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Non à la criminalisation des luttes !

"Délit d’entrave" : le gouvernement profite de la crise pour préparer la répression des luttes étudiantes

Un amendement de la LPR veut rendre les mobilisations étudiantes passibles d'une peine allant jusqu'à 3 ans de prison. Cette mesure liberticide s'inscrit dans le tournant répressif et sécuritaire opéré par le gouvernement, qui prépare l'après-confinement et redoute une explosion sociale.

Anna Bronstein

12 novembre 2020

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Le projet de Loi de Programmation de la Recherche constituait déjà en soi une attaque importante contre le monde de la recherche et les conditions de travail des universitaires : mise en concurrence grandissante des laboratoires, concentration des moyens au sein de l’Agence Nationale de Recherche au détriment de certains centre de recherches, introduction de « parcours de titularisation » externes au système universitaire et renforcement des contrats de recherche précaires... Autant de mesures contenues dans cette loi dont la logique est de pousser à investir dans des projets de recherches rentables pour le patronat plutôt que socialement utiles, et qui place les chercheurs en concurrence les uns avec les autres en accroissant la sélection, la mise en compétition et la précarité du métier.

Ce projet de loi a été fortement contesté par le milieu universitaire au début de l’année 2020, période à laquelle il devait initialement être adopté. A tel point que les enseignants-chercheurs et les précaires des universités se sont organisés et mobilisés massivement pour la première fois depuis des années, au travers notamment de la coordination des facs et labos en lutte. La journée de mobilisation du 5 mars, appelée « journée fac morte », avait marqué le point culminant de la contestation contre la loi de programmation de la recherche. Mais la crise sanitaire et le confinement annoncé peu de temps après sont venus mettre un coup d’arrêt à cette dynamique de lutte au sein des universités.

A l’instar d’autres dossiers épineux, le gouvernement a profité de la sidération provoqué par la situation sanitaire et économique aggravée pour tenter de faire adopter au plus vite la LPR. Et alors qu’enseignants et étudiants étaient maintenus la tête sous l’eau par une rentrée désastreuse sur tous les plans, obligés d’organiser tant bien que mal des cours présentiels ou distanciels sans moyens supplémentaires, la loi était adoptée en première lecture à l’assemblée dans la nuit du 23 au 24 septembre, puis par le Sénat le 30 octobre.

Une précarisation du monde de la recherche qui s’accompagne d’une offensive répressive contre les luttes étudiantes

Mais l’attaque déjà importante que constitue la LPR contre le monde de la recherche s’est doublée d’une offensive idéologique et répressive d’ampleur, qui se cristallise dans l’amendement 147 de la loi proposé par le Sénat, retenu et aggravé par la commission mixte paritaire (réunissant sénateurs et députés) qui a rendu son rapport le 9 novembre. Cette modification du Code Pénal stipule que « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité […] ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement » est passible d’un an de prison et de 7 500 € d’amende – et jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour des faits commis en réunion.

En d’autres termes, non contents de précariser et privatiser toujours plus la recherche, le gouvernement veut désormais accroître l’arsenal répressif dont il dispose pour faire taire toute contestation étudiante. Alors que la force des mobilisations étudiantes est précisément leur capacité à se lier à d’autres secteurs – les cheminots en 2018 par exemple, ou encore les grévistes contre la réforme des retraites à l’hiver dernier – le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche appuie sur le fait que cette nouvelle disposition vise particulièrement « tous les groupuscules extérieurs qui, en période de contestation étudiante, se greffent à ces mouvements et en profitent pour troubler l’ordre public au sein des universités », selon les journalistes de Ouest-France. Une mesure déjà largement décriée, notamment par la coordination Fac et labos en lutte qui dénonce une « criminalisation, qui entend nous faire passer de l’université au pénitencier ».

Un amendement dans la lignée de l’offensive sécuritaire et répressive menée par le gouvernement

Cet amendement, qui vise à museler par anticipation toute contestation à l’université et à criminaliser les luttes étudiantes, ne constitue pas une attaque isolée. Il s’inscrit dans un contexte de tournant à droite important, caractérisé par le discours sécuritaire du gouvernement et une pluie d’attaques contre nos droits démocratiques. Entre autres mesures liberticides, la dissolution de l’ONG musulmane Baraka City, le spectre de la loi Avia retoquée par le Conseil constitutionnel car constituant un dangereux outil de censure sur Internet, et encore plus récemment la loi de Sécurité globale qui comporte entre autres l’interdiction de filmer et diffuser des images de policiers et gendarmes en exercice et accroît les outils de surveillance de masse (drones, caméras embarquées et possible recours à des logiciels de reconnaissance faciale en direct).

L’ensemble de cette offensive réactionnaire s’appuie sur un contexte de crise économique et sanitaire sans précédent, sur une instrumentalisation islamophobe des terribles attentats de Conflans et de Nice pour justifier une augmentation des moyens alloués à l’appareil répressif, et vise surtout pour le gouvernement à préparer l’après-confinement.

Dans les Échos, l’éditorialiste Cécile Cornudet relevait le 3 novembre l’inquiétude de l’exécutif ayant conscience que « les secteurs sacrifiés pour sauver le plus grand nombre sont menacés de basculer. Que certains publics, déjà fragilisés par la première vague, risquent de l’être d’autant plus : indépendants, jeunes en mal de petits boulots, petits salariés qui faisaient des extras. Et ce, sans parler du risque de chômage qui montera quand l’État ne pourra plus soutenir entreprises et salariés à bout de bras. »

La jeunesse est en effet en première ligne de nombreuses attaques en cours et à venir. Une récente note l’INSEE révèle que, « étant les plus à risque d’occuper des emplois temporaires, les jeunes récemment entrés sur le marché du travail ont été les premières victimes de la chute brutale de l’activité économique ». Lors du premier confinement, près de 10% des moins de 25 ans ont perdu leur emploi. Outre la précarité économique, matérielle et numérique, une récente enquête de Mediapart révèle également la détresse psychologique et l’augmentation du stress chez les étudiants, qui doivent composer avec le manque de moyen, la pression universitaire et un avenir professionnel plus qu’incertain. Frédéric Atger, docteur dans un Bureau d’aide psychologique universitaire, témoigne : « En temps normal, on a tous des listes d’attente. En période de crise, on est débordés. Le nombre d’appels a été multiplié par quatre et on ne pourra pas s’occuper de tout le monde. »

Dans cette perspective, les classes dominantes prennent leurs dispositions et préparent « le monde d’après » en renforçant leur arsenal répressif, avec la conscience que « le malaise va éventuellement tourner en protestation » comme l’expliquait le politologue Pascal Perrineau dans l’émission C’dans l’air.

Si les luttes étudiantes sont visées et criminalisées par anticipation dans cette nouvelle mouture de la LPR, c’est parce que la jeunesse a déjà démontré sa combativité et son potentiel explosif. En 2018, les étudiants mobilisés contre la sélection à l’université étaient le premier secteur social à relever la tête après l’élection d’un Macron qui se voulait tout-puissant. Aujourd’hui, ce sont les lycéens qui se battent pour étudier dans des conditions sanitaires acceptables, malgré la terrible répression policière dont ils sont victimes.

Alors que le gouvernement prépare déjà l’après-Covid, à coups de mesures liberticides et de répression féroce, préparons nous aussi le monde d’après, en défendant le droit de s’organiser, de manifester, en revendiquant la liberté de presse et en refusant de payer la crise !


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