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Macron veut rejouer contre Le Pen

Darmanin et Schiappa toujours plus loin dans la surenchère islamophobe et sécuritaire 

Gérald Darmanin et Marlène Schiappa ont donné une interview conjointe au Parisien. Au menu : campagne islamophobe avec le projet de loi « contre les séparatismes », offensive sécuritaire sous prétexte de « lutte contre les stupéfiants ». Une rhétorique qui, à force de s’inspirer de l'extrême-droite et du RN, fait que la copie se rapproche toujours plus de l’original.

Mahdi Adi

7 septembre 2020

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Gérald Darmanin à gauche, Marlène Schiappa à droite. Crédit photo : Le Parisien/Arnaud Journois

Ce lundi, dans une interview publiée par Le Parisien, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et sa ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, présentent la feuille de route sur les questions de sécurité qui sera dévoilé mercredi lors d’un séminaire gouvernemental. Dans le sillage d’Emmanuel Macron vendredi dernier, cette interview a été l’occasion pour les ministres de déballer un discours islamophobe « contre les séparatismes », ainsi que poser les grandes lignes des mesures sécuritaires qui seront dévoilées dans la feuille de route mercredi, telles que le déploiement de forces de police supplémentaire dans les quartiers populaires sous prétexte de « lutte contre les stupéfiants ».

Au nom de la laïcité : l’islamophobie d’État en marche

Le 31 août dernier sur France Inter, Marlène Schiappa précisait déjà l’objectif de ce projet de loi qui visera « principalement le séparatisme islamiste ». En revendiquant la fermeture de « 240 lieux de culte » depuis trois ans, la ministre déléguée à la Citoyenneté déclarait vouloir « aller plus loin et notamment remplir ce qu’on appelle cette zone grise juridique ».

Ce lundi dans les colonnes du Parisien, elle a donc explicité un des objectifs du gouvernement avec ce nouveau projet de loi, à savoir se doter d’un outil juridique pour « fermer une association ou une chaîne YouTube, qui invite, par exemple, quelqu’un qui se présente comme un imam susceptible de dire qu’une femme se parfumant est une fornicatrice méritant les flammes de l’enfer ». De même, Marlène Schiappa a affirmé : « Nous ne voulons plus un euro d’argent public aux associations qui sont les ennemies de la République ! » Elle prévoit également « la création pour les associations d’un contrat d’engagement sur la laïcité », pour permettre au ministère de l’Intérieur de s’opposer aux versements de subvention aux associations « sportives, culturelles, ou autres » suspectées de « séparatisme ».

Le gouvernement s’inscrit ainsi dans une offensive islamophobe latente ces dernières années, au nom de la laïcité. Une offensive contre les populations musulmanes ou présumées telles, successivement taxées de « communautaristes » puis de « séparatistes », avec des conséquences dramatiques telles que l’attentat de de la mosquée de Bayonne le 28 octobre 2019, perpétré par un ancien militant du Rassemblement National au lendemain du discours d’Emmanuel Macron appelant à lutter contre « l’hydre islamiste ».

A ce titre, le Collectif Contre l’Islamophobie en France a publié un rapport annuel en février dernier révélant une hausse des actes islamophobes en 2019. A l’image de l’agression d’une mère voilée qui accompagnait son enfant au conseil régional de Bourgogne par un élu du Rassemblement National le 11 octobre 2019, et trois jours plus tard de la publication par l’Université de Cergy d’une liste de « signaux faibles de radicalisation » à l’intention des personnels et professeurs dans le but de les inviter à ficher les étudiants portant une barbe ou pratiquant la prière – avant d’être obligée de la retirer suite au tollé provoqué. Ce mois d’août encore, deux mosquées en pas moins d’une semaine ont été victimes d’incendie dans l’agglomération lyonnaise, et le 2 septembre des tags islamophobes ont été découverts sur la façade de la mosquée de Tarbes.

Des exemples qui illustrent l’oppression dont sont victimes les personnes musulmanes et présumées telles, et qui montrent comment en mettant le focus sur la lutte contre l’islam politique, le gouvernement et l’extrême-droite cherchent à construire l’archétype de l’ennemi intérieur, un « ensauvagé » qui serait forcément de religion musulmane et des quartiers populaires.

