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Anti-démocratie universitaire

Coup de force contre le 10 améliorable au Mirail : le véritable rôle des conseils universitaires

De nombreux étudiants ont été scandalisés par les procédés anti-démocratiques de la présidence qui ont empêché les élus étudiants de mettre au vote la proposition d’un 10 améliorable. Il faut essayer de comprendre pourquoi cette décision et comment il est possible de contrevenir aussi facilement aux intérêts des étudiants précaires.

Joachim Bertin

6 mai 2020

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Le 29 avril, les étudiants de l’université du Mirail ont essayé de suivre comme ils pouvaient les informations qui sortaient de la CFVU (Commission Formation et Vie Universitaire), conseil de la fac qui statuait sur les examens et sur les aménagements en raison de la situation inédite (sanitairement et économiquement) que nous traversons. La perspective du 10 améliorable portée par les organisations étudiantes permettait d’éviter a minima l’échec des étudiants les plus précaires dont la situation s’est empirée pendant le confinement mais aussi pour tous ceux qui ne peuvent pas étudier en étant enfermés pendant deux mois chez eux.

On savait les présidences opposées à la mesure pour des arguments fallacieux : la liberté de noter (quand on n’a plus la liberté de sortir de chez soi on se raccroche à ce qu’on peut) ou une prétendue « valeur du diplôme », essentiellement indexée sur l’échec et la concurrence des étudiants rendus impossible par un 10 améliorable. Face à la faiblesse des justifications, c’est la voie du passage en force qui a été choisie par le vice-président CFVU Vincent Simoulin puisqu’il a tout simplement empêché le vote sur cette mesure après 10 heures de débat ! On a rarement entendu un enfant capricieux dire « non » avec autant d’insistance et aussi peu d’argumentation. Une manœuvre anti-démocratique qui a sûrement inspiré l’équipe de direction de Paris 1 qui a tout simplement coupé la réunion Zoom quand cette décision allait être mise au vote (celle-ci a depuis dû réorganiser une réunion et le 10 améliorable a été accepté).

Voici comment la présidente, Emmanuelle Garnier, dans un communiqué envoyé à tous les étudiants (possibilité dont les élus étudiants ne disposent pas) parle d’un coup de force anti-démocratique et illégal : « La validation automatique du semestre 2 ayant été écartée pour des raisons pédagogiques et réglementaires, de nombreuses dispositions ont été prises afin d’adapter les modalités d’examens aux conditions délicates induites par le contexte actuel. »

L’argument de l’illégalité avancé n’a jamais pu être fondé, malgré nos multiples demandes, tout simplement parce qu’il n’existe aucun texte qui le mentionne, si ce n’est une interview dans 20Minutes de la ministre Vidal, qui ne fait, à notre connaissance, pas office de loi ! Il paraît que nul n’est censé ignorer la loi mais Mr Simoulin et Mme Garnier sont-ils en charge de l’appliquer préventivement avant même qu’elle existe ? Conception très macronienne de la démocratie...

Plus loin Mme Garnier écrit : « Nous nous félicitons qu’un document de cadrage ait pu être voté à la majorité. » Elle ne précise pas que l’ensemble des étudiants ont voté contre, appuyé par une majorité de personnels, et une infime minorité d’enseignants, le résultat du vote étant de 20 voix pour 18 contre, une majorité on ne peut plus serrée qui, dans la réalité de l’université hors des cadres feutrés des conseils, traduit une opposition massive de milliers d’étudiants, de personnels, et d’enseignants précaires contre les installés et les demi-parvenus que sont ces profs et bureaucrates syndicaux (de la CFDT, de l’UNSA et de la FSU) qui se sont déjà couchés à plat ventre face aux réformes de ces dernières années. Réformes qui viennent par ailleurs précariser leurs propres conditions de travail et les pousser toujours plus au fond du rang de la recherche, leur couper les vivres.

