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Dans le monde des puissants, les violeurs sont rois

DSK acquitté. La justice d’Etat au service du patriarcat

Leo Serge et Nina Kirmizi Le 12 juin le tribunal correctionnel de Lille a acquitté Dominique Strauss-Kahn, ainsi que Dominique Alderweireld et Béatrice Legrain, tous accusés de proxénétisme dans le cadre du procès Carlton. Le risque était minime, le parquet ayant lui-même requis la relaxe. Démonstration parfaite de l’inégalité face à une justice bourgeoise dont les contradictions sont pourtant manifestes. En effet, ce même jour, l'Assemblée nationale a de nouveau voté en faveur de la pénalisation des clients des prostituées. Le scandale de cet acquittement n'en est que plus flagrant. Nous republions ici notre article du 18 février 2015 consacré à cette « affaire DSK », « Procès Carlton : la justice d’Etat au service du patriarcat. Dans le monde des puissants, les violeurs sont rois. »

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« L’affaire DSK » ne s’est jamais arrêtée aux portes de la chambre n°2806 du Sofitel de New York. En brisant la loi du silence qui entourait les conduites sexuelles criminelles de Dominique Strauss Kahn, elle, la femme de chambre immigrée africaine, lui, la figure présidentiable, le baron du parti socialiste à la tête de la puissante institution financière internationale, Nafissatou Diallo a ouvert les vannes. Quand toute la classe politique française retenait son souffle et gardait son silence, des voix se sont fait entendre : l’affaire du Carlton de Lille, parmi d’autres histoires de viol et d’abus sexuel par abus de pouvoir que sèment les pas du violeur le plus puissant du monde, a de nouveau traîné DSK sur les bancs de la justice pour proxénétisme en bande organisée. Mais une fois de plus, les parties civiles ont abandonné la procédure, et une fois de plus, le violeur le plus puissant du monde est en passe de s’échapper des filets d’une justice qui est de bout en bout de son côté.

Le flic, le patron, et le politique : un réseau de proxénétisme politico-mafieux bien huilé

Cela ressemble à un mauvais casting : dans le rôle du flic ripoux, Jean-Christophe Lagarde, Commissaire Divisionnaire de Police en charge de la sûreté de Lille, franc-maçon, passé par la brigade des stupéfiants et l’anti-gang lyonnais, chargé de couvrir les arrières de l’organisation du réseau et s’adonnant aux réjouissances collectives. Comme truand, Dominique Alderweireld, dit « Dodo la saumure » , sélectionneur du « matériel », terme qu’il emploie avec DSK pour désigner les filles, en charge « de la remonte de cheptel » qu’il achemine de Belgique ou d’autres régions d’Europe vers les lieux où se déroulent les « parties fines ». Enfin, autres figures de la notabilité lilloise, David Roquet, patron d’une filiale du groupe de BTP Eiffage, et Fabrice Paszkowski, responsable de la société de matériel médical Medicalis dans le Pas-de-Calais, s’ils n’ont pourtant pas le meilleur rôle, se sont également retrouvés sur le banc des prévenus. En « guest star », bien sûr, DSK, pour qui cette clique ne se ménage pas et met ses services à disposition pour satisfaire le désormais célèbre « large » appétit sexuel de l’ex-président du FMI : Madrid, Paris, New York, en « bouquet garni » ou accompagné d’une « petite ukrainienne ».

Toutes ces filles acheminées et délivrées par Dodo la Saumure, pratiquaient des services tarifés. Pourtant, DSK, tout comme Jean-Christophe Lagarde, haut gradé dans la police, disent n’être au courant de rien, et d’en avoir profité à leur insu. Ces deux là ne reculent devant rien. Ni devant les témoignages des escorts elles-mêmes qui auraient subi des pratiques sexuelles forcées et qui parlent des pratiques de DSK en termes « d’abattage », « de boucherie ». Ni devant ceux de leurs co-prévenus qui confirment la présence de paiements.

En aucun cas, il ne s’agit d’une affaire de mœurs. L’exemplarité de cette affaire ne se situe pas au niveau de la braguette. Elle n’est pas liée au jugement moral qu’on peut porter ou non sur les pratiques sexuelles des personnages en question, comme s’en est défendu DSK lors de sa comparution au tribunal. En réalité, jour après jour, les audiences déconstruisent méthodiquement les accusations élaborées par les magistrats instructeurs concernant le plus célèbre des quatorze prévenus, avec la complicité du juge et du procureur, pour la transformer en simple dénonciation morale de ce qui révèle d’après eux des affaires et de la vie privée.

