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CASSE DE L'HÔPITAL PUBLIC

Déprogrammations à l’hôpital public : faute de moyens, les soignants obligés de trier les patients

Alors que la troisième vague fait atteindre des niveaux particulièrement inquiétants sur la saturation des places en réanimation dans les hôpitaux publics, le gouvernement exige de nouveaux sacrifices de la part des hospitaliers. Les ARS ont exigé un seuil de déprogrammations d'opérations non-covid, pour pouvoir libérer des places et du personnel, ce qui a des conséquences graves.

Petra Lou

2 avril 2021

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Face au pic de la troisième vague et la saturation des hôpitaux, les Agences Régionales de Santé (ARS) ont procédé à des déprogrammations d’un certain nombre d’opérations chirurgicales pour les semaines à venir, pour libérer des places face à l’afflux des malades de la Covid. En Île-de-France, l’ARS a donné pour consigne la déprogrammation de 50% des activités des hôpitaux et des cliniques, mais nécessite la déprogrammation de 80% des activités de santé selon 20 Minutes, avec l’objectif chiffré d’augmenter de 100% le nombre de lits de réanimation. Dans les Pays de la Loire, ce sont 20% des opérations chirurgicales qui ont été déprogrammées, dont Saint-Nazaire 40%. Ces déprogrammations sont mises en place dans l’objectif de libérer des places dans les blocs opératoires, mais aussi du personnel, en cruel manque face au pic épidémique. Fin mars, le taux d’occupation des services de réanimation était de 89,6% en PACA, dont le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône atteignant un pic à 95,2% et 91,2%, bien qu’on ait assisté à une légère diminution selon les chiffres de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille.

Ces déprogrammations d’urgence commandées par les différents établissements ARS arrivent dans un contexte où après un an de crise sanitaire, la situation reste critique, les places limitées, les hôpitaux saturés, et la courbe de l’épidémie maintient son augmentation. Un sondage de l’Institut Viavoice pour France Assos Santé en novembre 2020 montrait que près de la moitié des Français avaient eu des soins annulés ou reportés depuis le début de la crise. Parmi eux, 56% n’auraient pas eu de solution alternative, et 24% témoignent d’une aggravation de leurs symptômes et de leur état de santé.

Casse-tête à l’hôpital : saturation et tension dans le public, où le tri des patients s’impose face au manque de moyens

Dans une tribune publiée le 27 mars, 41 directeurs médicaux de crise qui gèrent l’urgence dans les 39 hôpitaux de l’AP-HP tirent la sonnette d’alarme : « Nous serons contraints de faire le tri des patients ». Une situation intolérable qui contraint celles et ceux qui nous sauvent la vie de trier les patients par manque de moyens : l’hôpital public se trouve dans un état de gravité catastrophique. « On est conscient qu’on va arriver à cette phase de tri. On sait que ça va être difficile. L’un de nos médecins est en contact avec un médecin d’Italie qui l’a prévenu : ils entassent les corps dans les églises, c’est une hécatombe, il faut qu’on se prépare.  » expliquait Laurent, un médecin de l’hôpital de Perpignan interviewé par Mediapart. Selon la tribune des directeurs médicaux, une dizaine de jours suffit seulement pour arriver à bout des capacités de prise en charge de l’AP-HP. Le professeur Xavier Capdevila, chef du département d’anesthésie-réanimation au CHU de Montpellier déclare que « l’on aura à choisir entre un patient Covid de 74 ans qui doit aller en réa et un autre patient non Covid de 74 ans qui a un choc septique sur une pyélonéphrite et qui doit aussi aller en réa  »

Face à l’épidémie, le « plan blanc », organisation de l’hôpital en situation exceptionnelle, a été mis en place dans la majeure partie des hôpitaux publics, qui révèle à demi-mot que dans de nombreuses infrastructures, les capacités de prise en charge sont insuffisantes. En effet, un rapport « de priorisation de l’accès aux soins critiques dans un contexte de pandémie » a été commandé par le gouvernement, où il est écrit que « quatre catégories de patients vont mourir » : les morts inévitables, les morts évitables, les morts acceptables, les morts inacceptables. Autrement dit, l’hôpital public ne pourra pas sauver tout le monde, et ces macabres choix se feront au fil des saturations des hôpitaux.

