×

Macron entre le préfet Erignac et les nationalistes

Corse. Dernier jour de visite sous haute tension

Une visite de deux jours sous le signe de la tension, et pas uniquement parce que s’exprime, en Corse, un besoin de reconnaissance et d’identité, toujours mis sous le boisseau par la République jacobine.

Facebook Twitter

La raison de cette tension est également à chercher ailleurs, du côté du fait que la Corse est, selon l’INSEE, la région où la « pauvreté monétaire » est la plus importante de France. Le regain du sentiment nationaliste, de délaissement par Paris, et cette situation de grande précarité sociale sont étroitement imbriqués. C’est d’ailleurs ce qui avait présidé à la première action menée par l’Azzione per a rinascita di a Corsica (ARC), lors de « l’affaire d’Aléria », lorsqu’un commando d’une vingtaine de militants avait occupé la cave Dépeille, propriété d’un pied-noir, pour dénoncer la situation de grande précarité du monde rural de l’île, à l’automne 1975. C’était, alors, l’acte de naissance du nationalisme corse contemporain.

La situation a bien entendu changé et les politiques publiques, combinant clientélisme et bétonnage, ont servi à canaliser, pendant quelques décennies, cette situation. Cependant, la crise organique du régime des partis, qui s’exprime de façon particulièrement aiguë, en Corse, et le sentiment d’abandon et de relégation se sont traduits par une percée historique des nationalistes et des autonomistes aux élections de décembre. De là à dire que Gilles Simeoni et Jean-Gui Talamoni, les deux principaux leaders de la cause corse, seront en capacité d’obtenir des concessions de la part de Paris…

C’est en effet par une logique de pression, répétée, sur le terrain électoral maintenant, que les dirigeants du nationalisme corse espèrent avoir gain de cause, en utilisant la situation particulière de Macron sur la question de la réforme constitutionnelle. On sait, en effet, que le président souhaite changer la Constitution, ce qui se traduirait, notamment, par une réduction du pouvoir du Sénat. Les élus corses, qui savent que leur poids, au Congrès, réunissant députés et sénateurs, pourrait s’avérer décisif, envisagent très sérieusement d’utiliser Macron et son exécutif pour essayer d’avancer sur plusieurs dossiers, à la fois la reconnaissance de la spécificité corse (un interdit, pour la conception jacobine de l’Hexagone), de la co-officialité de la langue corse (un tabou, pour une République « française »), un statut fiscal et de résidence particulier (soi-disant pour lutter contre la spéculation immobilière et relancer l’économie), et la question des prisonniers politiques. C’est mal connaître Paris.

Sur le dernier point, celui des prisonniers politiques, Macron a été très clair, au premier jour de sa visite sur l’île. La date n’était pas choisie au hasard, puisqu’il s’agissait du vingtième anniversaire de l’exécution du préfet Erignac par un commando nationaliste. Rendant hommage à la mémoire de l’ancien haut-fonctionnaire, Macron a laissé à la veuve le soin de déclarer que « la république ne faiblira pas » en Corse. Une façon de dire que les promesses de campagne de Macron, lors de son discours de Furiani, au sujet de la reconnaissance possible des « particularités » insulaires, de même que le signal d’ouverture lancé par Edouard Philippe, saluant de façon « républicaine » la victoire du tandem Simeoni-Talamoni aux élections de décembre, auront fait long feu.

Lors de leur déplacement à Paris, en janvier, les deux avaient d’ailleurs reçu une fin de non-recevoir, et de la part de Matignon, et de la part du président du Sénat, Gérard Larcher. La mobilisation d’Ajaccio de ce samedi, qui avait été appelée après ce voyage sur le continent et qui a réuni plusieurs milliers de manifestants, jusqu’à 5% de la population de l’île, ne semble pas avoir fait changer d’idée à Macron. Ce dernier a reçu Talamoni et Simeoni, mardi soir, sans que rien ne filtre de l’entretien. Ce n’est qu’aujourd’hui, en fin de voyage, qu’un discours public devrait être prononcé à Bastia où le président devrait revenir sur la situation en Corse.

