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Covid-19 : le Portugal s’enfonce dans une situation chaotique, des files d’attente d’ambulances

Au Portugal, la pandémie atteint un niveau catastrophique, le pays devenant le plus durement touché au monde proportionnellement à sa population. Avec des chiffres de contaminations qui ne cessent de croître et des hôpitaux dépassés par les admissions, les soignants doivent faire face à une surcharge de travail. Le gouvernement a pris des mesures tardives et autoritaires, et rejette la faute sur des fêtes de Noël en famille qui n’auraient pas été assez restreintes. Elles ont bon dos dans un pays au système de santé asphyxié par des années d’austérité et où les soignants se sont mobilisés ces dernières années contre les bas salaires.

Adèle Chotsky

3 février 2021

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La situation sanitaire est hors de contrôle au Portugal où l’on assiste depuis quelques semaines à une flambée des chiffres de l’épidémie de Covid-19. La région de Lisbonne est la plus touchée.

Avec ses 10 millions d’habitants, ce pays est le plus touché au monde si l’on rapporte le nombre de contaminations au nombre d’habitants : 885 pour 100 000 habitants comptabilisés la semaine dernière. Il s’agit de l’un de ceux où l’épidémie s’accélère le plus. Enfin, c’est aussi le pays qui détient le triste record du nombre le plus élevé de décès à l’heure actuelle, toujours par rapport à la population, avec plus de 12 000 morts du Covid-19, dont plus de la moitié depuis le début de l’année. Avec 303 morts supplémentaires en 24h le 28 janvier, c’est à l’échelle du pays comme si la France comptait 2 000 morts par jour.

Cette hausse des contaminations et des décès dus au coronavirus est la pire que le Portugal ait connue depuis le début de la crise : fin mars, le pays atteignait un pic épidémique, à 800 nouveaux cas par jour, aujourd’hui ce sont chaque jour près de 15 000 nouveaux malades qui sont recensés.

La réalité au Portugal à l’heure actuelle est que les services de soins intensifs sont saturés, les hôpitaux sont surchargés tandis que la situation est chaotique pour les soignants. Ce sinistre tableau est complété par des pompes funèbres également au bord de la rupture, où « on a pas la place pour mettre autant de morts ».

Tri des patients et soignants à bout

Les images des files d’ambulances devant l’hôpital Santa-Maria, le principal de Lisbonne, qui attendent de décharger leurs patients, ont fait le tour des médias, illustrant la situation catastrophique d’un système de santé submergé par la pandémie. Le 28 janvier, elles étaient une quarantaine, le lendemain une trentaine à attendre une place attribuée pour les malades qu’elles transportaient.

Ce convoi d’ambulances reflète la solution qu’a choisie la direction de l’hôpital pour faire face à cette situation de pression : le tri des patients pour tenter de désengorger les urgences.

En fait, ce sont en général tous les hôpitaux du pays et surtout de Lisbonne qui sont surchargés par les patients Covid, dont le nombre dépasse leurs capacités d’accueil. Ainsi, l’hôpital d’Amadora-Sintra, au nord de la capitale, accueille selon le président régional du syndicat des infirmiers portugais presque trois fois plus de patients Covid que sa capacité, et les soignants doivent se débrouiller « au jour le jour » pour répartir les patients. Le 25 janvier dernier, cet hôpital était même en panne d’oxygène et a dû transférer des dizaines de malades vers d’autres hôpitaux !

Il n’y a pas de situation plus cruelle pour ces travailleurs de la santé qui se voient obligés de participer à ce tri de patients, avec des critères d’admission en soins intensifs qui se restreignent de plus en plus. Un quotidien portugais faisait réagir dans ses colonnes le 19 janvier des médecins et infirmiers témoignant de leur désespoir et de leur désarroi, certains soulignant que « les hôpitaux ont désespérément besoin de personnels » et décrivant « l’atmosphère qui règne dans les hôpitaux, c’est la folie totale. C’est impossible que ça tienne ».

La pression sur le système de santé est immense, et les soignants sont à bout : « Nous sommes au bout du rouleau, mes collègues et moi » « Je n’ai pas eu le moindre repos depuis 20 jours » explique ainsi un infirmier d’un grand hôpital de la région. C’est aussi le sentiment de se battre seuls contre le virus et le manque de tests qui ressortent de ses propos « Ma colère est immense parce que je me sens trompé, trahi, méprisé... J’ai été testé deux fois en huit mois ! C’est cela la vérité. Pas celle de la télé ou des politiciens »

Une pression telle que la ministre de la Santé envisage de faire appel à d’autres pays européens pour transférer des malades à l’étranger.

Des mesures tardives… et autoritaires

Pour tenter d’endiguer l’épidémie, le gouvernement a mis du temps à réagir. Pour au final imposer des mesures autoritaires et brutales : la population a été reconfinée depuis le 15 janvier pour la première fois depuis le printemps, avec fermeture des commerces non essentiels et télétravail obligatoire, puis une semaine plus tard l’annonce de la fermeture des écoles. Le 28 janvier, ce confinement a été renouvelé jusqu’au 15 février et assorti de nouvelles restrictions, notamment l’interdiction de voyager à l’étranger, et des contrôles rétablis aux frontières. Un état d’urgence sanitaire est également en vigueur depuis novembre… au printemps, celui qui avait été mis en place limitait un certain nombre de libertés démocratiques notamment les droits de grève, de réunion et de manifestation., avec la bénédiction des partis de gauche qui s’étaient rangés derrière « l’union sacrée ».