Une situation catastrophique, qui s’accompagne d’un manque de moyens criant qui ralentit de fait l’ouverture de nouveaux lits en réanimation, mais aussi le manque de personnel, celui-ci déjà au bord du gouffre face à une épidémie dont ils ne voient pas le bout du tunnel. Les exigences commanditées par le gouvernement et les ARS d’augmenter les places en réanimation poussent les hospitaliers à bout de leurs forces, de par le manque de moyens structurel à l’hôpital public. Au centre hospitalier de Melun, 52 lits de réanimation sont mis en place, mais pour y parvenir l’hôpital a dû déprogrammer plus de 50% des opérations chirurgicales non covid. Mais pour ouvrir des nouveaux lits, c’est la charge de travail du personnel qui a considérablement augmenté. Moins de jours de repos, congés annulés : « On a des gardes de 12 heures, on n’a plus de répit en fait. On se sent épuisé, on ne tient plus qu’avec les nerfs je pense  » raconte une infirmière de l’hôpital de Melun au micro d’Europe 1.

Déprogrammations : dans la cinquième puissance mondiale, on ne peut pas soigner tout le monde

Jérôme Marty, président du Syndicat Union Française pour une médecine libre, rationalise : « techniquement, ce sont les opérations les moins urgentes qui sont déprogrammées en premier ». Mais il alerte tout de même « on finit fatalement par déprogrammer des opérations de plus en plus importantes » : un choix qui devient de plus en plus difficile à prendre, quand on sait que certaines opérations ont été reportées depuis plus d’un an.

Parmi ces patients, dont de nombreux cas de cancer, c’est une situation de plus en plus inacceptable, avec des opérations reportées qui aggravent les pathologies. Une patiente anonyme témoigne sur 20 Minutes : « On est la poussière cachée sous le tapis. Sous prétexte qu’on ne va pas mourir de suite, on se fiche bien de notre sort.  » Selon une étude de la fédération Unicancer, les retards de diagnostics et prises en charges des patients ayant le cancer, pour seulement la première vague de Covid, pourraient causer un excès de décès de 1000 à 6000 patients dans les années à venir. Selon la Ligue nationale contre le cancer, 93000 dépistages n’ont pas pu être menés en 2020 avec la crise sanitaire. Et malheureusement, c’est le cas pour un grand nombre d’autres maladies, qui passent au cran d’en dessous des priorités.

Une situation intolérable dont l’État est responsable

Tri des patients, déprogrammations, personnel hospitalier à bout de nerfs, voilà les conséquences d’années de coupes budgétaires, de réformes néolibérales des gouvernements successifs. Pendant que Macron continue de verser son mépris envers les personnels hospitaliers en lui exigeant plus de sacrifices, il refuse tout mea culpa mais en plus donne la responsabilité de la lenteur des prises en charges, d’ouvertures de lits, et de la campagne de vaccination au personnel. Aujourd’hui les hôpitaux publics sont obligés de faire le tri entre les patients, et de déprogrammer des activités et opérations, laissant parfois mourir certains patients « non-urgents ». Et ces choix macabres qui sont imposés aux hospitaliers, c’est le gouvernement, dont la gestion depuis la première vague s’est avérée un véritable fiasco, mais aussi toute la casse de l’hôpital et en général l’austérité dans les services publics qui a été organisée ces dernières décennies qui en est responsable.

Aujourd’hui, il est urgent de revendiquer des augmentations de salaires, des embauches et des moyens massifs dans l’hôpital public, qui souffre de saturation à bloc. Alors que les déprogrammations contraignent souvent les patients de se tourner vers le privé, et donc de payer des honoraires plus salés, il est plus que jamais nécessaire d’exiger que le privé devienne public, car la santé et la vie de la population ne doit pas être lucratives, mais aussi de centraliser l’ensemble sous le contrôle des soignants, du personnel en général de l’hôpital, car ce sont elles et eux, la première ligne, qui sait mieux que ce gouvernement irresponsable les mesures et moyens nécessaires pour mettre un terme à l’épidémie.


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