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Coup de gueule

Coup de gueule d’Anasse. « #NeRestePasàTaPlace : ok, mais pour aller où et avec qui ? »

C’est une tendance sur Twitter : le hashtag lancé par la journaliste et, on peut le dire aussi, militante Rokhaya Diallo, pour la sortie de son livre, intitulé « Ne reste pas à ta place ». N’ayant pas lu le livre, ce n’est pas là-dessus que porte cet article, mais plutôt sur la logique libérale de réussite individuelle qui ressort des témoignages ayant suivi ce hashtag.

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Je ne suis pas resté à ma place, mais…

J’aurais pu moi-même, si on m’avait trouvé quelques années en arrière, tomber dans le jeu de ce hashtag et me saisir de mon clavier pour raconter mon parcours. Moi, le dernier d’une famille de 5 enfants, né à Sarcelles, dans une des cités les plus chaudes de France – qui a même eu le droit à un film : la « Cité Rose ». On ne peut pas me tenir le discours de celui qui ne connaît pas la banlieue, les inégalités ou la précarité. Ma mère était nourrice, puis femme au foyer ; mon père, arrivé en 1973, est un prolétaire venu travailler chez Simca, avant d’entrer en 1974 comme travailleur marocain à la SNCF. Ce n’est que 10 ans après sa retraite que sa discrimination a été reconnue – la sienne et celle de ses frères travailleurs, dans la victoire du procès des « Chibanis » de la SNCF. Moi, le jeune de banlieue d’origine marocaine, qui aujourd’hui a émergé comme figure militante, et, depuis la rentrée, au sein de l’émission des Grandes Gueules.

Tout d’abord si j’en suis là où j’en suis aujourd’hui, c’est aussi grâce à un concours de circonstances, de rencontres, et non pas grâce à je ne sais quelle sorte de méritocratie ou de dépassement de soi. Mes parents se sont mariés au Maroc et auraient très bien pu décider de rester vivre là-bas ; malgré toute la volonté du monde de « ne pas rester à ma place », j’aurais eu un milliard de fois plus de chance de devenir vendeur de jus d’orange place Jam El Fna, que cheminot et intervenant aux Grandes Gueules. Mes parents auraient préféré rester au Maroc, c’est d’ailleurs ce que souhaitaient tous les parents : rester dans leur pays d’origine, avec leurs familles, plutôt que de venir se casser le dos dans le bâtiment ou le ménage, pour donner un avenir à leurs enfants – dans un pays qui, pourtant, est à l’origine de l’exploitation et de la colonisation dans leur pays d’origine. C’est un peu comme fuir la guerre dans son pays, pour aller vivre chez le revendeur d’armes et de munitions.

Plus jeune, mon rêve était de devenir riche. J’ai grandi avec l’émission Capital sur M6, je voulais devenir comme ces bourgeois qui en hiver s’en vont à Courchevel, et l’été à St-Tropez – toujours le sourire et la fête pendant que nous, nous galérions avec des panneaux de basket et des cages de foot sans filet pour s’occuper. J’ai pourtant choisi une autre façon de ne pas rester à ma place. Celle du militantisme, des combats collectifs pour l’émancipation de toutes et tous, et pas seulement de quelques-uns. Je me suis politisé, j’ai découvert le marxisme révolutionnaire ; et ça me permet de mieux comprendre le racisme systémique, l’oppression patriarcale, leurs rapports avec la domination de classe, mais, surtout, de voir qu’il y a d’autres voies d’émancipation que celles de l’individualisme et du capitalisme.

De quelle réussite parlons-nous ?

C’est donc en premier lieu cette logique de méritocratie ou de réussite qui m’exaspère. C’est une logique individualiste et libérale, dans le sens où cela vise à renforcer l’idéologie capitaliste, à effacer les contradictions de classe pour coopter ces enfants de prolétaires en utilisant parfois les réussites individuelles de minorités de genre ou de personnes racisés – afin de leur faire croire qu’avec un peu d’effort tout est possible. C’est d’ailleurs la pub de Nike : « everything is possible ». Allez dire ça à la famille d’Adama Traoré ou de Lamine Dieng…

C’est la bourgeoisie qui, à force de temps et de monopolisation de la parole, a su forger des marqueurs comme « la méritocratie », « la valeur travail », « la réussite individuelle » – sortant souvent de la bouche de ceux qui n’ont d’ailleurs jamais travaillé de leur vie et qui n’ont rencontré aucune difficulté pour devenir député ou hériter de l’entreprise de leurs parents.

Si la lutte contre le racisme revient à dire que nous aussi, nous voulons devenir patron de Total ou Sénateur, ce n’est pas de l’antiracisme, mais plutôt du charlatanisme. Je suis arabe et pourtant il y a des milliardaires arabes. On privatise parfois même des boutiques pour eux chez Hermès ou Louis Vuitton, et après ? Ça change quoi pour les peuples opprimés de ces pays, pour les yéménites qui vivent sous les bombardements ?