Venons-en aux mesures prises pour les partiels, qui ont désormais été publiées, pour apercevoir un peu de leur supériorité pédagogique sur le 10 améliorable. En termes de notation ce qu’il faut retenir c’est que, à la fin de toutes les sessions (rattrapage compris), si dans une Unité d’Enseignement (prenons l’UE 201) un étudiant n’a pas la moyenne, cette UE recevra la note de l’UE correspondante au premier semestre (l’UE 101). Peu importe aux enseignants si ces UE n’ont en général absolument rien à voir, ou si des étudiants se sont réorientés en cours d’année. En termes d’égalité cette mesure va favoriser les personnes qui avaient déjà des bonnes notes : un 17 au premier semestre peut devenir un 17 au deuxième semestre, à condition d’avoir moins que la moyenne après la session de rattrapage. Ceux qui ont échoué au premier semestre, pour une quelconque raison ou ceux qui décident de passer certaines UE plus tard par manque de temps, notamment en raison d’heures de travail importantes à côté des études, devront compter sur la « bienveillance » des profs comme stipulé dans le document... Espérons que certains enseignants ne trouvent pas cette injonction trop liberticide ! L’absurdité pédagogique rime donc avec l’inégalité la plus totale. Beaucoup d’étudiants se demandent dans ce cas-là pourquoi le 10 améliorable a été refusé.

L’anti-démocratie universitaire : pourquoi et comment ?

La première question à se poser est celle de la place, du rôle de l’université dans la société. Pourquoi les capitalistes sont-ils prêts à se laisser ponctionner une part de leurs profits pour assurer la maintenance d’un tel service public ? On peut cerner trois fonctions essentielles à l’université qui permettent de comprendre l’insistance à l’anti-démocratie dans cette affaire.

Tout d’abord l’université est un lieu de reproduction de la force de travail par la formation de nouveaux travailleurs qualifiés. Elle est également, suite et fin du parcours scolaire, un haut lieu de transmission de l’idéologie dominante. Si l’université de masse que nous connaissons de nos jours n’est plus ce lieu de formation des idéologues de la bourgeoisie (ce rôle revient davantage à quelques grandes écoles), elle joue un rôle important dans la formation de professions d’encadrement, dans l’enracinement de la méritocratie dans la conscience des futurs travailleurs intellectuels et, avec l’évolution du travail selon les canons de l’évaluation permanente et du « projet », on voit l’université évoluer en ce sens également. L’habituation à effectuer des stages non-rémunérés, ou très faiblement, s’inscrit évidemment dans cette dimension. Enfin, l’université joue assurément un rôle, vis-à-vis des classes moyennes mais aussi de franges restreintes de la classe ouvrière, de perspective d’ascenseur social.

Ainsi, l’université (et les savoirs qui y sont produits et transmis) est tout sauf un îlot isolé, apolitique, dispensant un savoir « neutre ». Loin d’être découpée de la société, on pourrait dire qu’elle en est la caisse de résonance, où se répercute sous des traits grossis ses contradictions internes. Pour répondre aux fonctions énumérées plus haut, l’université doit être adaptée aux transformations du marché du travail et du processus de production. Ce qu’elle ne peut être qu’à retardement, tant par un temps d’adaptation nécessaire pour que l’Etat légifère que par les résistances qui y ont lieu : en ce sens, dans un pays où les étudiants ont parfois joué un rôle d’étincelle dans des mouvements qui ont fait chavirer des gouvernements ou perdre leur place à un ministre, le processus de sélection et de dé-massification de l’université a été bien plus précautionneux que dans les pays anglo-saxons par exemple.

Les examens et l’acquisition des diplômes cristallisent l’aboutissement des fonctions de qualification (symbolique) de la force de travail, de l’intégration (au moins partielle) de l’idéologie et comme perspective d’une amélioration des conditions sociales par rapport au point de départ familial. D’où leur importance et les réactions allergiques de la classe dominante quand ils sont d’une quelconque façon remise en cause.

Pourtant, face au chômage de masse, la machine se grippe. Le patronat n’est plus prêt à payer pour la formation de chômeurs qualifiés, les perspectives d’ascension sociale s’évaporent, les contradictions de l’université s’exacerbent. De là la nécessite de sélectionner plus durement, et en premier lieu les plus précaires, forcés de travailler à côté de leurs études dont le coût est de plus en plus élevé alors même que les frais d’inscription commencent tout juste à être augmentés (brutalement pour les étudiants hors-UE). Ainsi, face à un chômage qui touche 19,6 % des jeunes, et près de 10 % de la population active toutes générations confondues, tous les poncifs de la méritocratie universitaire, « la valeur du diplôme », et la neutralité ou l’autonomie des universités face au patronat et au gouvernement s’écroulent.

