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Enseignement supérieur

Des universités s’opposent à #BienvenueEnFrance. Cela va-t-il empêcher les frais d’inscription d’augmenter ?

Plusieurs présidences d'université ont pris position contre l'augmentation des frais d'inscription pour les étudiants étrangers, assurant qu'elles ne les augmenteraient pas à la rentrée 2019, contrairement à la volonté du gouvernement. Cela va-t-il suffire pour empêcher les frais d'inscription d'augmenter ? Pour réellement empêcher la mesure, il faudra s'inspirer des Gilets Jaunes.

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Malaise dans les universités et forcing du gouvernement

En novembre 2018, le gouvernement a annoncé la multiplication par 16 des frais d’inscription pour les étudiants étrangers venant hors d’Union Européenne. Cette mesure discriminatoire, et par ailleurs préparant une hausse généralisée des frais d’inscription à l’ensemble des étudiants, avait alors suscité une levée de boucliers dans de nombreuses facs. Alors que plusieurs assemblées générales avaient réuni des milliers d’étudiants dans diverses universités avant les vacances de décembre, commence également à se manifester une opposition institutionnelle à cette mesure. Ce sont notamment les présidences de Lyon 2, Clermont Auvergne, Aix-Marseille, Toulouse 2, Nanterre, Angers et Rennes 2 qui ont affirmé refuser la mise en place de l’augmentation des frais d’inscription pour l’année 2019-2020, et demandent l’ouverture d’une large concertation. Ces annonces font écho au positionnement public de la Conférence des Présidences d’Université (CPU), qui demande une suspension de la mesure, ainsi que l’ouverture d’une « concertation » à son sujet. Loin de s’affirmer résolument contre la mesure, les présidences remettent donc surtout en question le caractère « précipité » de celle-ci, et le fait de ne pas avoir été consultées.

Pour « refuser » l’application de la mesure à la rentrée 2019, les présidences en question envisagent comme solution « technique » de s’appuyer sur un décret paru en 2013, qui permet aux établissements d’exonérer de frais d’inscription certains étudiants, dans la limite de 10% des inscrits. Problème : dans de nombreuses universités, la proportion d’étudiants étrangers est supérieure à 10%.

Cette crise témoigne de l’approfondissement du malaise que traversent les universités, après plusieurs décennies d’application des mesures austéritaires et néolibérales, visant à restreindre l’accès aux facs, les élitiser et les adapter aux besoins des grandes entreprises françaises. Cependant, ces réactions de la part de présidences qui ont accompagné sans vergogne la répression de la mobilisation du printemps 2018 contre la loi ORE et la sélection à l’entrée de l’université ont de quoi faire douter quant à la sincérité de leur motivation.

Tentatives de dévier de possibles mobilisations et logiques court-termistes

Face à cette opposition de la part des administrations universitaires, réfractaires à l’idée de risquer un nouveau mouvement étudiant quelques mois seulement après la mobilisation contre la loi ORE, le gouvernement a changé de braquet. Il a en effet annoncé une « concertation », tout en précisant que celle-ci « n’a pas vocation à être remise en cause dans son principe comme dans son calendrier ». Cette « concertation », au moins aussi « démocratique » que le Grand débat national, sera animée par cinq personnalités choisies par le gouvernement... Face à cette mascarade, la CPU, sous pression d’un potentiel mouvement ainsi que de la réaction de nombreux enseignants, a produit un nouveau communiqué, réaffirmant sa volonté de suspendre l’augmentation des frais d’inscription.

La réaction du gouvernement a été pour le moins « dure » sur la forme, la ministre de l’enseignement supérieur ayant été jusqu’à rappeler aux universités leur « devoir d’obéissance et de loyauté » lors d’une allocution à l’assemblée nationale. Cependant, il serait trop rapide d’interpréter ces altercations comme une divergence stricte d’intérêts entre gouvernement et présidences d’université. En effet, au-delà de ce durcissement sur la forme visant à rappeler à l’ordre des administrations qui osent rendre publiques des divergences politiques, dans un contexte où l’État doit serrer les rangs contre la possibilité de la généralisation du mouvement social en cours, la ministre et les présidences d’université jouent un rôle beaucoup plus trouble qu’il n’y paraît.
En effet, dans le cadre de la pseudo-concertation lancée par le gouvernement, Frédérique Vidal demande aux universités "d’identifier leurs besoins" afin d’ "augmenter le plafond réglementaire limitant le volume d’exonération", aujourd’hui fixé à 10 %, ce qui rendrait techniquement possible l’accueil à la rentrée 2019 dans certaines facs des étudiants n’ayant pas les moyens de payer les 2770 à 3770 € dorénavant exigés aux étrangers hors-UE pour s’inscrire.

L’intérêt de cette « concession » de la part de la ministre ? Plutôt que de faire passer en bloc la mesure, laisser la possibilité exceptionnelle à certaines universités d’exonérer les nouveaux arrivants en 2019, pour qu’elles finissent par ne plus avoir d’autre choix que de s’adapter d’elles-mêmes à la hausse des frais d’inscription. Comment quelques universités exonérant les étudiants étrangers pourraient-elles tenir quand toutes les autres auront multiplié les frais d’inscription par 16 ? Face au manque criant de moyens alloués par l’État, celles-ci n’auront alors d’autres choix que de se résoudre à cesser d’exonérer elles aussi, faute de budget pour accueillir tout le monde.

