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Daher. Le site n’a jamais fermé et « on récolte des licenciements » !

Daher prévoit de licencier 3000 personnes. « Depuis qu'ils ont arrêté les intérimaires je me retrouve à travailler l'équivalent de trois postes ». Sur le site de Air Log1 à Cornebarrieu, dans la région toulousaine, un salarié explique comment la direction de Daher va faire payer la crise aux ouvriers.

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Révolution Permanente : Peux-tu nous en dire plus sur le plan de licenciement en cours ?

Me concernant, je travaille sur le site Airbus Logistique 1, AIR LOG 1, à Cornebarrieu dans la région toulousaine. On produit des pièces électroniques et de quincaillerie pour Airbus. La suppression des emplois est divisée sur tous les sites qui produisent dans l’aéronautique. A priori ces licenciements vont plus particulièrement toucher le site de Tarbes, qui fabrique des avions d’affaire et des pièces de carénage pour Airbus.

Révolution Permanente : Selon un tract de la CFDT sorti à ce moment-là, la menace des licenciements plane depuis novembre 2019. Peux-tu nous en dire plus ?

Oui, nous avions eu écho en novembre 2019 que des suppressions de postes risquaient d’arriver. L’entreprise légitimait ceci par une perte de bénéfices et de chiffres d’affaires. A ce moment-là, elle parlait de supprimer des postes de manager et de CDI. Mais nous n’avions pas entendu parler de suppression de postes d’intérimaires, qui aujourd’hui s’élève à 1700, ni de nombre d’emplois supprimés aussi conséquent. De 1000 emplois à l’époque, on passe à 3000 aujourd’hui.

Révolution Permanente : Comment toi et tes collègues avez réagi face à ces annonces ? Est-ce une surprise ?

Une surprise oui et non. Comme je te disais, nous nous attendions pas à une suppression aussi massive que celle annoncée. Mais on sait que l’entreprise a une baisse de chiffre d’affaires depuis quelque temps. On l’a clairement ressenti sur nos primes. Notamment nos primes d’intéressement et de participation. Ces primes, que la direction verse à ses employés en fonction des bénéfices et du chiffre d’affaires sur l’année ont été moindres que celles de l’année dernière. L’an dernier, nous touchions environs 500 euros de prime d’intéressement, cette année nous sommes à 340 euros. Quand on a vu cela, on se doutait que des choses allaient arriver, et pas en faveur de l’intérêt du salarié.

Révolution Permanente : Il n’y a eu aucune réaction au sein de la boite depuis novembre dernier face à cette menace de licenciements ?

Non. Il n’y a pas eu vraiment de réaction, des salariés ou de la direction. On a laissé traîner et aujourd’hui on en arrive là. On croirait voir le gouvernement quand il s’agit des masques. Je trouve ça fou de tirer la sonnette d’alarme en novembre et de ne rien faire. On aurait pu faire des économies sur beaucoup de choses, au lieu de nous faire payer ensuite en supprimant nos emplois. On aurait par exemple pu demander moins d’allers-retours pour les camions, les charger à bloc. On aurait économisé de l’essence et des allers-retours inutiles... Mais on n’a rien fait. L’entreprise ne veut pas se sacrifier, mais pourquoi les salariés le feraient ? Plein de pauvres ouvriers sont venus travailler pendant le Covid-19 et n’auront pas 1 centime de la prime promue par Macron, et vont se faire licencier ensuite...

Révolution Permanente : Avez-vous plus d’informations de la part de la direction depuis l’annonce du plan de licenciement relayée par la CFDT ?

Non, et ça c’est inadmissible aussi. On est laissé dans l’inconnu. Cela crée beaucoup d’angoisse et de crainte chez nous. Selon les annonces de la CFDT, 1700 intérimaires vont être licenciés et 1300 CDI. Concernant les intérimaires, la machine est déjà en cours. Sur mon site, les trois quarts des intérimaires ont été arrêtés dés mercredi dernier. Et ce très brutalement. On leur a annoncé qu’ils arrêteraient de travailler vendredi. Deux jours avant ! On leur a dit, vous êtes payés jusqu’à la fin de votre contrat, mais vous restez chez vous. On a plus besoin de vous. Et on leur a donné aucune autre information, aucune explication. Cela doit être dur pour eux. Ils sont aux avant-postes de l’attaque.

Concernant la suppression des salariés en CDI, on n’ a pas plus d’informations pour le moment. On ne sait pas sur quels sites ils seront supprimés, ni le nombre de suppressions de postes par site. La direction ne nous a en effet pas dit où les postes seront supprimés, s’il devait y avoir des départs sur la base du volontariat etc... Mais on a déjà échos que les sites de Tarbes et de la région toulousaine seront touchés. On a toutes les raisons de s’inquiéter.