Cette situation, c’est celle d’avant la crise économique, déjà en germe avant le confinement. Aujourd’hui, à l’aube d’une récession mondiale d’une ampleur historique, ces constats viennent s’empirer . Au mois de mars, le chômage a bondi de 7 % en France ! Le sauvetage des entreprises à coup de centaines de milliard par l’Etat va faire exploser la dette. Cette même dette qui justifiait de laisser à l’abandon l’hôpital public, d’attaquer les retraites, de sélectionner les étudiants, d’assaillir de toute part le Code du Travail, de favoriser les licenciements dans le privé, de privatiser à-tout-va, de licencier dans la fonction publique, de couper des fonds à la recherche (celles sur les coronavirus n’y auront pas réchappé après 2003), de précariser les profs à l’université, de ne pas augmenter les budgets quand le nombre d’étudiants augmentait et d’en laisser un toujours plus grand nombre dans la précarité.

Il est évident que l’université subira de nouvelles attaques. Ainsi, le 10 améliorable apparaissait comme un premier remous, plutôt paisible. Le gouvernement a mis un certain nombre de pressions aux conseils centraux des universités pour ne pas laisser les étudiants obtenir le 10 améliorable et empêcher la sélection pour un semestre. Car si nous avons explicité le pourquoi, il faut désormais éclairer comment l’anti-démocratie universitaire s’exprime, au quotidien, et de manière plus brutale après la crise.

Comment fonctionnent les universités, et à titre d’exemple les Conseils d’administration et, en leur sein, la fonction présidentielle ?
Avant toute chose, la fonction présidentielle. Celle-ci ne peut être occupée que par les chercheurs, les enseignants chercheurs, les professeurs ou les maîtres de conférence. Ces derniers (moins avancés statutairement que les professeurs d’université) ne représentaient par ailleurs que 6% de la fonction présidentielle en 2012 selon L’Étudiant. Autrement dit, qui veut ne peut pas, loin de là. Triés sur le volet, « 92% [d’entre eux] ont été au moins une fois vice-président, directeur de composante (48%) ou directeur de laboratoire (34%). ».
Parmi ses multiples prérogatives, le Président a notamment « autorité sur l’ensemble des personnels de l’université ». Aucune affectation de poste ne peut être faite sans son accord et c’est lui qui « affecte dans les différents services de l’université les personnels administratifs, techniques, ouvriers et de service » et nomme les différents jurys.
Au Mirail, le CA est composé de 36 membres parmi lesquels le Président, à noter que les conditions de représentations sont parmi les plus « représentatives permises par la loi »...
Sur les 28 élus, 16 enseignants, professeurs et chercheurs. Soit plus que la somme des personnels administratifs et des étudiants, qui n’ont quant à eux que 6 élus chacun.
À ces 28 élus se greffent un représentant de la région Midi-Pyrénées, un de « Toulouse Métropole » et un du CNRS, qui eux sont assignés d’office par leurs organismes. Ce qui nous porte donc à 31 membres dont seulement 28 ont été élus, avec des faibles taux de participations (15 % chez les étudiants en 2018) et surtout une représentativité écrasante des enseignants.
Ces-mêmes 31 membres vont désigner au moyen d’un appel à candidatures 5 nouvelles personnalités extérieures : « une personne assumant des fonctions de direction générale au sein d’une entreprise, un représentant des organisations représentatives des salariés, un représentant d’une entreprise employant moins de cinq cents salariés, un représentant d’un établissement d’enseignement secondaire [leurs directions étant nommées par le ministère...], un représentant désigné à titre personnel. ». Ce sont donc au final 36 personnes qui vont siéger, parmi lesquelles 8 personnalités extérieures non-élues.
L’ensemble des 36 membres siègent pendant 4 ans, à l’exception des étudiants (2 ans) et, démocratie représentative oblige, ne sont pas révocables, peu importe leurs décisions politiques.
Ces mécanismes, accompagnés de l’autonomisation financière des universités, et de l’ensemble des rouages qui font tourner l’institution universitaire et que nous ne pouvons pas détailler dans leur ensemble ici, sont construits pour pouvoir appliquer de profondes réformes de l’enseignement supérieur tout en tenant l’écrasante majorité des personnels et des étudiants à l’écart des décisions qui engagent leurs conditions d’études et de travail.
Les premières escarmouches autour du 10 améliorable permettent au moins de clarifier les lignes, de voir en qui l’on trouve ses alliés et en qui ses adversaires. Il est clair qu’aucune confiance ne peut être placée en ces conseils anti-démocratiques. Une lutte démocratique essentielle est d’en finir avec la fonction présidentielle à l’université et avec la présence de patrons dans les conseils. Les élus doivent être révocables à tout moment, seul moyen d’éviter les coups de force à la Vincent Simoulin et les arrangements contre les intérêts des étudiants comme l’ont fait les élus FSU.

