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Conflans. Mélenchon se range derrière Macron et son unité nationale avec une dose de xénophobie

Interrogé au sujet du drame survenu à Conflans-Sainte-Honorine, Jean-Luc Mélenchon a pointé du doigt dans une interview la communauté tchétchène et s'est déclaré favorable au projet de loi islamophobe « contre le séparatisme », rebaptisé loi de « renforcement de la laïcité ». Une position du leader de LFI qui s’inscrit dans son choix de se ranger derrière l'union nationale appelée par Emmanuel Macron.

Paul Morao


et Mahdi Adi

18 octobre 2020

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Après l’ignoble décapitation d’un enseignant, le gouvernement n’a pas tardé à instrumentaliser le drame pour tenter de bâtir une « union nationale » réactionnaire. Un appel auquel semble avoir cédé le dirigeant de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Dans une interview hier, le député des Bouches-du-Rhône tient des propos xénophobes, reliant l’attaque d’Eragny à la « communauté tchétchène », avant de se ranger derrière l’appel à l’unité nationale d’Emmanuel Macron, et d’évoquer les perspectives de travail autour du projet islamophobe de « loi de renforcement de la laïcité ».

Après le crime abominable de Eragny, les échos de l’appel à « l’union nationale » de Macron

La décapitation d’un enseignant hier à Eragny, crime abominable, a choqué très largement. D’après les premiers éléments disponibles, l’enseignant aurait été visé par un jeune homme d’origine tchétchène qui aurait appris sur les réseaux qu’il avait montré en classe des caricatures de Mahomet et décidé de l’assassiner. Cette affaire fait suite à une polémique générée à l’intérieur du Collège du Bois d’Aulne de Conflans-Saint-Honorine, où selon le témoignage de parents d’élèves, le professeur aurait demandé aux élèves musulmans de sortir de son cours pour y montrer deux des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, suscitant l’indignation de parents qui ont relayé leur colère sur les réseaux sociaux, avant que celle-ci ne leur échappe.

Face à ce drame, l’extrême-droite puis le gouvernement n’ont pas tardé à tenter d’instrumentaliser. Après les multiples déclarations racistes de figures d’extrême-droite, Emmanuel Macron a pris la parole depuis le lieu du meurtre. Après avoir rendu un hommage hypocrite aux enseignants pour essayer de leur faire oublier le mépris qu’il leur témoigne au quotidien avec le manque de moyen dans les établissements scolaires, la souffrance au travail, et la répression de ceux qui relèvent la tête malgré tout, le Président de la République a appelé à l’union nationale : « Nous ferons bloc, ils ne passeront pas. Ils ne nous diviseront pas. J’appelle l’ensemble de nos compatriotes à faire bloc, à être unis. »

Un appel qui a résonné dans le champ politique bourgeois, puisque Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat expliquait dès le lendemain sur France Info que « Les Républicains des deux rives doivent se tendre la main », tandis que François Hollande appelait à « l’unité » face « à la barbarie et à l’obscurantisme » et que le Parti Socialiste appelait à « une manifestation d’unité de la Nation » derrière les organisations d’enseignants et de parents d’élèves.

Du côté de l’extrême-droite, c’est pour le moment le déchaînement islamophobe contre « les jeunes musulmans » et la condamnation de « l’inconséquence » supposée du gouvernement qui prime. Au « ils ne passeront pas » d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen a ainsi répondu sur Twitter « ils sont déjà là ». Tandis que, sur BFM TV, Jordan Bardella accusait la communauté musulmane de « communautarisme de conquête pour imposer à l’ensemble de la société française leurs interdits », et demandait la démission d’une députée MODEM qui avait évoqué une « erreur » du professeur après le drame.

Alors que le RN profite de l’occasion pour chercher à capitaliser sur la séquence en jouant sur son terrain de prédilection, à gauche, La France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon ne proposent aucune alternative et choisissent de se ranger sans détour derrière « l’union nationale » appelée par Macron, avec un discours au contenu explicitement xénophobe anti-tchétchène.

« Communauté tchétchène », loi sur la « laïcité » et union nationale : quand Mélenchon alimente le climat réactionnaire

Interviewé par différents médias en marge de la Marche des Solidarités, Jean-Luc Mélenchon a tenu hier un discours dans lequel il a pointé du doigt la communauté tchétchène en déclarant : « C’est inadmissible que pour la deuxième fois on s’aperçoive que des éléments de la communauté tchétchène peuvent s’organiser pour le crime sans être ni détectés ni réprimés. Il est donc temps que le travail de police et de renseignement soit fait avec méthode et application. » Des propos xénophobes qui établissent un lien direct entre l’assassinat de vendredi soir et les affrontements de Dijon en raison de l’appartenance à la communauté tchétchène dans un amalgame particulièrement dangereux.