Le lendemain des annonces, au travail tout le monde était inquiet. Et ce d’autant parce qu’on est dans l’incertitude. On est laissé dans l’inconnu. Je tiens à préciser, et c’est grave selon moi, que certains de mes collègues ont appris que des emplois allaient être supprimés par la presse ! Suite au tract sorti par la CFDT. T’imagines ? T’apprends par voie de presse que 3000 emplois vont être supprimés dans ta boite ! Et non par la direction. Quand tu apprends ça sur les réseaux sociaux et pas en interne ça t’inquiète évidemment encore plus. Et j’ai peur que face à cette menace, l’ambiance soit au chacun pour soi dans la boite.

Révolution Permanente : A ce propos, que penses-tu du fait que ce sont les intérimaires qui sont les premiers à être mis à la porte ?

C’est horrible à dire, mais je pense que du point de vue de la direction, c’est « normal » qu’elle s’attaque aux intérimaires en premier. Ils ont des contrats beaucoup plus précaires et sont plus faciles à manipuler. Si je ne dis pas de bêtises ils ont des contrats allant de 2 semaines à 1 mois. La direction a juste à décider de renouveler leurs missions ou pas. C’est plus facile de jouer avec eux. Nous, les salariés en CDI, avons des contrats plus solides, et nous avons plus de sécurité. Enfin en théorie...

De plus, toujours sur les intérimaires, depuis le début de la crise pandémique, pas une seule RH de l’agence d’intérim pour laquelle ils travaillent, en l’occurrence Adecco, n’est venue sur le site pour les conseiller. Dans plusieurs cas, ils se sont retrouvés dans l’inconnu et n’ont eu aucune information. C’est notamment pour le cas les tickets restaurant. Ce mois-ci, nous ne les avons pas eu, et pour les CDI, la direction nous a dit que les tickets restaurants seront transposés en net sur notre paye. Mais les intérimaires ? Ils n’ont pas les mêmes conditions que nous sur plein d’aspects et ils sont laissés dans l’inconnu, ce qui crée beaucoup d’incertitudes et d’inquiétudes chez eux.

Révolution Permanente : En cette période de crise pandémique, votre entreprise n’a pas fermé. Trouves-tu ça normal ? Et quelles sont vos conditions de travail ?

Effectivement, notre boite n’a pas fermé. Et nous continuons à travailler en cette période de pandémie. Honnêtement, au vu des conditions dans lesquelles nous travaillons, je me sens clairement en danger. Il faut savoir qu’après les annonces de Macron instaurant le confinement, aucune mesure sanitaire n’a été mise en place dans notre boite pour nous protéger du virus.

Au début de la crise, notre PDG a mis en place un flash à l’égard de tous les salariés, qui indiquait les normes sanitaires à respecter. En somme, la désinfection des postes en arrivant et en partant, ainsi que le lavage de main. Mais le problème... c’est qu’il nous ont fourni aucun matériel pour mettre en place ces gestes ! On nous a donné des instructions sans matériel.

Face à ces conditions, sur mon site à Cornebarrieu, nous avons effectué un droit de retrait, voté et suivi par tous, une matinée pour obtenir du matériel de protection. Après ce droit de retrait, la direction nous a concédé des gants (souvent pas à notre taille !) et du gel hydroalcoolique. Sinon nous n’avions rien. On a dû crier 15 jours et se mettre en droit de retrait pour avoir du gel. C’est quand même fou. Certains collègues, selon les services, ont eu la chance d’avoir des masques. Mais... juste un seul masque par mois ! Autrement dit ça ne sert à rien. D’autant plus que ce sont des masques chirurgicaux que nous avons, qu’on doit donc changer toutes les 3 heures. De plus, si nous travaillons aux côtés de collègues, il faut qu’eux aussi en aient. Parce que ces masques ne protègent qu’autrui et non toi. Mais tout le monde est loin d’avoir des masques. La direction s’appuie sur le fait que le gouvernement ait décrété que le port du masque n’était pas obligatoire dans les entreprises pour se déresponsabiliser de ça. Ainsi seuls ceux qui peuvent se les fournir en ont. Et ce sont bien souvent la direction, les chefs d’équipes qu’on voit avec des masques...