La FSU (syndicat prétendument à la gauche de la CFDT mais qui vote avec elle et rêve de lui reprendre la présidence pour appliquer la même politique), refusant le 10 améliorable sous prétexte de célébrer l’indépendance du corps professoral, a ainsi préféré se jeter dans les bras de la ministre Vidal.

Les appels à la responsabilité de la ministre, les multiples pressions par voie de presse avaient ce but : discipliner les conseils et les élus à la légalité du ministère, qui ne s’embarrasse pas des textes de loi ; la parole du gouvernement est d’or. Ainsi le choix qui se pose à l’université est très simple. Dans la période, il n’y aura pas de position intermédiaire, il faudra se battre pour les étudiants et les profs précaires ou se ranger du côté de la macronie et accepter de faire payer la crise aux premiers.

Les examens et après ?

Face à la crise, toutes les contradictions de la société, et donc de l’université, vont être exacerbées et par-là même simplifiées à l’extrême : les voies de résolution n’admettront pas beaucoup de tergiversations. La crise sera résolue en faveur des capitalistes, du gouvernement ou bien en faveur de la jeunesse scolarisée et travailleuse, et des salariés. C’est ce dilemme qui va être soumis aux enseignants, à leurs organisations et aux universités en général. Résister face aux futures attaques ou bien se coucher ! La présidence de l’université du Mirail a choisi, les élus enseignants aussi (sauf l’élue de SUD-Education qui a réussi à rassembler en quelques jours plusieurs dizaines de signatures d’enseignants pour le 10 améliorable).

La situation va être marquée centralement par les licenciements - la situation de l’aéronautique présage un avenir sombre pour la région toulousaine- un chômage de masse accru, une dégradation des conditions de travail, en premier lieu des étudiants précaires qui travaillent dans la grande distribution, dans la restauration, dans le nettoyage, le bâtiment etc.

Face à cela, il va falloir être de toutes les batailles contre les licenciements, pour leur interdiction, pour le partage du temps de travail avec maintien de salaire pour en finir avec une situation où certains se tuent au travail (60 heures par semaine dans certains secteurs avec les ordonnances-Covid) quand d’autres se tuent à en trouver.

La sélection sociale et la dévaluation des diplômes n’est que le pendant universitaire de ce chômage de masse ! De ce point de vue, il va falloir s’attendre à affronter les attaques qui ne manqueront pas d’arriver.

Ces batailles, il va falloir s’y préparer, il faut commencer dès maintenant à s’organiser. Pas uniquement fac par fac mais aussi à échelle nationale pour pouvoir répondre de manière unie et massive. Une chose est certaine, peu importe l’évolution de la pandémie, la rentrée de septembre, ne sera pas une rentrée normale et comparable avec aucune autre. Pour l’instant, les éléments de mobilisation physique sont évidemment réduits empêchés par le confinement mais il ne faut pas attendre qu’ils se présentent pour se préparer, pour analyser la situation et se tenir prêt à l’affronter.

C’est pourquoi nous organisons une réunion en ligne, mardi 12 mai à 15h, avec toutes les personnes intéressées, pour discuter de ce qui se cache derrière le scandale anti-démocratique au Mirail. Des élus CFVU et du Conseil d’administration qui ont mené la battaille dans les conseil animeront la réunion.

Les millitants du Npa / révolution permanente organisent cette réunion parce que nous pensons qu’il ne faut pas laisser impuni ce mépris des conseils de la fac. A partir de la situation à laquelle nous faisons face dans les universités et de la précarité de nombreux étudiants qui se dévoile encore plus avec la crise sanitaire et économique, on t’invite à discuter des perspectives et des moyens de lutter pour que ce ne soit pas la jeunesse étudiante et travailleuse qui se retrouve à payer pour une crise dont elle n’est pas responsable. Pour toutes les personnes qui trouvent le maintien des partiels absurde et inégalitaire, qui pensent ou veulent être convaincues qu’il est possible de changer la donne et de s’organiser pour faire face aux prochaines attaques, contactez-nous sur Instagram (@Révolutionpermanente_toulouse), Facebook ou Twitter pour participer à cette réunion !


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