Sans mentionner la responsabilité du gouvernement qui ne cesse d’attiser les tensions sociales dans le pays, et notamment les tensions islamophobes et sécuritaires en cette rentrée, Jean-Luc Mélenchon a également saisi la main tendue par Macron. Evoquant projet de loi islamophobe du gouvernement « contre le séparatisme », rebaptisé loi de « renforcement de la laïcité », le leader de LFI a repris à son compte le projet. « Nous aurons, dans la prochaine loi qui arrive - puisque désormais elle s’appelle « loi de renforcement de la laïcité », ce n’est plus la même chose - à prendre des mesures qui soient efficaces pour réprimer la possibilité pour ces gens de s’attrouper. En particulier l’école à la maison et les établissements hors-contrat, tout ça doit être interdit. » a-t-il noté à ce propos.

Ainsi, Jean-Luc Mélenchon a accepté de se ranger derrière « l’appel utile », selon lui, d’Emmanuel Macron à « l’unité nationale » contre les « terroristes islamistes ». Cette position totalement adaptée à la politique d’instrumentalisation de l’émoi populaire à des fins sécuritaires et racistes menée par le gouvernement au lendemain de l’attaque de Conflans, marque un nouveau tournant de La France Insoumise qui cherche à se construire comme une opposition prétendument respectable et « républicaine », capable de faire bloc avec les partis les plus réactionnaires.

Face à un crime abominable, aucune concession au gouvernement et à l’« unité nationale » !

Alors que depuis la rentrée, Emmanuel Macron mène une offensive sécuritaire et islamophobe pour tenter de s’ancrer à droite, l’assassinat d’un enseignant apparaît comme une opportunité pour le pouvoir de tenter de se relégitimer y compris vis-à-vis de l’aile gauche de son électorat de 2017. De fait, Macron compte bien profiter du symbole que constitue cette attaque perpétrée contre un professeur pour tenter de coopter le corps enseignant, alors même que les travailleurs de l’Education Nationale se sont largement opposés aux réformes successives du gouvernement et dénoncent une rentrée dans des conditions sanitaires indignes.

Dans ce cadre, toute concession à l’appel à l’union nationale du gouvernement conduit non seulement à masquer sa responsabilité dans le climat islamophobe actuel - qu’il a instauré et attisé, alimentant les tensions sociales qui mènent à de véritables drames - mais aussi à appuyer la récupération politique du gouvernement et son opération séduction en direction des enseignants. En n’offrant aucune alternative à gauche, la position de Jean-Luc Mélenchon constitue ainsi un véritable cadeau au gouvernement, en plus d’être inadmissible par principe.

De fait, traditionnellement mobilisée par les classes dominantes au lendemain d’événements traumatisants, à l’image des attentats terroristes, l’« union nationale » est un piège. Cette injonction à l’unité vise en effet à profiter des « chocs », de la guerre, d’événements tragiques, pour mettre sous le tapis les oppositions qui traversent et structurent la société. L’opposition, par exemple, entre les exploités qui subissent la crise, le chômage, la pauvreté, et le patronat, que le gouvernement n’a cessé de gaver à coup de milliards ces derniers mois. Les oppositions racistes et islamophobes également, celles-là même que le gouvernement alimente par sa campagne récente qui attise la haine des musulmans et les tensions sociales, faisant le lit de l’ultra-violence des fanatiques. Si les dominants ont intérêt à dissimuler ces divisions qu’ils entretiennent à l’ordinaire, répondre à leur injonction conduit nécessairement, pour ceux qui les subissent, à désarmer et à se rendre incapable de mener la lutte résolue qu’appelle au contraire cette situation.

En effet, ce n’est pas l’union nationale avec ce gouvernement raciste, avec la droite et l’extrême-droite, qui permettra d’en finir avec ces actes mais une politique radicalement différente, pour l’éducation, pour l’emploi, le logement, en complète opposition avec ce qui se fait depuis des décennies, ainsi que d’une lutte résolue contre l’exploitation et les oppressions, notamment l’islamophobie, qui font le lit de la violence. Une lutte que les organisations syndicales du mouvement ouvrier, de l’éducation et de la jeunesse ainsi que la gauche devraient prendre en charge de façon claire, en toute indépendance du gouvernement et des forces qui ne cessent d’attiser la haine pour mieux instrumentaliser et nous diviser en tirant profit avec cynisme d’événements abominables.


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