Certains voient dans les manœuvres élyséennes une façon de faire pression sur Larcher, pour convaincre la droite de lâcher du lest sur la réforme de la Constitution, en faisant du chantage à « la Corse » et aux particularités régionales. Parallèlement, Simeoni et Talamoni essaient de monnayer un possible soutien à cette réforme en échange d’évolutions statutaires pour l’île (ce dont bénéficieraient, au premier chef, les partis régionaliste et nationaliste de Corse et leurs politiciens ainsi que leurs appuis patronaux). Pas grand-chose à voir, donc, avec la défense de la « « #demucrazia », le slogan qui structurait la manifestation de samedi appelée par les nationalistes et le Syndicat des Travailleurs Corses.

Le processus en cours, en Catalogne toute proche, permet de tirer quelques leçons : le droit à l’autodétermination, ou tout simplement le droit à l’autonomie élargie et à parler sa langue, ne sont jamais concédée de bonne grâce par un Etat centralisateur. C’est la mobilisation populaire qui permet d’arracher de nouveaux droits et, le plus souvent, les dirigeants du nationalisme et du régionalisme bourgeois, qu’ils soient radicaux ou modérés, qu’ils aient choisi le terrain de l’affrontement ou celui des élections, n’ont jamais que pour objectif de négocier, dialoguer, et ce pour le plus grand avantage de quelques-uns. La situation de relégation, le chômage qui frappe durement la jeunesse, le sous-développement des zones rurales et la ségrégation urbaine qui caractérisent la Corse ne seront jamais réglés que par une mobilisation autonome, collective, de l’ensemble des travailleurs et de la jeunesse, en toute indépendance de ceux qui, aujourd’hui, sont prêts à négocier leur soutien à Paris. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si le préfet de la Haute-Corse a interdit toute manifestation à Bastia, ce mercredi, notamment à l’encontre de la CGT 2B, qui appelait à mobiliser contre la politique anti-sociale du gouvernement. Une leçon de choses de ce que « demucrazia » veut dire, pour l’Elysée.

[Crédits Yann Benard/FTVSTELLA]


Facebook Twitter
Anasse Kazib convoqué par la police : « une procédure politique contre des dizaines de soutiens de Gaza »

Anasse Kazib convoqué par la police : « une procédure politique contre des dizaines de soutiens de Gaza »

Un an de prison avec sursis pour avoir soutenu la Palestine : exigeons la relaxe pour Jean-Paul Delescaut !

Un an de prison avec sursis pour avoir soutenu la Palestine : exigeons la relaxe pour Jean-Paul Delescaut !

Conférence de LFI interdite par l'Etat : une censure politique en pleine campagne des européennes

Conférence de LFI interdite par l’Etat : une censure politique en pleine campagne des européennes

Jeux Olympiques : le budget explose pendant que le gouvernement prépare l'austérité

Jeux Olympiques : le budget explose pendant que le gouvernement prépare l’austérité

TIG pour les parents, comparution immédiate : le nouveau projet d'Attal pour mettre au pas la jeunesse

TIG pour les parents, comparution immédiate : le nouveau projet d’Attal pour mettre au pas la jeunesse

Salariés réservistes de l'armée : Lecornu appelle au « patriotisme du capitalisme français »

Salariés réservistes de l’armée : Lecornu appelle au « patriotisme du capitalisme français »

Répression coloniale. A Pointe-à-Pitre, Darmanin instaure un couvre-feu pour les mineurs

Répression coloniale. A Pointe-à-Pitre, Darmanin instaure un couvre-feu pour les mineurs

100 jours d'Attal : la dette et les européennes réactivent le spectre de la crise politique

100 jours d’Attal : la dette et les européennes réactivent le spectre de la crise politique