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Impérialisme

De la dictature chilienne au modèle néolibéral : une affaire française

« Il ne s’agit pas de 30 pesos, mais de 30 ans » clament les Chiliens dans les rues du pays face à une répression d’État féroce. Une remise en cause profonde du système économique et social directement hérité de la dictature de Pinochet, et auquel l’impérialisme français est loin d’être étranger.

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« Le rio Mapocho [qui traverse la capitale, NDLR] charriait les cadavres, confiait aux journalistes de Libération un ancien militant communiste chilien en 1998, racontant la dictature de Pinochet. La violence de la répression nous a pris de court, et de nombreux camarades ne pensaient plus qu’à se réfugier dans les ambassades étrangères. »

Après le coup d’État dirigé par Pinochet et activement soutenu par les États-Unis le 11 septembre 1973 contre le gouvernement d’Allende, la répression s’est abattue férocement contre les jeunes, les ouvriers et les militants de gauche. Un mois seulement après le coup d’État, on dénombrait déjà plus de 2000 morts (des chiffres certainement bien en deçà de la réalité) et plus de 5000 détenus dans le stade de Santiago, transformé en camp de concentration à ciel ouvert. Il s’agissait pour la junte militaire au pouvoir d’anéantir physiquement toute résistance, après une période de politisation et de poussée ouvrière intense – les travailleurs se coordonnant et s’organisant notamment au travers des cordons d’usines.

Guerre contre-révolutionnaire et torture, un savoir-faire français

Torture, viols, disparitions et assassinats : ces méthodes de guerre utilisées par l’armée chilienne contre celles et ceux qui relevaient la tête – ou qui en étaient soupçonnés – sont directement héritées du « savoir faire » français. Et elles continuent d’être appliquées aujourd’hui, dans une bien moindre mesure, pour tenter de mater la colère qui s’exprime dans la rue. Le documentaire Escadrons de la mort, l’école française, réalisé par Marie-Monique Robin au début des années 2000 relate comment les tortionnaires des dictatures d’Amérique latine – Argentine, Brésil, Chili… – ont été directement formés par l’armée française. Une méthode de « guerre contre-révolutionnaire » qui avait été appliquée en 1957 pour tenter de mater la lutte d’indépendance algérienne, et qui a été directement exportée dans les écoles des militaires sud-américains quelques années plus tard par des membres de l’OAS. Un accord secret entre la France et l’Argentine, qui implique le soutien direct de l’État français aux régimes militaires de l’Amérique du Sud dans les années 70 et 80.

Mais cette « guerre sale » visant à éliminer toute résistance dans le sang a également son pendant économique. Dans un article brossant le bilan des seize années de dictature de Pinochet, les journalistes de Libération déclarent : « Les “Chicago Boys” (qui placent la stabilité monétaire au centre de tout) trouvent dans la dictature un prodigieux laboratoire pour mettre en œuvre leur libéralisme sauvage : pas de grève, pas de syndicats, pas de contestation sociale et une police omniprésente. Dans un premier temps, les droits de douane sont supprimés en pratique et le Chili est inondé de produits étrangers. Suivent privatisations, licenciements collectifs, coupes claires dans les budgets de l’éducation et de la santé, chute vertigineuse des salaires. »

C’est le « miracle économique chilien » : la mise en place d’un modèle néolibéral brutal, que l’immense majorité de la population paye au prix fort. Aujourd’hui au Chili, 1 % de la population concentre un tiers des revenus du pays.

Les intérêts impérialistes de la France dans la région

Une marchandisation de services essentiels à la population que le président actuel revendique et renforce : privatisation de la santé et de l’éducation, retraite par capitalisation… « L’État agit comme intermédiaire, finance les banques pour qu’elles octroient des crédits aux étudiants, expliquait un chercheur dans les colonnes des Échos en 2017. En fait, le gouvernement subventionne complètement le secteur privé pour qu’il participe à ce marché de l’éducation. »

Et cette offensive néolibérale a particulièrement bénéficié à l’impérialisme français. En témoigne la présence au Chili de nombreux grands groupes français, tels qu’Alstom, Suez, Areva, Vivendi, Sanofi…

La privatisation de l’eau au Chili est un cas d’école. Elle a été permise par la loi nationale ouvrant le marché de l’eau sous la dictature, en 1981. Aujourd’hui, c’est le groupe français Suez, par le biais de sa filiale Aguas Andinas, qui domine le marché, avec 44 % des parts, rendant difficile pour certains secteurs de la population l’accessibilité à une ressource aussi précieuse que l’eau.

Ces relations étroites entretenues par le patronat français avec l’État chilien, directement héritées de la dictature militaire, ont été maintenues et renforcées sous la présidence de Piñera.

En mai 2018, le président du Conseil des Entrepreneurs franco-chilien du Medef racontait dans une interview : « M. Piñera a d’abord rappelé que le Chili accueillait à bras ouverts tous les investissements et en particulier les investissements français, qu’il était à l’écoute de tous les problèmes que pouvaient rencontrer les entreprises françaises et qu’il était là pour les aider à les surmonter. »

« No son 30 pesos, son 30 años »

En 2017 déjà, le politologue Recaredo Galvez expliquait aux journalistes des Échos que « le modèle néolibéral instauré par Pinochet s’est développé et renforcé en quarante ans. Mais il a atteint aujourd’hui ses limites, et on le voit à travers ces grandes mobilisations sociales ». Car la colère qu’expriment aujourd’hui la jeunesse chilienne et des secteurs du monde du travail au travers du soulèvement le plus important du pays depuis la dictature est précisément dirigé contre ce modèle économique et social, et ne date pas d’hier.

C’est une colère dirigée contre un modèle hérité du régime militaire et perpétué par les gouvernements successifs, avec la complicité des puissances impérialistes telles que la France et les États-Unis, dont les grands groupes capitalistes viennent piller les ressources du Chili et dans de nombreux autres pays.

C’est pourquoi, au-delà de la solidarité internationale exprimée à la population chilienne qui s’affronte à une répression brutale, il s’agit pour la jeunesse et les travailleurs en France de s’affronter à ceux qui sont responsables de la misère et la précarité, au Chili et ici. De dénoncer et combattre les liens sordides qui unissent l’État français aux tortionnaires chiliens, mais aussi les capitalistes rapaces qui ne cherchent qu’à augmenter leur profit au détriment de l’immense majorité de la population.

Crédits photo : Martin Bernetti / AFP


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