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« bye bye Kabila »

Congo Kinshasa. Kabila négocie les conditions de sa reddition dans un pays au bord de l’implosion

Joseph Kabila, à la tête de la République Démocratique du Congo (RDC) depuis 2001, suite à l’assassinat de son père, élu président en 2006 et réélu à la suite d’un scrutin plus que douteux en 2011, continue de s’accrocher au pouvoir. Les négociations se poursuivent entre les tenants de la majorité et le « Rassemblement », plateforme de l’opposition, sous l’égide de la Conférence des évêques (Cenco), avec l’aval du Pape François. Ce faisant, les discussions laissent au pouvoir en place le temps de négocier les conditions de sa reddition et aux successeurs, venus de l’ancien régime de Mobutu, celui de s’assurer le contrôle de la transition, le tout, dans un contexte dans lequel la répression ne faiblit pas alors que les exactions se multiplient dans l’est du pays.

Nina Kirmizi

27 décembre 2016

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Kabila sous pression…

L’accord du 18 octobre, après une première vague de négociation, a été contesté par les opposants : insuffisamment inclusif avec une partie de l’opposition et proposant le report des élections à 2018, il a été rejeté par les adversaires de Kabila chapeautés par Etienne Tshisekedi, obligeant la relance des négociations le 12 décembre 2016. Ce que cherche à négocier l’opposition, c’est, a minima, le départ de Kabila fin 2017 et la nomination immédiate d’un premier ministre issu de l’opposition pour assurer la transition. L’opposition souhaite également le retour de Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et candidat à l’élection présidentielle pour le Rassemblement. Les deux figures de l’opposition que sont Tshisekedi et Katumbi semblent avoir tout le soutien des puissances impérialistes, et en premier lieu de la France, pour succéder à Kabila. Ils étaient ainsi reçus cet été, le 18 juillet 2016, au Quai d’Orsay, en présence des envoyés spéciaux pour la région des Grands Lacs, Koen Vervaeke de l’Union européenne, Thomas Perriello, pour les États-Unis et Danae Dholakia, pour la Grande-Bretagne.

Depuis plusieurs mois, les chancelleries occidentales utilisent tout leur arsenal diplomatique pour faire pression sur le président actuel pour assurer une transition pacifique. L’enjeu est que le pouvoir revienne à des mains amies dans un pays aussi stratégique que la RDC, à la fois d’un point de vue diplomatique et économique, dont les sous-sols recèlent de minerais. En septembre dernier, Washington a pris des mesures contre deux responsables congolais, proche de Kabila, dont les avoirs ont été gelés par le Trésor américain. Suite à la violente répression des manifestants des 19 et 20 septembre dernier à Kinshasa, l’UE a sorti une déclaration menaçant de sanctions individuelles des membres du régime et la publication d’une liste de noms de ceux qui feraient obstacle à une sortie de crise auprès de la Cour Pénale Internationale. Plusieurs figures de l’opposition, dont Katumbi, se sont réjouies de ces mesures. Les puissances étrangères ont déjà désigné leur candidat et avancent leurs pions pour le faire accéder au pouvoir. Katumbi a plusieurs avantages, aux yeux des chancelleries occidentales, sur Tshisekedi, dont un qui n’est pas secondaire, compte tenu du besoin de stabilité dans un pays parcouru par les tensions : l’âge. Le premier a 52 ans, alors que la figure tutélaire de l’opposition congolaise en a 84.

Plus significatif encore, le retrait des troupes angolaises du Congo est un énième signal envoyé à Kabila : l’Angola, partenaire historique de la RDC, dispose de troupes qui participent à stabiliser des régions frontalières et à la formation des Forces Armées de RDC. Le retrait des troupes angolaises, qui avaient aidé à renverser Mobutu et à protéger le régime de Laurent-Désiré Kabila, marque un pas de plus dans les pressions exercés à l’encontre du chef d’État sortant, venant cette fois du principal allié régional de la RDC, qui s’aligne sur la politique de l’UE et des États-Unis.

Avec le scénario actuel, Kabila devrait être contraint, tôt ou tard, de remettre le pouvoir. Cependant, ce dernier cherche à gagner du temps et à jouer sur les tensions ouvertes par la situation pour négocier les conditions de son retrait de la vie politique. Du haut de ses 45 ans et de ses 15 années de pouvoir, Kabila cherche la protection de sa personne et de ses proches, ainsi que l’immunité juridique. Lâché par ses anciens soutiens des capitales occidentales, il se sait vulnérable vis-à-vis des exactions opérées par ses partisans : traque et torture des opposants  ; viol sur les opposantes politiques, une pratique en rien réservée aux miliciens du Kivu également utilisées jusque dans les geôles de l’État ; assassinat des membres de la société civile les plus dérangeants, à l’instar de Floribert Chebeya, militant des droits de l’homme, assassiné dans sa voiture en 2010 ; exactions pures et simples, etc. Kabila a tout à craindre de poursuites judiciaires, voire d’accusations de crimes contre l’humanité pour ses méthodes de terreur dans la gestion du pays. Sa crainte est également de perdre le contrôle sur son empire économique, estimé à 35 milliards de francs congolais, et qui repose sur plus de 120 permis d’extraction d’or, de diamants, de cuivre et de cobalt dans le pays. Les dessous de cet empire économique ont été révélés il y a quelques semaines à peine par Bloomberg, une information qui tombe à pic pour délégitimer un ancien collaborateur des grandes multinationales minières et chef d’État ami, devenu des plus infréquentables aux yeux des principales puissances impérialistes.

… une transition hasardeuse

Kabila peut compter sur les craintes, légitimes, de déstabilisation du pays pour jouer à son avantage. Les forces gouvernementales sont actuellement concentrées dans les régions urbaines pour contenir la contestation populaire et celles-ci n’hésitent pas à tirer sur les manifestants. À Lubumbashi, dans la capitale de la région du Haut-Katanga, des affrontements ont éclaté entre des jeunes et les forces de sécurité massivement déployées, faisant une cinquantaine de morts, plus de 100 blessés et 460 arrestations. Plusieurs jeunes contestataires, issus des mouvements de la société civile Lucha et Filimbi, qui refusent les négociations avec le gouvernement, ont été arrêtés la semaine dernière et sont encore actuellement portés disparus. Dans la nuit de dimanche 18 décembre, les connexions internet ainsi que les réseaux sociaux ont été bloqués.

Par ailleurs, le climat d’instabilité générale pousse les milices, très présentes dans l’est du pays, à passer à l’action. Dans le Nord-Kivu, par exemple, des attaques qui se multiplient entre milices opposées ont fait près de 50 victimes civiles depuis jeudi dernier. Il s’agit le plus souvent de meurtres à la machette, accompagnés de viol de femmes et d’enfant, comme mode de gestion politique. Les rivalités interethniques, héritées de la seconde guerre du Congo, entre 1998 et 2002, se poursuivent dans la région sur fond de démobilisation des factions miliciennes et de conflit dans l’accession aux postes de pouvoir de l’État et aux terres dont le sous-sol regorge de richesses minières.

Alors que le risque de répétition de l’histoire pèse sur le présent de la RDC, Kabila tente de jouer avec les peurs occidentales de déstabilisation de la région. Un jeu, auquel il pourrait lui-même se brûler les doigts, en faisant un appel d’air pour ces franges miliciennes, qui pourraient trouver là l’occasion de défendre leurs droits à une part du gâteau dans un pays en proie à l’instabilité et aux appétits des puissances étrangères.


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