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Imprévisible ou préparé de longue date ?

Coup de fil de Trump à Taïwan. Le futur président américain pousse la Chine dans les cordes

Donald Trump, qui devrait entrer en fonction début 2017, a décroché son téléphone pour parler directement avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, vendredi 2 décembre. Un coup de fil, cependant, qui est loin d’être anodin. Il s’agit d’une rupture complète avec les pratiques diplomatiques de Washington et avec la politique américaine vis-à-vis de l’Asie. Il s’agit également d’un message direct envoyé à Pékin et ses conséquences sont encore à évaluer. Juan Chingo

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Ce coup de fil, très officiel, est le premier entre un leader étatsunien et un président taïwanais depuis 1979, date à laquelle Washington a opté pour la reconnaissance de Pékin en tant que représentant de la Chine. Jusqu’alors, c’est Taipeh qui était dépositaire de la souveraineté chinoise selon les Américains. Le changement s’était dessiné dès 1971, lorsque la République Populaire de Chine, dirigée par le régime du Parti Communiste Chinois, avait remplacé aux Nations Unies la République de Chine en tant que dépositaire de la souveraineté chinoise. La République de Chine, également appelée Taïwan ou Formose, du nom de l’île sur laquelle s’étaient réfugiés les partisans du généralissime Tchang Kaï-chek à la suite de leur défaite face aux maquis communistes dirigés par Mao au cours de la guerre civile de 1945-1949, était dirigée par la dictature du Guomindang.

« Une seule Chine ». Mais laquelle ?


Ce virage diplomatique avait été entamé sous l’administration républicaine du président Richard Nixon par son secrétaire d’Etat Henry Kissinger. La visite officielle de Nixon à Pékin, en 1972, correspond à une période très particulière de déclin historique et décisive de l’impérialisme étatsunien. En août 1971, déjà, la fin de la convertibilité dollar-or avait été décrétée, convertibilité qui était l’un des axes de l’ordre économique construit après la Seconde Guerre mondiale. D’un point de vue géopolitique et militaire, la Guerre du Vietnam se poursuivait à la même époque et affaiblissait suffisamment les capacités militaires de Washington au point où certains doutaient des capacités des Etats-Unis à résister à une hypothétique action militaire soviétique en Europe.

Du point de vue de la RPC, les faiblesses intrinsèques de son modèle de « socialisme dans un seul pays » étaient patentes et avaient été aggravées par le traumatisme et le cataclysme qu’avait représenté pour le régime la Révolution Culturelle. D’un point de vue militaire et géopolitique, 1969 est l’année au cours de laquelle Chinois et Soviétiques s’affrontent autour du contrôle de l’Oussouri, en Sibérie. Les relations sino-soviétiques s’étaient déjà fortement dégradées au cours des années 1960 et Pékin était des plus inquiets quant à une possible agression soviétique, y compris nucléaire.

Cette concordance d’intérêts est à la base de ce rapprochement entre Washington et Pékin. En reconnaissant la RPC et non plus la République Chinoise, Nixon obtient que le régime du PCC collabore aux efforts étatsuniens destinés à tarauder l’influence et l’assise soviétiques. Cette alliance de facto entre Washington et Pékin a par ailleurs été le prélude au processus de restauration capitaliste. Ce mouvement s’est accéléré à la suite de la disparition de l’URSS en 1991, entraînant un flux massif d’investissements impérialistes en Chine continentale qui se transformait, alors, dans le grand centre manufacturier de l’économie mondiale grâce, notamment, à un coup extrêmement bas de la main-d’œuvre.

Les visées de Pékin sur Taïwan, la RPC continuant à considérer Formose comme partie intégrante de son territoire national, ont toujours été l’objet de discussions entre les Etats-Unis et la Chine populaire. Deux présidents, Nixon et Carter, ainsi que leurs secrétaires d’Etat respectifs, Kissinger et Cyrus Vance, de même que le conseiller spécial à la sécurité national, Zbigniew Brzeziński, ont utilisé toute leur influence pour tenter de donner une réponse à cette épineuse question. Dans le document établi entre la Chine et les Etats-Unis en 1979, plusieurs conditions étaient listées pour que les rapports globaux de la Chine populaire avec le concert des nations puissent se normaliser. Depuis lors, tout ce que Washington fait avec Taïwan (vente d’armes, réunions entre dirigeants, contacts entre les militaires des deux pays, visites de fonctionnaires ou de dirigeants taïwanais) est géré avec la plus grande délicatesse par Washington qui sait ce qu’il est possible ou non de faire officiellement ou officieusement. Le coup de fil de Trump, lui, représente une rupture complète avec cette longue histoire d’us et coutumes diplomatiques extrêmement codifiés entre les Etats-Unis et la RPC.