Ce que montrent ces mesures coercitives c’est surtout la réaction tardive du gouvernement qui, comme d’autres pays d’Europe et notamment la France avait fait le choix de mesures parfaitement inutiles sur le plan sanitaire : ainsi, en novembre, le Portugal faisait partie des pays qui choisissait le couvre-feu (à partir de 23h en semaine) allié à un semi-confinement le week-end, accompagné de restrictions de circulations entre les municipalités. Des mesures minimales et propatronales, pour préserver à tout prix les profits des entreprises et relancer le tourisme (qui représente au Portugal 17% du PIB).

Le Premier ministre Antonio Costa reconnaît maintenant que des « erreurs » ont été commises… mais seulement pour mettre sur le dos des fêtes de Noël en famille l’explosion épidémique actuelle. Une manière d’attribuer, comme dans bien d’autres pays d’Europe, les contaminations à la responsabilité individuelle d’une population que l’on n’aurait pas assez contrainte. Argument utilisé alors même que l’accélération du virus avait lieu bien avant les fêtes : une situation due à celles-ci n’aurait pu être visible qu’à la mi-janvier, or elle se dégradait déjà avant cette date

Le variant anglais est également pointé du doigt, puisque les autorités médicales portugaises estiment que le variant britannique représente 30 % des contaminations et pourrait atteindre 60 % d’ici quelques semaines.

Un système de santé sacrifié

La réalité c’est que le gouvernement a trop tardé et saute maintenant en catastrophe dans un renforcement d’une gestion autoritaire de l’épidémie. Une gestion tout aussi catastrophique qu’en France, avec un manque de tests, un manque de moyens dans les hôpitaux publics et des transports qui ne désemplissaient pas, pour amener les travailleurs – notamment les plus précaires – des entreprises qui continuaient de tourner comme si de rien n’était.

Tout cela a abouti à l’explosion de cas que l’on voit aujourd’hui, et à la situation dramatique dans laquelle se retrouvent les hôpitaux et le personnel soignant.

Au Portugal, la santé manque de personnel et de moyens. Elle a été l’objet d’économie drastique au nom de l’ « austérité » pendant des années. Entre 2010 et 2014, le secteur de la santé avait été désigné comme objectif prioritaire des coupes budgétaires et le gouvernement lui avait accordé 14 % de budget en moins.

En 2018, les grèves avaient éclaté, notamment chez les cheminots et les infirmiers, avec des taux de mobilisation impressionnants. Ces derniers réclamaient des embauches, le paiement des heures supplémentaires et surtout que le gouvernement « socialiste » – pas avare de belles paroles et de promesses après des années d’austérités et de recul des droits des travailleurs – tienne ses engagements notamment le retour au 35h et des augmentations après neuf ans de blocage des salaires.
La même année, les gouvernants se félicitaient d’une reprise économique, qui n’était que légère avant le déclenchement de la pandémie, et qui reposait comme nous l’écrivions à l’époque sur une austérité qui ne disait pas son nom et sur des contradictions qui la rendaient très instable. Elle s’était aussi faite au prix de la non-réversion des coupes budgétaires effectuées, de salaires de misère, d’une précarisation des jeunes, d’une gentrification et d’une augmentation du prix des loyers dans les grandes villes, au profit du tourisme de masse. Le soi-disant « miracle » économique portugais reposait en grande partie sur ce secteur touristique (8,2 % de la population active dont une grande proportion d’emplois précaires) qui est par sa nature même sensible aux chocs externes comme les épidémies mondiales.

Avec la pandémie, le mirage de la reprise portugaise s’est évaporé, et le pays est en proie à une grave crise. L’année 2020 a vu une récession d’au moins 10 %, les conséquences économiques de l’épidémie ne sont pas terminées et il ne fait aucun doute que ce ne sera pas le patronat des entreprises industrielles, touristiques ou agroalimentaires du pays qui en paieront le prix, mais bien les travailleurs, les travailleuses et les jeunes précarisés. Le Portugal compterait aujourd’hui plus de 400 000 chômeurs sur 5,2 millions d’actifs, soit 100 000 de plus en un an.

Alors que gouvernements et patronat font payer la crise aux classes populaires, au Portugal comme ailleurs il faudra se battre pour imposer une autre issue à la catastrophe sanitaire. Investissements massifs dans la santé en prenant l’argent là où il se trouve c’est-à-dire dans les poches des capitalistes, nationalisation sous contrôle des travailleurs des entreprises pharmaceutiques, abolition des brevets et accès aux vaccins pour toutes et tous : tel est le programme alternatif que seules les luttes de l’ensemble du monde du travail, des professionnels de la santé, des jeunes, pourront mettre en place.


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