Barack Obama aussi a réussi, lui, le petit enfant du Kenya, adopté, qui a fait des grandes études et a réussi à devenir Président de la première puissance mondiale, pays central dans l’histoire de l’esclavage et de la ségrégation raciale ; un pays où, il y a quelques années, on ne pouvait même pas se marier avec une personne blanche. On pourrait se dire qu’en termes de « réussite », on atteint un sommet - et après ? Qu’est ce que cela a changé réellement pour les américains pauvres et racisés ou encore pour les habitants des pays vivant sous la domination de l’impérialisme et des Etats-Unis ? Alors même qu’Obama était Président durant deux mandats. Je vous invite à regarder, si vous ne l’avez pas vu, un magnifique documentaire sur Netflix qui s’appelle « XIII » – comme le 13eme amendement –, qui vous montrera à quel point la situation des noirs n’a pas changé sous Obama, alors que nombres de groupes anti-racistes ont participé à son élection.

Il y a les Barack Obama, les Beyoncé, les Oprah Winfrey et les millions d’autres : à Brooklyn, dans le Bronx, à Detroit, à Chicago et ailleurs, qui vivent dans la plus grande misère sociale. Très loin du « Rêve Américain ».

Race, classe et nation

Cette illusion méritocratique est souvent lié, pour les enfants d’immigrés, à celle de « l’intégration », de revendiquer son appartenance de citoyen français pour justifier le fait pouvoir ainsi accéder à la même réussite que les autres.
Je refuse en bloc cette logique,qui revient à me revendiquer « francais », je suis internationaliste, ma patrie est la classe ouvrière, celle qui vit l’oppression du capitalisme par-delà les frontières et même en France.

Ma patrie c’est celle des exploités, des opprimés, qu’il ou elle soit en France, en Irlande, au Sénégal ou bien en Argentine. Je ne revendique pas l’envie de réussir socialement dans cette République où sont éborgnés des Gilets Jaunes, où sont tués des jeunes de banlieue et réprimées les familles qui exigent justice et vérité. Je me sens plus proche de mon camarade alsacien Vincent qui travaille chez PSA que de Myriam El Khomri, sous prétexte qu’elle soit d’origine marocaine comme moi. Elle n’est pas restée à sa place, mais pour finir par faire porter son nom à l’une des attaques les plus importantes contre le code du travail depuis 100 ans. Devons-nous la féliciter de ne pas être restée à sa place ?

La révolution socialiste pour en finir avec le racisme et le patriarcat

Je suis très loin de la logique ouvriériste qu’on attribue souvent aux marxistes, comme des militants ne se préoccupant que des questions économiques, mais je récuse tout autant la logique qui vise à mettre la question de classe au troisième plan – voire à dire qu’il n’y a plus de classe. Le racisme et le patriarcat existent bien avant l’arrivée du capitalisme, mais le capitalisme aujourd’hui se sert de ces oppressions, pour continuer à exploiter et précariser. Le capitalisme a su s’adapter à la composition de la société, mais a également été contraint d’effectuer des concessions suite aux luttes anti-racistes ou féministes.

C’est dans ce sens qu’on peut voir des femmes voilées, dans certaines enseignes, travailler avec le voile. Pour autant H&M ou IKEA ne sont pas moins des exploiteurs qui précarisent ou licencient. Total peut avoir des ingénieurs noirs au siège à Paris, ce n’est pas pour autant que l’entreprise ne profite pas du colonialisme ou de l’impérialisme, pour exploiter et piller les richesses de certains pays à des fins économiques. De même, on peut déjà s’attendre à ce que le gouvernement utilise sa nouvelle porte-parole, Sibeth Ndiaye, pour justifier qu’il n’y a pas de racisme systémique ni de racisme d’état ou encore de système patriarcal, car la porte-parole du gouvernement est une femme noire.

La question n’est donc pas de mettre le racisme ou les violences contre les minorités de genre au second plan, mais plutôt de voir qu’ils sont traversés en permanence par des rapports de classe. Nul besoin d’avoir un doctorat pour comprendre que la nouvelle porte-parole Sibeth Ndiaye n’a pas les mêmes intérêts de classe que la travailleuse du nettoyage chez Onet ou la femme de chambre du Park Hyatt Vendôme. Bien que toutes racisées, elles ne défendent pas le même intérêt de classe.

Ce n’est donc pas le sujet de dénoncer le racisme, car on ne peut nier que Sibeth Ndiaye a sûrement éprouvé le racisme et le sexisme dans son parcours et subit encore ces attaques aujourd’hui. Le sujet central est le suivant : avec quelle stratégie de lutte le racisme et le patriarcat pourront tomber ? Car ils ne tomberont pas avec la logique du #NeRestePasAtaPlace – si les racisés qui ne sont pas restés à leurs places finissent par passer dans le camp de la classe dominante.

Il y a néanmoins une autre façon de « ne pas rester à sa place ». Ou en tout cas pas la place dans laquelle les puissants voudraient nous voir : atomisés, résignés, persuadés que la seule façon de s’en sortir consiste à marcher sur les têtes de nos frères et sœurs. Cette autre façon est celle du combat pour la révolution de la seule classe qui peut articuler le combat contre toutes les oppressions – celle des travailleurs –, pour renverser le système capitaliste et se donner enfin les moyens d’en finir avec le racisme et le patriarcat. Pour tous, et pas seulement pour la minorité qui aurait réussi.


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