La mise-en-garde envoyée par Trump à Pékin


Depuis le 2 décembre, plusieurs articles de la presse spécialisée reviennent sur les raisons qui ont conduit Trump à décrocher son téléphone, plusieurs imputant le coup de fil à une erreur de néophyte. Le Washington Post, dans son édition du dimanche 4, réfute, sur la base de sources auxquelles le journal a pu avoir accès, cette version ingénue sur le faux-pas qu’aurait fait Trump. En réalité, selon le journal américain, le coup de fil est bien le « produit de plusieurs mois de préparatifs secrets et de discussions entre les conseillers de Trump quant à une nouvelle stratégie d’engagement vis-à-vis de Taïwan ». D’après le Washington Post, tout ceci témoignerait du positionnement des conseillers partisans de la ligne dure à l’égard de la Chine qui entourent Trump.

Le futur président a lui-même précisé la situation sur son compte Twitter : ce qui est en jeu est davantage qu’un simple coup de fil. « La Chine nous a demandé, soulignait Trump, s’il était correcte qu’elle dévalue sa devise (ce qui rend nos entreprises moins concurrentes), taxer davantage les produits qui rentrent en Chine (alors que nous ne les taxons pas à la même hauteur) ou encore construire un énorme complexe militaro-industriel en Mer de Chine méridionale. La réponse, c’est non ! ». Le coup de fil de Trump n’a donc rien d’anodin. C’est donc un geste délibéré.

Comme nous l’avons déjà souligné précédemment, la présidence Trump sera beaucoup plus agressive à l’égard de la Chine : l’un des principaux objectifs du futur président américain est de reconsidérer le rapport Washington-Pékin. Avec ce coup de fil, Trump avertit la Chine qu’il est prêt à prendre des décisions unilatérales si les Chinois ne sont pas disposés à renégocier cette relation bilatérale ainsi que tous les dossiers qui y sont corrélés. Trump a volontairement choisi d’agir sur un dossier très médiatique, sans grandes répercussions, néanmoins, à savoir Taïwan, pour montrer qu’il n’entendait pas poursuivre sur la voie des accords antérieurs entre la RPC et les Etats-Unis.

Pour Washington, la question de Taïwan n’a jamais été véritablement au cœur de leurs préoccupations. L’acceptation de la politique « d’une seule et même Chine » revendiquée par Pékin n’a jamais changé la réalité des rapports entre Washington et Taipeh. Le dossier taïwanais n’a jamais été qu’une justification pour les Chinois dans le cadre d’un contexte géopolitique qui n’existe plus depuis un quart de siècle, à savoir la Guerre Froide. Ceci place la Chine dans une position complexe. Dans le cadre des limites de son modèle économique, Pékin a besoin de l’accès aux marchés nord-américains pour ne pas aggraver un ralentissement économique, les contours d’une possible transition étant, quant à eux, très flous. Pour la Chine, le rapport commercial aux Etats-Unis est absolument stratégique. Parallèlement, le président chinois Xi Jinping se doit de maintenir une position de principe sur un sujet aussi sensible que celui de Taïwan pour la RPC, non seulement pour des raisons internes (il existe des velléités indépendantistes dans d’autres régions de la Chine continentale), mais également au niveau régional, la Chine entendant consolider sa projection régionale.

Le jeu provocateur et imprévisible de Trump met en risque l’héritage légué par Nixon : c’est un message dur et auquel ne s’attendait pas Pékin, qui se voit obligé à négocier dans des conditions défavorables. En montrant, par ce coup de fil, qu’il est capable de tirer un trait sur la politique construite par ses prédécesseurs consistant à jouer sur des postures mais sans rien modifier de substantiel dans les rapports sino-américains, Trump met Pékin sur la défensive. Il inverse les termes du rapport et inquiète de cette façon la bureaucratie au pouvoir qui ne saurait que trop se demander jusqu’où Trump est capable d’aller.


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