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« Emancipate yourself from mental slavery »

Débats en Grande-Bretagne. Peut-on décoloniser l’université ?

« They Kant be serious ». Voilà ce que titrait, il y a peu plus d'une semaine, le tabloïd londonien Daily Mail à propos de la campagne lancée par le syndicat étudiant de la prestigieuse SOAS (School of Oriental and African Studies) en faveur de la « décolonisation des enseignements » (« Decolonising the curriculum »). « Impossible », selon le Daily Mail. Ils ne « peuvent pas dire cela ». Et pourtant les revendications avancées sont des plus sérieuses. « Kant » aux réactions médiatiques, elles frôlent le ridicule.

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À l’occasion du centenaire de sa fondation en 1916 et de son inauguration par le roi George V, quelques mois plus tard, en 1917, la School of Oriental and African Studies (Ecole d’Etudes Africaines et Orientales) a été appelée par ses étudiants à réfléchir sur la portée de son histoire coloniale. Conçue à une époque de pleine expansion de l’empire, alors que les études orientales n’apparaissaient pas « comme un luxe » mais relevaient d’une « obligation impériale », désignant « la responsabilité la plus élevée reposant sur les épaules des ‘Englishmen’ », selon la célèbre formule du vice-roi des Indes, Lord Curzon, la SOAS avait été créée au début du siècle dernier pour accompagner les besoins de l’impérialisme britannique. Au cours du XX° siècle et à la suite de l’époque des Indépendances, l’Ecole, qui ouvrait ses portes le 18 janviers 1917, a diplômé des dizaines d’étudiants qui allaient être appelés à recouvrir d’importantes responsabilités, à l’instar de John Atta Mills, ancien président du Ghana, Luisa Diogo, ancienne Premier ministre du Mozambique, Bulent Ecevit, ancien premier ministre turc, Aung San Suu Kyi, figure centrale de la politique birmane, et bien d’autres.

« Decolonising SOAS : Confronting The White Institution » (Décoloniser la SOAS : affronter l’institution blanche »), voilà le titre du programme récemment adopté par le syndicat étudiant qui souligne la priorité de procéder à une reconsidération des enseignements offerts par l’institution. La proposition n’est pas anodine et fait écho au mouvement « Why is my curriculum white ? Why isn’t my professor black ? » (« Pourquoi mon programme est blanc ? Pourquoi mon prof n’est pas Noir »), lancé par le University College of London, il y a maintenant deux ans.

Les déclarations qui ont suscité les réactions enflammées des médias et des spécialistes concernent la revendication d’enseigner la pensée des philosophes blancs « d’un point de vue critique, » à savoir à partir d’une mise en contexte historique qui reconnaisse, dans le cas de la philosophie des Lumières, par exemple, sa contemporanéité et ses liens avec l’entreprise coloniale. Pour les étudiants de la SOAS, donc, il ne s’agit en rien de brûler les ouvrages de Kant et Descartes comme l’ont suggéré les gros-titres de plusieurs quotidiens britanniques, tout aussi alarmistes que ces journaux français qui hurlaient au racisme vis-à-vis de l’organisation du Camp décolonial, en août dernier, à Reims. Il s’agirait plutôt d’élargir le spectre des connaissances au sein du programme de licence consacré à la philosophie du monde en y incluant des voix méconnues ou moins connues des pensées non occidentales, en commençant par celle du philosophe arabe Avicenne jusqu’à celle du philosophe congolais Valentin-Yves Mudimbe en passant par les logiciens de la péninsule indienne des V° et XII° siècles, Dinaga Dinaga, Uddyotakara ou encore Gagesa.

En reponse aux revendications des étudiants, l’administration de la SOAS a mis en place un groupe de travail « Decolonising the University » avec la participation des étudiants, des enseignants et des personnels, pour approfondir la question. Les chiffres ministériels britanniques donnent, néanmoins, une idée du problème qui est pointé. Parmi les 1.800 professeurs d’université que compte la Grande-Bretagne, seuls 85 sont racialisés en tant que Noirs, dont 17 seulement sont genrées en tant que femmes noires.

Suffit-il de changer les programmes pour décoloniser les savoirs et transformer le monde universitaire ? Sans doute pas, mais le débat doit être posé.


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