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Covid-19. Des manifestations contre les restrictions éclatent en Espagne

La semaine dernière, le gouvernement espagnol annonçait le durcissement des mesures de restrictions de la circulation et la mise en place d'un couvre-feu. Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, de nombreuses mobilisations contre ces mesures ont eu lieu dans de grandes villes de l'État Espagnol et se sont terminées par une très forte répression.

Julien Anchaing

3 novembre 2020

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Crédits photos : EFE

Une situation sanitaire catastrophique à laquelle le gouvernement répond par la répression

L’augmentation rapide et sans contrôle du nombre de personnes contaminées par le coronavirus a remis l’Europe au centre de la pandémie. Avec une augmentation de 41% du nombre de cas supplémentaires seulement sur la semaine dernière, la région redevient la zone la plus touchée au monde. A cette situation, s’accompagne la déroute des politiques de l’immunité collective comme celle tentée en Angleterre et le retour des mesures drastiques de restrictions des libertés de circulations.

En Espagne, ces mesures ont été mises en place par le gouvernement de coalition du Parti Socialiste (PSOE) et de Podemos pour répondre de nouveau à la crise par le renforcement des mesures d’exceptions et le tournant sécuritaire, et ce alors même que le pays enregistre plus d’un millions de contaminés et 35 000 morts.

Un durcissement de mesures déjà existantes, et ce notamment depuis la mi-octobre avec la fermeture des restaurants et des bars à laquelle est venue s’ajouter plusieurs mesures comme l’interdiction, suite aux vacances de la Toussaint, de circuler entre Communautés Autonomes du pays dans le cadre de l’État d’alerte sanitaire. Une mesure qui n’avait pas été mise en place depuis la tentative de coup d’Etat de Milans de Bosch le 23 février 1981, et qui donne un aperçu sur la militarisation de l’espace public qu’elle représente.

Des mesures plus que douteuses, et qui font surtout office de justificatif du discours de culpabilisation individuelle jusqu’ici inhérent à l’attitude du gouvernement, préférant rappeler que la circulation du virus est avant tout liée à une inconscience de la population et non pas de profondes faiblesses d’un système de santé qui a subi depuis plusieurs décennies des mesures de privatisations et d’austérité, dont sont avant tout responsables les gouvernements successifs du Partido Popular de Rajoy et du propre PSOE.

C’est donc le contexte d’une catastrophe sanitaire couplée à un débordement du système public de santé et à un approfondissement de la crise économique qui explique les tournants brusques actuellement opérés dans l’État Espagnol. En effet, depuis le début de la crise sanitaire, des dizaines de milliers de travailleurs espagnols doivent recourir à de nombreux réseaux d’assistance alimentaire, alors même que plus d’un millions d’emplois ont été supprimés sur le deuxième trimestre de l’année. A cela, s’ajoutent les conséquences de la crise sanitaire non seulement sur les auto entrepreneurs, petits patrons et sur tout un secteur de la classe moyenne qui souffre ouvertement de la crise économique et des mesures de restrictions, tout comme en souffrent les milliers de pauvres qui doivent faire face à des expulsions de leurs logements détenus par des banques privées ou de grands propriétaires.

Une colère qui monte.

En opposition à ces mesures, de nombreuses manifestations éclaté dans les plus grandes villes du pays : à Madrid, Burgos, Bilbao, Santander et surtout Barcelone. Des mobilisations qui ont ouvert de nombreux questionnements dans l’ensemble du corps politique espagnol et qui viennent rompre avec le “consensus pandémique” que l’on avait pour le moment observé dans le pays. Dans les images et vidéos que l’on peut trouver dans la presse, on voit un mélange de jeunes précaires, parfois de jeunes travailleurs étrangers d’un côté, et de l’autre, de drapeaux espagnols ainsi que de pancartes aux messages complotistes, contre la 5G ou niant directement l’existence du virus.

Ces manifestations ont été notamment revendiquées par des membres du parti d’extrême droite VOX ainsi que certains groupes néonazis, qui en ont parfois été à l’initiative. Dans la même veine de récupération et d’instrumentalisation, Santiago Abascal, le président de Vox a publié sur son compte twitter un appel aux policiers à “respecter le droit à manifester” lors d’une manifestation ce samedi soir à Madrid qui a donné lieu à des affrontements.

