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Macronisme

« Décivilisation ». Après « l’ensauvagement », le nouvel emprunt de Macron à l’extrême droite

Avec la « décivilisation », Macron a trouvé un nouvel élément de langage pour criminaliser le mouvement social. Tout droit sorti des tiroirs de l’extrême droite, le terme annonce une offensive xénophobe et sécuritaire qui donne du grain à moudre à LR et au RN.

Seb Nanzhel

27 mai 2023

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« Décivilisation ». Après « l'ensauvagement », le nouvel emprunt de Macron à l'extrême droite

Crédits photo : capture d’écran BFMTV

« Décivilisation ». C’est la dernière trouvaille sémantique de Macron dans sa recherche effrénée d’une porte de sortie à la crise politique ouverte par la réforme des retraites. En conseil des ministres mercredi, il a distillé l’élément de langage, expliquant que « depuis maintenant un certain temps et dans l’ensemble des pays, il y a une forme de mouvement de décivilisation » et qu’il « faut être intraitable sur le fond. Aucune violence n’est légitime, qu’elle soit verbale ou contre les personnes. Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation ».

La formule aurait été glanée par Macron mardi au cours d’un repas avec le sociologue Jean Viard, l’économiste Philippe Moati, le directeur du département opinion de l’IFOP Jérôme Fourquet, ainsi que le journaliste Jean-Laurent Cassely. Au cours de cet entretien de haut vol, on apprend entre autres que Macron évalue les tendances sociales à l’œuvre sur le territoire à partir de l’exemple de ses voisins du Touquet, que « [l’]on entre dans la civilisation écologique » (Jean Viard) ou encore qu’« aujourd’hui, le bonheur, c’est ici et maintenant, […] Si on ne peut pas payer des Nike ou du Nutella, on est un cassos » (Jérôme Fourquet). C’est ce dernier grand esprit qui aurait informé Macron « des tensions dans tous les segments de la société », et qu’un « processus de décivilisation s’enclenche ».

Une formule qui a provoqué un déclic chez Macron. Dès le lendemain, il s’est rendu en dernière minute à Calais. La cérémonie d’hommage aux policiers tués en service a ainsi été l’occasion pour le président de dresser le tableau d’un État et de ses représentants assiégés par cette « décivilisation ». Discours grave et sobre, légions d’honneur, et air martial ont permis au chef de l’État de lier plusieurs actualités récentes (mort de policiers en service donc, meurtre d’une infirmière lié avant tout au manque de moyens en psychiatrie, attentat d’extrême droite contre le maire de Saint-Brévin…). Un tableau créé de toutes pièces à des fins réactionnaires.

La suite de l’agenda de Macron annonce par ailleurs la couleur : paré de son nouvel élément de langage, Macron a prévu une visite au Mont Saint Michel, sur les plages du département ou encore au Mont Valérien. De grands moments d’unité nationale autour de leçons présidentielles d’histoires sont à prévoir, le tout au service d’une offensive sécuritaire, xénophobe et de criminalisation du mouvement social.

Autant d’éléments qui sont au centre de la stratégie de Macron pour clore la séquence des retraites, mais dans laquelle l’adoption de cette formule de « décivilisation » marque un nouveau saut. En avançant brutalement sur ces terrains, Macron tente de couper l’herbe sous le pied de LR et du RN. Dans son zèle à concurrencer l’extrême droite sur son terrain de prédilection, Macron va jusqu’à se réapproprier les thèses racistes et complotistes d’un Renaud Camus, dont l’un des livres porte le titre « décivilisation ». Ce n’est pas la première fois que la macronie va puiser l’inspiration du côté des théories d’extrême droite : en 2020, Darmanin avait ainsi justifié un durcissement sécuritaire en invoquant « l’ensauvagement » de la société quand Macron citait le théoricien antisémite de l’Action Française Maurras devant ses députés

Des emprunts qui sans surprise ont plutôt un effet d’appel d’air. Le RN et LR se sont en effet immédiatement emparés de la formule de « décivilisation » pour surenchérir.

Le Pen a ainsi déclaré jeudi sur CNEWS : « La décivilisation, c’est la barbarie (…), donc en réalité, Emmanuel Macron vient, une fois de plus, si je puis me permettre, de nous donner raison sur le constat que nous faisons », quand le président des Républicains Eric Ciotti a affirmé : « Au-delà des mots dont M. Macron est adepte, quels sont les actes ? Nous avons besoin d’une politique de civilisation qui préserve notre identité. Il faut qu’il écoute nos propositions que nous avons formulées, notamment en matière d’immigration. » Un jeu de course au plus réactionnaires entre Macron et LR/RN, qui s’illustre par exemple dans la surenchère xénophobe en cours autour de la loi immigration.

Mais si la manœuvre autour de la « décivilisation » comprend des batailles sur le terrain parlementaire, elle vise avant tout à criminaliser le mouvement social et à avancer un agenda sécuritaire à l’encontre de ce dernier. Le tout mâtiné d’un discours d’union nationale contre les extrêmes. Les députés Renaissance Jean-François Lovisolo et Karl Olive ne disent pas autre chose dans leur tribune « Nos institutions républicaines sont aujourd’hui remises en cause par des éléments radicaux », qu’ils ont publié vendredi dans Le Monde. Elle s’achève sur un discours d’unité nationale complété par des menaces sur le terrain sécuritaire : « Réagissons avec des réponses législatives fortes. Un choc pénal s’impose, fondé sur des sanctions renforcées, exemplaires et effectives ».

Les menaces ne sont même pas voilées et le discours est clair. En plus d’une surenchère xénophobe et sécuritaire avec le RN/LR, Macron prépare un durcissement répressif et judiciaire à l’encontre du mouvement social, le tout justifié par le discours de la « décivilisation ». Une offensive face à laquelle le mouvement social doit s’organiser en coordonnant la solidarité face à la répression, en refusant le discours d’union nationale porté par Macron et en s’opposant à l’attaque xénophobe de la loi immigration. Cette nouvelle séquence vient également illustrer, après Saint Brévin, que la lutte contre l’extrême droite ne peut être réalisée qu’en indépendance totale de ce gouvernement qui lui sert la soupe.


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