Marlène Schiappa instrumentalise le féminisme à des fins islamophobes

Dans son interview, la ministre déléguée à la Citoyenneté a également taclé le maire EELV de Grenoble, Eric Piolle, en l’accusant d’avoir fait preuve « d’une grande lâcheté » lorsque celui-ci avait mis en cause « la cacophonie gouvernementale » au sujet du « statut du maillot de bain » et des règles d’hygiènes dans les piscines municipales, après l’action de militantes qui s’étaient baignées en burkini à la piscine de Grenoble en juin 2019 pour défendre « la liberté de toutes les femmes » et « permettre aux milliers de grenobloises musulmanes voilées de pouvoir se baigner dans les piscines publiques... sans avoir besoin de désobéir ». L’ancienne ministre chargée de l’Égalité Femmes Hommes du gouvernement Macron-Philippe invoque ainsi la lutte féministe pour justifier l’interdiction du burkini et s’en prendre aux militantes pour les droits des femmes musulmanes, en les taxant de « séparatistes » - tout comme Eric Piolle qui les avait d’ailleurs lui aussi condamné en les qualifiant de « communautaristes » à l’époque.

La ministre a même enfoncé le clou en annonçant souhaiter « mettre clairement dans la loi qu’aucun élu ne pourra prendre de dispositions pour favoriser l’inégalité entre les femmes et les hommes pour mettre en place des pratiques communautaires, comme réserver des horaires de piscine à un sexe plutôt qu’un autre. » De même qu’interdire et pénaliser les « certificats de virginité » délivrés par « certains médecins [qui] osent encore certifier qu’une femme est vierge pour permettre un mariage religieux ».

Si la lutte pour les droits des femmes, contre le patriarcat et ses incarnations les plus réactionnaires dans la société capitaliste est légitime et nécessaire, les déclarations de la ministre ne doivent tromper personne. Elles ne correspondent qu’à une tentative honteuse de récupération des luttes féministes au service d’une campagne islamophobe.
 
Un comble alors que Marlène Schiappa affirme sa proximité avec Gérald Darmanin lui-même accusé de viol, en déclarant avoir avec lui « pas mal de points communs » et en réalisant même cette interview dans Le Parisien aux côtés de l’actuel ministre de l’Intérieur. Une preuve s’il en fallait encore de la malhonnêteté du gouvernement qui stigmatise les musulmans au nom du féminisme tout en assumant la nomination d’un ministre de l’intérieur accusé de viol. Contre ce « féminisme » bourgeois qui n’hésite pas une seconde à réprimer les mobilisations féministes, c’est seulement en toute indépendance du gouvernement, qu’il est possible de lutter contre les violences faites aux femmes

Darmanin c’est la macronie ensauvagée

En 1969, le président états-uniens Richard Nixon annonçait faire de la « guerre contre la drogue » une priorité de son gouvernement, afin de s’en prendre aux populations africaines américaines issues des quartiers populaires au lendemain du mouvement contre les droits civiques qui ébranlait la première puissance impérialiste au monde. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle en entendant le discours de Gérald Darmanin. Interrogé dans Le Parisien, le ministre de l’Intérieur a déclaré que « la lutte contre les stupéfiants […] doit être l’alpha et l’oméga de toutes nos interventions […] Il faut s’occuper de tous les trafics. Des gros réseaux jusqu’au bout de la chaîne, c’est-à-dire le consommateur ».

Une politique répressive incarnée par la mise en place des amendes de 200€ contre les consommateurs de cannabis depuis le 1er septembre partout en France, que le ministre souhaite généraliser « pour d’autres faits : l’occupation illégale des halls d’immeubles, la vente à la sauvette de cigarettes... » Si Gérald Darmanin a affirmé qu’« il faut sanctionner tout le monde, y compris dans les beaux quartiers de Paris », il reste clair que l’objectif du gouvernement est avant tout de se servir de ce prétexte pour renforcer le déploiement policier dans les quartiers populaires, à l’instar de l’opération de police dans le quartier du Mistral à Grenoble qui a suivi la publication d’images du clip du rappeur Corbak Hood qui mettait en scène des armes factices.