Mais c’est bien d’autres choses qu’il s’agit et qui lie directement le statut des personnes inculpées, installées dans des postes de pouvoir et stratégiques, des postes qui sont des clefs de voûtes du système politique de la bourgeoisie, les activités criminelles qu’ils exercent - proxénétisme, viol en réunion, abus sexuels...- protégés par les fonctions qu’ils occupent, et le rapport à la justice, qui, on l’a bien vu dans la cas du viol de Nafissatou Diallo, permet rarement de démasquer les puissants. Au sein de la classe politique française, en passant par Sciences Po où il a été professeur, comme au FMI, tout le monde savait ce que l’affaire DSK-Nafissatou Diallo a révélé sur la personnalité de DSK. Ce que révèle l’affaire du Carlton va plus loin. Il s’agit bien de violence sexuelle et machiste, mais de violence sexuelle en bande organisée, couverte, tolérée, acceptée. Ceux qui selon la loi bourgeoise – un commissaire par exemple - auraient du dénoncer, enquêter, étaient de fait des participants voire des organisateurs de ces « parties fines ». La complicité s’étale, les mains de la haute bourgeoisie se révèlent, sa morale – non pas sexuelle mais politique – s’affiche.

Violence sociale, violence patriarcale : DSK, le « célèbre » violeur impuni de la bourgeoisie

Toutes les femmes ont déclaré que les relations sexuelles n’allaient que dans un sens, pour son plaisir à lui seul, ce qui n’a rien de libertin : des relations dégradantes et parfois non consenties pour des femmes qui pourtant sont avisées des conditions d’exercice de la prostitution. Et quand les femmes pleuraient à la barre, DSK, lui, n’a rien à se reprocher : la violence sur les corps s’achète dans la plus grande normalité, pour lui il s’agit de libertinage.

La violence du rapport sexuel, en tant qu’acte de domination qui impose un acte sexuel, et le plaisir dont l’individu peut tirer de cet acte de domination, est l’essence même de l’acte de viol. Le plaisir ne provient pas de la relation sexuelle, en tant que telle, qui, dans le cas de DSK, pourrait se suffire à l’usage de services tarifés, mais bel et bien dans l’acte de soumission qu’il cherche à imposer comme le soulignent les témoignages des femmes à la barre, qui ont subi des relations non consenties. Nafissatou Diallo, Tristane Banon, les prostituées du Carlton... A chaque fois, la violence sexuelle qu’impose DSK se double d’une violence sociale qui la rend possible. Cette domination sociale, l’influence et le réseau dont disposent les représentants des sphères dirigeantes de la bourgeoisie, garantissent l’impunité de l’acte de viol : la domination de classe est fonctionnelle à la domination patriarcale. Que vaut la parole d’une prostituée ou d’une femme de chambre face à l’homme le plus puissant du monde ? Qu’en est-il des moyens économiques pour acheter leur silence ? On a vu Nafissatou Diallo se faire traîner dans la boue par la caste politique française et les médias, rempart protecteur en dernier ressort d’un de leurs membres. Ici encore, il n’est pas possible de parler de viol – terme qui n’est pas prononcé au cours du procès – ou d’agression sexuelle pour désigner la sodomie forcée dont a été victime une prostituée. La prostitution ne protège pas du viol ! Au contraire, elle protège le violeur qui peut délégitimer le discours d’une victime ayant subi un rapport non consenti (qu’il ait été rémunéré ou non) en arguant de ses activités.

Quelques années auparavant, avant l’affaire du Sofitel de New York, toute la bourgeoisie amenée à fréquenter DSK savait. Un guitariste de rock mondain gaffait et se déclarait plutôt pour DSK comme président mais regrettait son côté « queutard », avant de s’excuser d’avoir dit ce qui ne se dit pas en public. La plupart des journalistes – l’une d’entre a même subi une tentative de viol de la part de DSK et a du se taire comme lui a conseillé sa mère– savait et se taisait. La plainte de Nafissatou Diallo a défié la toute puissance de cet homme et l’impunité dont il jouissait de par sa position sociale. Elle a brisé le silence qui régnait autour de ses actes, celle des abus sexuels, de l’abus de ses positions, du silence qui enferme ses victimes dans la crainte de perdre leur travail, d’être radié de toute opportunité au sein du riche et puissant réseau dont dispose DSK dans le monde politique et médiatique, comme ce fût le cas de sa secrétaire au FMI. Elle n’a pourtant rien pu contre la justice bourgeoise et son rôle, en dernier, ressort, de protection de la bourgeoisie.

Voilà la morale de la bourgeoisie ! Cela ne vous concerne pas ! Car il s’agit de cette « vie privée » qui justifie le viol, tout comme le secret des affaires sert de paravent à la privatisation des profits, à la corruption et aux détournements faramineux. Le lien entre propriété privée et morale de la bourgeoisie, son expression dans la loi, débouche sur une morale à double tranchant aux conséquences en termes de justice, sans équivalent : alors qu’on impute à DSK la naïveté de croire que de belles jeunes femmes n’ont pas été payées pour être pénétrées brutalement par un homme beaucoup plus âgé, très riche et très influent à deux poids et deux mesures, ce qui le dédouanerait de toute poursuite judiciaire et ouvrirait sur un non lieu, la justice menace jusqu’à 7 ans de prison des mineurs qui, ayant saccagé un cimetière juif, se sont rendus à la police par crainte et assurent ne pas avoir eu conscience de la gravité des faits. Nous aurons notre conclusion dans ce cri : socialisme ou barbarie.

18/02/15

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