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« Les raisins de la colère »

Crise des éleveurs : quand la FNSEA fait son beurre sur le dos des producteurs laitiers

Léo Serge Dimanche soir dernier, 60 à 80 éleveurs bretons se sont rendus aux abords de la résidence de Jean-Yves Le Drian dans le Morbihan pour lancer un cri d’alarme. Au même moment, dans la région du Mans, d’autres éleveurs prenaient le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll à parti. En cause, une mobilisation de plusieurs mois des éleveurs des filières porcines et laitières, acculés par les dettes et contraints de vendre à perte, et des concessions gouvernementales qui ne font que profiter aux plus gros de la filière, représentés par la FNSEA. Alors que la trahison syndicale est aujourd’hui au vu et au su de tous, la colère des éleveurs ne désemplit pas. Retour sur les racines du malaise agricole.

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Dans l’indifférence quasi-générale jusqu’à l’été dernier, les éleveurs et producteurs de lait de France et d’Europe sont entrés massivement en faillite. Endettés pour pouvoir produire plus et atteindre une taille qui devait les protéger de la concurrence, cette stratégie d’augmentation de l’offre de lait stimulée par un système ultra-concurrentiel a été frappée de plein fouet par la chute des cours du lait, alors que la consommation est en baisse. Au Danemark comme en Bretagne, en Belgique comme ailleurs, c’est la vente à perte pour ceux qui ne parviennent pas à aligner leurs coûts de production des plus gros producteurs du marché. Les jeunes agriculteurs, à 30-35 ans, sont endettés pour des centaines de milliers d’euros et perdent un peu plus d’argent chaque jour.

Le système des prix garantis, mis en place par la Politique Agricole Commune en 1962, a été progressivement abandonné à partir des réformes de la PAC en 1992 avec, dans un premier temps, la mise en place de quotas pour assurer un maintien des prix suffisant par un contrôle des quantités produites, puis définitivement abandonné en 2015, pour laisser tout sa place à « l’autorégulation du marché ». Il y a eu une injonction à l’industrialisation déraisonnée de l’agriculture et des exploitations : production à base d’antibiotiques, d’intrants pour nourrir les animaux, de vaches qui ne sont plus en pâture – c’est à dire en plein champ. Un modèle ultra-productiviste qui produit plus que ce qui est nécessaire et a permis une énorme concentration de gros groupes industriels de transformation – souvent avec d’énormes coopératives – qui font la pluie et le beau temps sur le marché et ramassent l’essentiel des bénéfices. Un phénomène classique de production déraisonnée, en abondance et de mauvaise qualité, qui broie les plus faibles. C’est la logique dévastatrice du capitalisme qui s’est imposée brutalement au monde agricole, de la même manière qu’elle touche toutes les branches de production et y impose ses mécanismes de concentration.

La réalité la plus difficile à admettre pour les éleveurs, alors qu’ils se sont organisés en coopérative, c’est que celles-ci, dirigées par de gros agriculteurs à moitié industriels, se sont retournées contre eux. Ils découvrent que les mêmes coopératives qui les encourageaient à produire plus il y a quelques années – le plus souvent avec l’accord des élus – importent aujourd’hui massivement pour monter les agriculteurs d’Europe les uns contre les autres tout en faisant baisser les prix. A ce jeu là, la logique protectionniste ne peut rien, car elle ne ferait que gonfler les stocks français en tirant les prix vers le bas : la logique concurrentielle dévastatrice ne serait en rien arrêtée aux frontières mais continuerait à s’imposer parmi les éleveurs français, de manière tout aussi carnassière.

Le problème c’est l’idée même de « marché du lait ». Les mécanismes systémiques du capitalisme jouent contre les agriculteurs comme le capitalisme joue contre les salariés. Il ne profite qu’aux plus gros. C’est ce qu’ont pu mettre à jour les trahisons des syndicats agricoles pro-patronaux, et notamment la FNSEA qui a su jouer sur la colère des éleveurs pour avancer les revendications des plus gros exploitants – les réductions de cotisations sociales essentiellement qui ne profitent qu’à ceux qui ont déjà les moyens d’embaucher en masse des salariés.

Les dernières mobilisations l’ont montré : la FNSEA ne maîtrise plus ses troupes. Elle en est même devenue une des cibles. Ainsi, le 12 février dans le Finistère, la chambre d’agriculture dirigée par la FNSEA était submergée de fumier, le domaine de Michel-Édouard Leclerc était ciblé tout comme la coopérative Even ou encore le député PS Richard Ferrand. Plus aucun syndicat ne maîtrise la colère des agriculteurs, notamment des plus jeunes. Il n’y a plus de leaders et les institutions politiques ne savent pas à qui s’adresser tandis que la riposte continue de s’organiser au travers des réseaux sociaux et amicaux que les éleveurs ont su souder au grès de leurs longs mois de lutte.

Ceux-ci découvrent les trahisons successives des syndicats, des coopératives géantes et d’une grande distribution qui encaissent la valeur ajoutée de la filière mais qui les pressurent au maximum. Les casseroles des leaders officiels de l’agriculture française s’ébruitent : on découvre que les dirigeants de la FNSEA font des « voyages d’études » en Afrique du Sud, passent des alliances avec la grande distribution chinoise pendant qu’ils sont en train de faire faillite. Leur revenu est en chute libre –inférieur à 10000 euros annuels pour un quart d’entre eux en 2015. Les trésoreries sont à sec. L’an dernier, la moitié des administrateurs de la FNSEA du Finistère a démissionné, sans pour autant rejoindre d’autres syndicats. Seule la Confédération paysanne ne semble pas perdre de syndiqués, sans pour autant profiter de la situation ou pouvoir diriger les agriculteurs. Le sentiment d’abandon est très fort. De plus en plus d’agriculteurs le disent :« Il y en a qui s’engraissent sur nous ».

Un mot d’ordre se fait jour : revenir au quota. On voit des panneaux : « guerre du lait : une solution = régulation ». Il est vrai que les gros agriculteurs ont milité de fait au niveau européen pour la dérégulation et qu’elle leur profite notamment car ils sont également propriétaires de firmes industrielles d’intrants. Certains agriculteurs déclarent que la solution serait de produire 2% ou 3% de moins pour chaque agriculteur, mais comment coordonner une telle baisse au niveau national et européen ? Ce n’est pas dans les intérêts de l’industrie agro-alimentaire dont les lobbyistes font la loi à Bruxelles comme au niveau national.

Il ne s’agit ni d’une question de « patriotisme économique », ni de « production de chez nous » : défendre une agriculture paysanne de qualité, la seule alternative à la disparition progressive à laquelle sont condamnés les petits exploitants, impliquerait de renverser la donne. La seule solution à la crise structurelle que traversent les campagnes françaises et le monde agricole passerait par une refonte complète des filières sous contrôle d’une agriculture paysanne, des travailleurs de l’agro-industrie et des consommateurs. Les petits éleveurs n’en ont pas moins raison de se battre pour un revenu décent. Mais leurs ennemis, ce ne sont pas les agriculteurs du reste de l’UE mais les banques qui les condamnent à l’endettement, une grande distribution qui les écrase et un gouvernement qui se situe du côté de ces deux dernières.


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