Et pour cause, après le mouvement contre les violences policières et le racisme d’État du mois de juin dernier, le ministre a déclaré « l’objectif, c’est de remettre du « bleu » dans la rue », avant d’ajouter : « je veux le dire à tout le monde : à la fin, c’est toujours la police, c’est-à-dire la République, qui gagne ». Après avoir insulté les victimes en déclarant mois de juillet « quand j’entends le mot violences policières, moi, personnellement, je m’étouffe », Gérald Darmanin s’emploie donc à redorer le blason de la police, après la crise de légitimité qui avait touché l’institution policière suites à la répression brutale du mouvement des Gilets jaunes, puis aux violences policières exercées pendant le confinement qui avaient choquées l’opinion publique, dans le sillage du mouvement aux États-Unis. De fait la stratégie du ministre consiste à réaffirmer l’autorité de l’appareil répressif de l’État, en accentuant la présence policière dans les quartiers populaires dans un contexte social explosif. Tout comme la campagne islamophobe, il s’agit avec cette offensive sécuritaire d’assurer un ordre social inégalitaire et raciste imposé par la matraque aux secteurs les plus précaires de la société. Une offensive qui permet de fait à l’extrême-droite d’apparaître de manière encore plus décomplexée, à l’image de la fiction raciste contre Danièle Obono publiée par Valeurs Actuelles, des menaces de mort proférées par un délégué du Rassemblement National à l’égard du militant NPA-Révolution Permanente et syndicaliste Anasse Kazib, ou encore du discours de Marine Le Pen qui a mis l’accent sur le combat contre « la barbarie » lors de son discours de rentrée ce dimanche à Fréjus.

Par ailleurs Gérald Darmanin endosse désormais un rôle particulier pour la macronie, puisque le ministre issu de la droite sarkoziste reproduit la méthode de son mentor. Avec la rhétorique de « l’ensauvagement de la société » et en se faisant le porte-étendard de la loi « contre les séparatismes » le ministre de l’Intérieur permet à LREM de s’approprier le vocabulaire et les thématiques de la droite dure et de l’extrême-droite. C’est ainsi que le gouvernement espère éluder l’urgence sociale marquée par l’accentuation du chômage de masse et des licenciements en pagaille, et cherche à capitaliser sur la séquence politique réactionnaire actuelle. Le tout pour le compte d’Emmanuel Macron qui se lance donc dans la course aux présidentielles de 2022, en se projetant dans un second tour face à Marine Le Pen.
Enfin cette rhétorique qui s’inscrit dans la désignation d’un « ennemi intérieur » qu’il faudrait débusquer au prix de mesures autoritaires et anti-démocratiques, et qui présentent l’avantage de pouvoir être d’une part ensuite être employées contre le mouvement ouvrier, alors que l’Élysée craint de nouvelles explosions sociales dans le sillage de la crise sanitaire, sociale et politique actuelle. D’autre part elle s’articule également avec la défense des intérêts de l’impérialisme français dans le cadre d’une situation internationale convulsive. A l’image de la manière dont Gérald Darmanin a justifié l’augmentation du budget de l’armée de 1,6 milliards d’euros par an, en utilisant l’argument selon lequel « mettre fin à l’État islamique, c’est réduire le risque d’avoir un attentat projeté sur le sol français », afin de justifier le déploiement militaire au Moyen-Orient et en Afrique.

Dans ce contexte d’offensive sécuritaire et islamophobe, il est nécessaire que l’ensemble des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier se mettent sérieusement en ordre de bataille face à ce tournant réactionnaire, contre l’extrême-droite et la politique du gouvernement. Une question d’autant plus stratégique qu’une part importante de notre camp social est largement composé de travailleurs racisés, issus des quartiers populaires et de l’immigration, à l’image des « petites mains invisibles » qui ont continué de faire tourner la société pendant la crise sanitaire.


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