Chaque jour, on remplit une feuille au démarrage du poste ainsi qu’à la fin de la prise de poste, pour déclarer si nous sommes bien munis de gants, gels, etc... Mais même s’il nous manque tout, on travaille quand même. Lavez-vous les mains, remplissez votre feuille, mais que vous cochiez vert ou rouge, vous travaillez et basta. On a beau réclamer des choses, menacer de se remettre en droit de retrait, on a toujours pas le nécessaire. Alors qu’il y a pas mal de poste où la promiscuité est présente, où on se croise dans les allées, où on porte du matériel à deux... C’est assez inquiétant.

En plus de ça, il est évident qu’on ne touchera pas la prime Macron de 2000 euros. Aucun communiqué de la direction n’a été fait à ce propos, mais je peux vous jurer qu’on n’aura pas un centime de Daher. Cela crée du dégoût.

Révolution Permanente : C’est un peu la double peine pour vous. Vous allez au travail la boule au ventre en ce contexte pandémique et la récompense : un plan de licenciement massif.

Oui c’est cela. C’est la double peine pour nous. Honnêtement, j’ai pas les mots. C’est honteux. L’entreprise n’a pas fermé, alors qu’on est en période de confinement la direction nous dit vous pouvez travailler. On vient au travail la boule au ventre parce qu’on a peur d’être contaminé. Et ce qu’on récole c’est des licenciements.

Autre exemple, nous avons deux équipes qui tournent. Une équipe du matin et une équipe de l’après-midi. Pour éviter que les deux équipes se croisent dans le contexte du coronavirus, nous avons changé d’horaires. L’équipe du matin travaille de 6 heures à midi. Et l’après midi de 15 heures à 21 heures, avec trois heures de battement donc. Mais avec ce changement d’horaire nous n’effectuons dès lors plus notre temps de travail quotidien, il manque 1 heure et 15 minutes. Et la direction a voulu nous le faire payer ! Il a fallu que notre délégué syndical se batte pour que l’heure de travail et les 15 minutes de RTT ne nous soient pas retirées. C’est quand même incroyable. On nous impose de venir travailler, de prendre des risques, et en plus ils veulent nous le faire payer financièrement. Heureusement qu’ils sont revenus sur leurs décisions. Sinon cela aurait crée assurément de la colère chez les collègues.

Depuis que Daher est arrivé chez nous, en janvier 2018, tous les acquis qu’on avait, disparaissent petit à petit. Cela peut paraître futile mais en accumulant tout, cela fait beaucoup. Par exemple en janvier 2018, nos jours de ponts, qui nous permettait de poser un jour entre deux jours fériés pour avoir un grand week-end, a disparu. Pareil pour le jour qu’on avait en cas de déménagement ainsi que les primes de remplacements qui ont diminué de plus de 30%.

Révolution Permanente : Penses-tu que cette suppression de postes va se traduire par une augmentation des tâches et des heures de travail pour les salariés qui restent en poste ?

Je pense oui. Déjà, sur mon site, depuis qu’ils ont arrêté les intérimaires je me retrouve à travailler l’équivalent de trois postes. Alors qu’ils nous avaient par ailleurs assuré que les suppressions d’emplois n’allaient pas signifier une hausse des cadences et des charges pour les salariés restant en poste. Or on le voit, on court déjà plus.

De plus, le gouvernement a élargi la semaine de travail à 60 heures. Et comme le secteur de l’aéronautique a fermé un temps et qu’il y aura probablement des retards dans les commandes, ils vont sûrement augmenter nos heures de travail. Ils iront probablement pas jusqu’à 60 heures, parce qu’il y a des parents etc. Mais je pense qu’ils vont bientôt nous faire travailler des 45-50heures par semaines. Ce qui est déjà trop.

De plus, par rapport à l’augmentation des heures de travail, la boite a effectué une petite manœuvre pour faire travailler davantage les personnes qui sont en cette période de confinement en chômage technique, notamment pour garde d’enfants. Légalement, Daher doit payer 84% le taux horaire du chômage partiel. Mais elle a voulu payer 95%. Élan de générosité ? Non. Ils ont voulu payer plus dans le but que les collègues leur doivent des heures à la rentrée. En effet, ils se basent sur le fait qu’ils payent 11% en plus pour exiger que les salariés concernés par ce chômage technique leur doivent 25 heures par mois. Ces heures dues sont des heures qu’ils devront effectuer sans être rémunérés. C’est scandaleux. D’autant plus qu’on a fait le calcul, et qu’exiger 25 heures au regard des 11% de salaire en plus, c’est largement exagéré. On va les faire travailler plus alors qu’ils ne donnent pas l’équivalent. Faire travailler plus pour gagner autant. A l’inverse de ce que nous disait notre cher Nicolas Sarkozy à l’époque...


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