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Etat d’exception permanent

Débats parlementaires sur les « dérapages » et la « plus-value » de l’Etat d’urgence

Mercredi à 18 heures, sur la chaîne Public Sénat de LCP, avait lieu un débat autour des travaux de la Commission de suivi de l’Etat d’urgence. Les membres de la commission avaient auditionné le matin même le Procureur de la République pendant plus d’une heure. Ils prévoient également d’entendre la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) sur ses critiques et les risques de dérives.

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Précédés par le témoignage d’un militant du NPA gardé à vue avec les 316 autres après la manif du 28 novembre, les échanges ont porté sur la vraisemblance des dérapages de justice et de police, l’analyse de la « plus-value » apportée par cet état d’exception et l’opportunité de le prolonger constitutionnellement ou d’en sortir ?

Des « dérapages », il y en a…

En appel au débat, le témoignage d’Hervé, ancien informaticien retraité, militant du NPA qui a fait partie des 317 gardés à vue à l’issue de la manifestation du dimanche 28 novembre sur la place de la République à Paris. Il souligne « l’arbitraire des interpellations » qui ont eu lieu ce soir-là. Il rappelle que les manifestants ont été interpellés sur des motifs complètement différents, pour participation à des attroupements, pour participation à une manifestation interdite, ou pour « violence », avec armes, ou sans armes… tous ont été ramassés en même temps, sans distinction. Hervé, quant à lui, ne connaît toujours pas la raison de son interpellation.

Il dénonce les conditions dans lesquelles lui et ses camarades ont été traités, « comme de vulgaires voleurs ou assassins ». Révolté et décidé à continuer à se battre contre cet état de choses « qu’on n’aurait pas pensé possible de la part d’un gouvernement socialiste », il se déclare prêt, à agir en justice.

L’avocat d’Hervé, Antoine Comte, dénonce l’absence totale de contrôle sur les mesures administratives. « Aucun contrôle amont, aucun contrôle aval », c’est ça l’état d’urgence. Il en cite pour preuve le cas typique de ces personnes à qui l’on ne reproche rien et qui se retrouvent en garde à vue à plusieurs centaines, alors que seulement deux d’entre elles feront finalement l’objet de condamnations. Il s’agit d’un « véritable dévoiement des procédures » destiné à ficher les militants.

Des « dérives quasi inévitables » sous un état d’urgence

Montant au créneau, Alain Richard, vice-président (PS) de la commission des lois campe sur un juridisme frisant la mauvaise foi. Il reconnaît que « certaines personnes » ont considéré « qu’il n’y avait pas matière » pour user de telles procédures. Mais pour l’instant, selon lui, les témoignages ne sont que des « allégations » puisqu’ils n’ont pas été déposés « sous la foi du serment ». Le Ministre de l’Intérieur aurait d’ailleurs fourni « des contre-versions assez convaincantes ». De plus, allègue-t-il, il existe la possibilité de recours et peu nombreux sont les cas.

En réponse, Olivier Beaud, professeur de droit public à Paris II, nuance le propos. Bien sûr, il existe la possibilité de recours et de référés. Mais il faut reconnaître qu’il est assez difficile de déposer un recours sous l’état d’urgence et « l’on ne peut pas déduire des non-recours l’absence d’abus ». 317 mises en garde à vue, 2200 perquisitions, 350 assignations à résidence, le nombre des procédures d’urgence et la totale liberté laissée aux préfets et forces de police ont inévitablement généré des erreurs et des abus.

Un consensus pour en sortir…

Finalement, personne parmi les participants n’ose légitimer jusqu’au bout un état d’urgence qui s’éterniserait. Ils se livrent alors à un curieux calcul bénéfices/risques, qui correspond à ce que le jargon de la commission appelle sa « valeur ajoutée ». De quoi s’agit-il ? On nous explique que le Sénat a pour objectif la « proportionnalité des mesures » : « 130 morts en 6 ou 7 points d’impactn’ont pu être empêchés faute de maîtrise d’informations. On ne va pas recommencer » affirme Alain Richard. Ce constat justifie des mesures d’exception et des investigations dans les endroits où l’on a de bonnes raisons de penser que des préparatifs « terroristes » se trament.

Un garde-fou contre les dérapages, l’encadrement de l’Etat d’urgence et le contrôle qui est justement l’objet de la Commission de Suivi. Olivier Beaud, professeur de droit public, se montre plus confiant dans un contrôle parlementaire que dans un contrôle administratif dont les résultats ne sont jusqu’ici pas probants. Il faudra examiner les cas dans lesquels les pouvoirs publics font obstacle aux mouvements des personnes et plus largement aux libertés individuelles

Le président du groupe RDSE au Sénat, quant à lui, tire la sonnette d’alarme : « Attention à ne pas utiliser cette situation pour nous faire vivre durablement dans un état d’urgence. Il est difficile de justifier à long terme des atteintes aux libertés individuelles.

Sortir de l’Etat d’urgence semble donc s’imposer à plus ou moins brève échéance. Mais quand ? « Sortir de l’état d’urgence quand il s’agit d’une calamité naturelle et qu’elle est terminée, c’est facile… Mais qui pourra dire qu’il n’y a plus de risques de terrorisme ? C’est beaucoup plus compliqué… » s’interroge l’un des participants.

…Mais à quel prix pour nos libertés ?

Un état d’urgence est par définition temporaire et ne peut pas se substituer à la législation habituelle. On comprend donc, vers la fin du débat, que si les objectifs de limitation des mouvements, de surveillance des informations et des personnes demeurent, il faudra les faire passer de procédures d’exception à l’état de dispositions légales d’application permanente.

L’un des participants suggère que cela pourrait passer par des modifications du code de procédure pénale sur des actes tels que les perquisitions, les fouilles de véhicules, les contrôles d’identité, etc… Une manière de faire entrer par la petite porte des restrictions de liberté individuelles sans devoir nécessairement passer par une révision de la constitution pour y inscrire l’Etat d’urgence mais sans l’interdire non plus.

Le mot de la fin revient au plus sceptique et sans doute au plus réaliste des débatteurs. De toute façon, les terroristes apprendront vite à contourner les mesures et une modification de la constitution ne sera sûrement pas une garantie contre ses attaques.

Mais alors, qui visera encore l’Etat d’urgence passé dans les mœurs policières et juridiques au quotidien… peut-être bien les 317 manifestants interpellés place de la République et d’autres encore qui ne renonceront pas à lutter, à défendre leurs droits, et à manifester.


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