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Surenchère réactionnaire

Crise diplomatique entre Londres et Paris : un conflit xénophobe sur fond de drame migratoire

Trois jours après le drame qui a coûté la vie à 27 migrants dans la Manche, la guerre des mots a repris de plus belle entre la France et l’Angleterre après l’annulation par Gérald Darmanin de la participation britannique à une réunion de crise prévue ce dimanche. Une escalade xénophobe et anti-migration sur fond de crise profonde entre Paris et Londres.

Nathan Deas

27 novembre 2021

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Mercredi 24 novembre, au moins 27 migrants sont morts mercredi au large de Calais dans le naufrage de leur embarcation alors qu’ils tentaient de rejoindre l’Angleterre. L’embarcation était partie de Calais et comptait à son bord près d’une cinquantaine de personnes. Le drame encore frais, la catastrophe a rapidement tourné à la confrontation politique.

Nouvelle crise diplomatique entre la France et l’Angleterre

Depuis jeudi, la tension monte entre Paris et Londres. Dans une lettre adressée au Président Macron et publiée sur Twitter, Boris Jonhson demandait un « accord bilatéral de réadmission pour permettre le retour de tous les migrants illégaux qui traversent la Manche ».

La réponse du gouvernement français ne s’est pas faite attendre. Darmanin le premier, dans un message adressé à Priti Patel, la secrétaire d’Etat à l’intérieur britannique, a estimé que cette lettre était une « déception » sur le fond et pire encore sur la « forme ». A la suite de son ministre de l’Intérieur, Emmanuel Macron a critiqué son homologue anglais jugeant ces « méthodes […] pas sérieuses » avant d’insister : « On ne communique pas d’un dirigeant à l’autre sur ces questions-là par tweets et par lettres qu’on rend publiques, nous ne sommes pas des lanceurs d’alerte ».

En conséquence, vendredi matin, la France décidait d’annuler l’invitation de la secrétaire d’Etat à l’intérieur britannique à la réunion internationale de dimanche. « Nous considérons la lettre publique du Premier ministre britannique comme inadmissible et contraire à nos discussions entre homologues. Par conséquent, Priti Patel n’est plus conviée dimanche à la réunion interministérielle qui est maintenue en format : France/Belgique/Pays Bas/Allemagne/Commission européenne » commentait-on dans l’entourage de Darmanin.

Sur fond de surenchère xénophobe et anti-migratoire

En vertu des accords du Touquet en vigueur depuis 2004 entre la France et le Royaume-Uni, la frontière britannique est fixée sur la côte française. Or, depuis le Brexit, les tensions autour de cet accord s’intensifient entre Londres et Paris. Comme le note France-info : « Depuis le Brexit, la lutte contre l’immigration est une priorité du gouvernement britannique qui veut moins de trous dans le filet. À ses yeux, la France est trop laxiste et Londres met la pression en permanence. Priti Patel, l’intransigeante ministre de l’Intérieur, a par exemple menacé de refouler en mer les bateaux de migrants clandestins, en les raccompagnant avec des jet-skis vers les côtes françaises. Une pratique illégale au regard du droit maritime. ».

En arrière-plan, selon Paris, l’enjeu pour le gouvernement britannique est de répondre sur le terrain de l’opinion publique à l’incapacité du Brexit de réaliser ses promesses xénophobes de « contrôle des frontières » en érigeant la France comme bouc-émissaire. A cet égard, The Economist regrettait ce vendredi que « les noyades [aient] mis en lumière le coût humain de ce qui n’a été discuté jusqu’ici qu’en termes de purs calculs électoraux ».

A l’origine de cette nouvelle crise diplomatique, la volonté du Royaume-Uni de mettre en scène une réponse dure en annonçant vouloir trouver un accord pour le renvoi des migrants arrivé sur l’île britannique notamment vers la France et par là de réduire l’attractivité migratoire de la destination britannique en pariant sur la perspective d’un retour immédiat vers le pays de départ -européen- comme un repoussoir.

Du côté français, la proposition britannique a été balayée immédiatement par Gabriel Attal est sur BFM-TV vendredi matin : « Ce n’est évidemment pas ce dont on a besoin pour régler ce problème. Ce dont on aurait besoin c’est que les Britanniques nous envoient des officiers de protection pour examiner les demandes d’asile qui les concernent depuis le territoire français » ajoutant « C’est à se demander maintenant si Boris Johnson ne regrette pas d’avoir quitté l’Europe, parce que dès qu’il a un problème, il considère que c’est à l’Europe de le gérer  ! […] ça ne fonctionne pas comme ça : ça fonctionne en coopération  ».

