de Thatcher, que l’on pense à Occupy ou à Nuit Debout et la lutte contre le « monde » de la loi travail), et l’apparition, donc, de nouveaux phénomènes politiques dont le grand écart Trump/Sanders est une expression parlante.

L’introduction a finalement ouvert sur les perspectives dans notre pays, sans se limiter au rapprochement Trump-Marine Le Pen que tout le monde a en tête. En France la bourgeoisie a d’ores et déjà opéré un tournant important dans le sens de l’option autoritaire, bonapartiste, face à la nécessite d’accélérer les contre réformes pour rattraper ses concurrents à l’échelle internationale, couplée à l’effritement de ses mécanismes de domination traditionnels, comme l’effondrement du PS, l’utilisation répétée du 49.3 et le crescendo répressif en ont été l’expression dernièrement. Face à ces tabous brisés par le PS, la voie est dégagée pour une offensive d’ensemble dont nous n’avons en réalité entrevu que les prémisses.

À l’heure où l’experience « Trump » donne des ailes aux pires réactionnaires d’Europe et où Fillon avec son « Thatchérisme à la francaise » semble en effet être le grand favori pour 2017, soutenu par le grand patronat qui a besoin d’ouvrir une réelle guerre contre les travailleurs et les classes populaires pour liquider les acquis de notre classe depuis 1945, au prix d’une répression et d’une violence sans précédents, l’enjeu est à la construction d’un front contre le gouvernement de combat Fillon et contre la répression, sur la base d’un programme permettant la jonction entre les différents secteurs de notre classe et des opprimé-e-s, sans laquelle aucune victoire - même défensive - ne sera possible.

Un débat riche et des perspectives qui émergent pour les combats à venir

 
Le débat qui a suivi a notamment abordé la question de la nature de la candidature Clinton, de la défaite (contestée) de Sanders, des mouvements spontanés à l’annonce de l’élection de Trump. Plusieurs interventions ont fait le parallèle avec les manifestations anti-Le Pen en 2002 et anti-Sarkozy en 2007, soulignant que ces mouvements, faute d’une expression suffisamment indépendante et délimitée des candidats de la bourgeoisie, pouvaient aussi renforcer la formation démocrate, dont la politique est pourtant la principale responsable de l’ascension du morbide phénomène Trump. Dans le prolongement logique de cette discussion s’est ouvert un débat, qui aurait mérité plus de temps tant de nombreuses questions ont surgi, sur notre rapport aux institutions et en particulier aux présidentielles (avec en toile de fond la situation française). Les solutions réformistes sont-elles une issue ? Ne faudrait-il pas sortir du système et se retirer à la campagne ? L’abstention ? Ou net peut-on utiliser ces élections comme une tribune – si encore on arrive à contourner tous les mécanismes visant à freiner les candidats non-sponsorisés par les grandes fortunes – afin d’y proposer des perspectives de lutte, un programme sur la base duquel pourraient converger dans l’action les secteurs d’avant gardes s’étant mobilisés ce printemps, les quartiers populaires, les jeunes, etc. condition sans laquelle il sera impossible d’imposer des défaites aux attaques du gouvernement Fillon et encore moins de battre en brèche le système ? C’est le sens de la campagne Philippe Poutou que le NPA a commencé de mener, et qu’il faut renforcer, notamment contre l’idée qu’un Sanders à la française comme Mélenchon pourrait incarner ou porter réellement une telle perspective. Le programme de ce dernier en effet, bien qu’en rupture avec le PS, n’en consiste pas moins à dire que l’insoumission au système, doit en dernière instance reste cantonnée dans les règles du jeu de ce même système. N’est-ce pas là une façon d’entretenir bon nombre d’illusions sur les voies conséquentes de lutte contre ce dernier ?

Une autre partie de la discussion a porté sur la question féministe, le sexisme et les questions de genre, autour de la figure de Clinton notamment, qui a essayé de jouer sur cette carte pour unifier l’électorat féminin, alors qu’elle n’incarne qu’une très faible fraction (bourgeoise et blanche) des concerné-e-s. Mais un débat stratégique peut-être plus central a émergé à la fin : la classe ouvrière existe-t-elle encore ? Question à vrai dire cruciale pour penser un projet alternatif. Si la classe ouvrière est entendue au sens des travailleurs vendant leur force de travail pour survivre, sans jouer de rôle décisionnel dans l’appareil de production, alors il ne fait aucun doute que oui, et que cette classe est même largement majoritaire et que notre tâche est de contribuer à la réunifier dans toutes ses composantes. En effet ce que la discussion a soulevé plus particulièrement c’est l’interrogation – légitime - sur la possibilité ou non pour celle-ci, qui est aujourd’hui largement précarisée et morcelée, de se positionner comme réel acteur politique, d’affronter les forces de répression, et ce plus largement que dans les secteurs avec une forte tradition de lutte. Les interventions sont revenues sur le bilan de la loi travail, sur les raisons de la non-extension de la mobilisation au-delà de certains secteurs stratégiques mais minoritaires de la classe. La revendication « contre la loi travail » s’adressait-elle aux secteurs les plus précaires de notre camp ? Ceux qui ne connaissent même pas la stabilité d’un CDI et qui connaissent déjà depuis longtemps les effets de cette dite loi ?

S’il est certain que Fillon & consorts nous réservent des attaques dont l’ampleur sera sans précédent, il l’est tout autant que les secteurs qui ont relevé la tête ce printemps seront au rendez-vous. Cependant, d’ici l’investiture, des tâches préparatoires sont devant nous. Il faut dès maintenant rompre avec le programme corporatiste imposé par les directions syndicales, exiger un CDI pour tou-te-s, s’attaquer à la précarité, au chômage en exigeant le partage du temps de travail et la hausse du SMIC. C’est seulement ainsi que les avant-gardes de ce printemps (dockers, raffineurs, cheminots, jeunes, etc.) pourront s’adresser aux travailleurs les plus précaires pour les entraîner dans la danse, elles et eux qui ont su montrer l’explosivité de leurs luttes lors des quelques grèves dures qui ont émaillé la dernière période. Également, si les dockers du Havre et les raffineurs ont fait la démonstration qu’ils étaient le seul secteur à avoir été capable de faire reculer la police et de faire voler en éclat des formations de CRS, ces avant-gardes ouvrières doivent désormais d’adresser aux quartiers populaires, où les forces de répression tabassent, humilient et tuent, pour montrer que l’unité de classe est le principal outil de l’auto-défense. Sans de telles alliances que les classes dominantes font tout pour empêcher, notamment en entretenant un climat réactionnaire et raciste, aucune victoire ne sera possible en France. Ces tâches incombent bien entendu aussi à la jeunesse scolarisée, qui n’a pas su au printemps entrainer avec elle celle pour qui les portes des facs sont et resteront fermées, la jeunesse populaire, qui vit en grande partie dans les quartiers.

Si bien des aspects de la situation sont, à juste titre, dramatiques, la polarisation politique actuelle offre un ensemble de brèches prometteuses. Cette conférence-débat, dont l’auditoire, composé de jeunes comme de travailleurs, s’est appropriée avec beaucoup de dynamisme les enjeux de la discussion, a montré que des espaces de réflexion de ce genre sont absolument nécessaires pour penser la suite, que discuter des idées révolutionnaires est légitime et fait particulièrement sens en ce moment, que discuter de stratégie est une chose très concrète, et la poursuite des discussions après la séance avec de nombreux-ses participant-e-s est la meilleure preuve que de telles rencontres méritent d’être rééditées dans un proche avenir.


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