Une situation que cherche à utiliser le gouvernement en agitant la présence de l’extrême droite dans ces manifestations pour en justifier la dure répression. Le gouvernement utilise l’argument selon lequel toute opposition à sa gestion de la crise sanitaire reviendrait à “faire le jeu de l’extrême droite”. Or, si la présence de l’extrême droite dans ces mobilisations est évidemment indéniable, elle ne saurait faire oublier des mobilisations qui ont eu lieu dans de nombreux quartiers populaires de Barcelone qui exigeaient comme mot d’ordre “La police hors de nos quartiers !” ou qui demandaient l’arrêt des expulsions des logements ainsi que la défense des services publics. Ce fut notamment le cas ce week-end, où près de 2000 jeunes se sont rassemblés sur la place de la Cathédrale contre l’expulsion du centre social “La Buenos Aires” et contre la vague d’expulsions qui a laissé des centaines de personnes dans la rue du fait des conséquences de la crise économique avec la complicité du gouvernement central. Certaines revendications sont donc largement légitimes comme le rejet de la gestion répressive de la crise sanitaire alors mêmes que les grands patrons et les propriétaires profitent de celle-ci pour appliquer des mesures de licenciements massifs et d’expulsions des classes populaires de leurs logements.

Le gouvernement réprime, l’extrême-droite instrumentalise

Parmi les profils des mobilisés, on retrouve notamment de nombreux petits patrons de bars et de restaurants ainsi que des commerçants ayant souffert des conséquences dramatiques de la crise sanitaire. Des secteurs dont la colère est parfaitement légitime alors qu’on voit l’appauvrissement de ces perdants de la mondialisation augmenter dans l’intérêt des banques privées. C’est bien cette colère que Vox cherche à instrumentaliser à son intérêt, alors que le parti s’est très vite empressé de se distancier des demandes les plus progressistes en rappelant l’importance de “chasser et arrêter tous les éléments d’extrême gauche” qui chercheraient à ne pas laisser à l’extrême droite le monopole de la rue et du rejet de la gestion répressive de la crise sanitaire.

Cette extrême droite cherche à exploiter le mécontentement de tous les secteurs jusqu’à présent dans la rue, depuis la désespération des commerçants qui n’ont fait que s’endetter avec la crise aux centaines de milliers de jeunes travailleurs qui ne voient leur avenir qu’à travers une profonde misère sociale, précarité et pauvreté, en passant par tout un secteur des classes moyennes ruinées par la situation actuelle. De son côté, le gouvernement n’a proposé qu’une solution à cette crise : agiter la présence de l’extrême droite pour retirer la légitimité à toute demande politique progressive qui irait contre sa gestion de la situation, alors même que 32 personnes étaient arrêtées ce samedi à Madrid. C’est notamment le cas de Podemos qui rappelle l’importance de “réprimer les fachos”.

La classe ouvrière espagnole ne doit pas laisser la rue à l’extrême-droite

Dans ce type de périodes particulièrement instables, exacerbées par la crise sanitaire, l’extrême droite se nourrit bien entendu du désespoir et de l’impossibilité de se projeter dans le futur. Comme le disait Léon Trotsky, “le fascisme est le parti du désespoir contrerévolutionnaire”. Il ne suffit donc pas de dénoncer les fascistes et l’extrême droite, il s’agit de ne pas leur laisser le monopole de la rage social et y répondre par un plan de lutte et une véritable alternative. Il est absolument nécessaire que les syndicats du mouvement ouvrier espagnol, les organisations de jeunesses qui se revendiquent anticapitalistes et les mouvements sociaux appellent à la mobilisation pour ne pas céder la rue à l’extrême droite.

Ce plan de lutte doit s’accompagner d’un programme de résolution de la crise. Tout d’abord par un investissement massif dans les services publics, afin de recruter massivement des travailleurs pour faire face à la situation sanitaire. Ainsi qu’un investissement massif dans l’éducation pour éviter le renforcement de clusters dans les écoles et les lieux d’enseignement. Cela passe aussi par un plan de suppression de toutes les réformes du travail néolibéral et l’interdiction des licenciements ainsi que la réduction de la journée de travail sans la moindre baisse de salaire pour faire face à l’augmentation du chômage. Il s’agit donc aussi de résoudre la crise du logement en interdisant les expulsions et en organisant une suspension des loyers.

Quant aux secteurs de petits patrons et d’auto-entrepreneurs fortement touchés par la crise, il s’agit aussi de lutter pour que les intérêts des capitalistes et des banques privées ne passent plus avant ceux de la population, notamment en demandant la nationalisation d’un système bancaire unique et l’accès massif aux crédits, tout en imposant de manière fortement progressive l’ensemble des grands capitalistes et des grandes fortunes.

Un ensemble de demandes qui doivent permettre d’organiser un plan de lutte à la hauteur et éviter de réserver la rue à l’extrême droite et à la police du gouvernement mené par le PSOE et Podemos, tout en sortant les organisations du mouvement ouvrier de la paralysie et du soutien au gouvernement central.


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