L’enjeu est pour le gouvernement français d’imposer à son tour une position forte sur la question migratoire l’écrit Le Monde. « A cinq mois de l’élection présidentielle, dans un climat de précampagne marqué en France par une prédominance des thématiques de l’extrême droite, Emmanuel Macron n’ignore rien de l’enjeu lié à la question des migrants. Dans la matinée de jeudi 25 novembre, une réunion interministérielle a été organisée en urgence par Matignon. Le premier ministre, Jean Castex, s’est entretenu en visioconférence avec différents ministres, dont Gérald Darmanin, Eric Dupond-Moretti (justice) et Jean-Yves Le Drian (affaires étrangères), ainsi qu’avec Clément Beaune. ».

Dans le même temps, pour Macron, dans cette affaire, il s’agit surtout de montrer que l’Europe, loin d’être une « passoire migratoire » comme l’avancent ses détracteurs et est en capacité de garder le contrôle de ses frontières. Et ce dans la droite lignée de la réforme de Shengen, que l’exécutif français souhaite porter dès le 1er janvier prochain dans le cadre de la période de présidence française de l’Union européenne, et par laquelle il souhaite renforcer les contrôles -notamment aléatoires- aux frontières des Etats membres. Jeudi à Zagreb, le chef de l’Etat évoquait une : « tension éthique » entre « notre capacité à accueillir et la protection de ce que nous sommes » et revendiquait :« Si on ne protège pas notre intégrité nationale, on risque d’alimenter en retour des nationalismes très durs, des phénomènes que l’Europe avait su domestiquer. ».

Dans un contexte d’intensification des tensions entre la France et l’Angleterre

Autre sujet de tension entre la France et l’Angleterre, les pêcheurs français ont lancé, ce vendredi, une opération de blocage de ports et des accès au fret du tunnel sous la manche pour exiger une solution quant aux litiges sur la pêche post-Brexit. Cette action au combien symbolique au regard de l’actualité renvoie aux tensions profondes entre Paris et Londres depuis le Brexit. Interrogée par le Monde, Cécile Ducourtieux, explique : « La crise s’explique en effet par le Brexit qui agit comme un poison lent entre Paris et Londres. Emmanuel Macron a adopté durant toutes les négociations du Brexit une position très ferme – en ligne avec le reste des Européens, mais en plus ferme. Cette attitude est considérée comme hostile par les brexiters, qui pensent que Paris fait tout pour faire échouer le Brexit. Boris Johnson n’hésite pas à instrumentaliser ces différends avec la France pour des raisons de politique intérieure : une bonne partie des conservateurs adorent une bonne dispute avec les Français. L’histoire et les tenaces préjugés entre nos deux pays ne sont jamais très loin (perfide Albion d’un côté, président-Napoléon de l’autre, etc.). Paris semble persuadé que Londres ne distille les licences aux pêcheurs français que pour entretenir cette brouille. Paris a tendance à minimiser les difficultés engendrées par l’accord Brexit en Irlande du Nord. L’alliance Aukus entre Australie, Royaume-Uni et Etats-Unis, vécue comme un traumatisme par Paris, a rendu la relation encore plus toxique ».

En octobre dernier, le ton était déjà monté entre les deux puissances européennes. Le secrétaire d’État aux affaires européennes, Clément Beaune, disait alors de façon éloquente à CNews : « Maintenant il faut parler le langage de la force parce que je crains que malheureusement, ce gouvernement britannique-là ne comprenne que cela ».

A nouveau l’escalade verbale entre Londres et Paris, au-delà même de l’indécence de cette crise diplomatique sur fond de drame humain, est faite au nom de la défense des intérêts patriotiques. Ce qui est clair, c’est que cela n’est pas notre combat. La militarisation de nos frontières, comme le montre le naufrage de mercredi, tue. Contre ces politiques criminelles et cette course à la xénophobie, les travailleurs du Royaume-Uni et de France doivent unir leurs forces contre leurs propres impérialismes en décomposition et leurs mesures réactionnaires. Cela passe par la régularisation immédiate de tous les sans-papiers, la fermeture des centres de rétention administratifs, la défense du droit au regroupement familial, l’arrêt immédiat des expulsions ainsi que le droit de toutes et tous de bénéficier d’un titre de séjour, d’un travail et d’une place à l’université. Face aux réactionnaires en tout genre : "de l’air, de l’air : ouvrez les frontières".


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