Le gouvernement effectue un chantage qui est dorénavant des plus clairs : les universités doivent accepter le fond du décret, l’augmentation des frais d’inscription ainsi que son application dès 2019, en participant à la « concertation » bidon, et le ministère donnera la possibilité d’arrangements techniques locaux pour aider à faire passer la pilule si besoin est.

En ce sens également, et pour renforcer la « carotte » à accepter l’augmentation des frais, un « label » est mis en place par Campus France (structure gouvernementale chargée de trier les étudiants étrangers), dont l’objectif est de faire bénéficier de financements (ridicules par ailleurs, à hauteur de 10 millions d’euros au total, soit une goutte d’eau dans l’océan du manque de moyens des universités françaises) aux établissements qui rempliront remplir « 10 engagements clés » souhaités par le gouvernement et visant à libéraliser encore davantage les universités.

Accepter les exonérations fac par fac, c’est accepter la hausse des frais

Si le positionnement des conseils d’administrations des universités pour que la mesure ne soit pas appliquée localement est un minimum, on comprend bien qu’il s’agit de mesures de très court terme, intenables sur la durée par quelques universités « réfractaires ». Ce n’est par ailleurs pas pour rien que le président de l’université clermontoise Mathias Bernard a affirmé : « Nous changerons peut-être d’avis l’an prochain, mais là c’est précipité ». Ces positions ne doivent pas devenir des refuges pour les administrations et les enseignants opposées au décret. Si ceux-ci se veulent conséquents avec leur volonté d’empêcher l’augmentation des frais d’inscriptions, il n’y aura pas de raccourcis locaux possibles.

Depuis de nombreuses années, la mise en concurrence des universités entre elles pousse les communautés universitaires à accepter toutes les réformes et restructurations néolibérales par « pragmatisme », réalisme, à l’image de Parcoursup et de la sélection sur dossier. Combien de temps les rares universités qui se sont opposées à la sélection des bacheliers en 2018, alors que la réforme est appliquée partout ailleurs, pourront-elles tenir, voyant le nombre d’étudiants s’y inscrivant exploser tandis que les moyens continuent de manquer cruellement ? Face à l’intransigeance du gouvernement, la seule issue pour faire retirer le projet est la mobilisation nationale, pour l’ouverture des universités, leur gratuité et des moyens à la hauteur des besoins dans les services publics. L’augmentation des frais d’inscription doit être retirée dans son intégralité, car elle n’est ni aménageable localement, ni négociable.

Il n’y a plus d’excuses, les Gilets Jaunes sont en train de montrer que Macron peut être battu

Le cycle des défaites passées fait peser un lourd scepticisme dans tous les « collèges » universitaires (personnels administratifs, enseignants, étudiants,..) quant à la possibilité de faire reculer les volontés néo-libérales d’un gouvernement. En conséquence, les réactions à l’attaque historique que constitue l’augmentation des frais d’inscription restent très timides, notamment dans le corps enseignant. Au-delà d’une opposition formelle, de quelques tribunes signées et d’une résistance institutionnelle à l’image de la CPU, la réponse du point de vue de la mobilisation reste en-deçà du nécessaire pour pouvoir réellement barrer la route au gouvernement.

Or si Édouard Philippe a annoncé l’augmentation des frais le 19 novembre, le gouvernement était loin de s’attendre à ce que le mouvement des Gilets Jaunes l’ébranle à ce point. Ce dernier, par ses méthodes, sa radicalité et son caractère massif, a été en mesure d’obtenir des concessions (bien que partielles) de la macronie, ce qu’avait été strictement incapable de faire le mouvement syndical institutionnalisé depuis le début de la crise de 2008. Plus encore, il est en train de faire la preuve qu’il est possible de faire trembler l’ordre néolibéral, bousculant profondément l’agenda de Macron et remettant en question les méthodes qui ne cessent de démontrer leur incapacités totale à s’opposer à quelque réforme antisociale que ce soit : celle des négociations institutionnelles. Les Gilets Jaunes montrent que l’on peut cesser de discuter le poids des chaines, d’accepter le jeu de concertations biaisées dont les gouvernements libéraux ne peuvent sortir que gagnants, à l’image de la « concertation » sur les frais d’inscription, qui ne peut pas discuter... des frais d’inscription.

Pour arrêter Macron, il va falloir se lier au mouvement en cours et s’en inspirer. La première étape doit être le refus total de la part des organisations, tant syndicales professionnelles qu’étudiantes, ainsi que des administrations d’universités, de la pseudo-concertation voulue par le gouvernement. Seule une mobilisation d’ampleur pourra l’arrêter. Mais pour ce faire, il faudra également que les enseignants arrêtent de se cacher, tantôt derrière un « pragmatisme » qui revient à l’acceptation de la destruction de l’enseignement public, tantôt derrière les mobilisations étudiantes, et maintenant derrière l’ « impureté » du mouvement des Gilets Jaunes. Les universitaires qui se font le relais de la propagande médiatique et gouvernementale, qualifiant les gilets jaunes de « rouges-bruns » et autres proto-fascistes, sont en train de construire le principal obstacle à une mobilisation de masse pour l’enseignement supérieur gratuit et ouvert à toutes et tous, et plus généralement pour que des moyens à la hauteur des besoins soient alloués aux services publics. Il devient vital que ces discours soient battus en brèche, d’autant plus alors que la répression se fait au moins aussi violente qu’en 1968. La férocité du pouvoir nécessite plus que jamais une condamnation et une solidarité totale de la part du monde universitaire. Si les facs ne sont pas aux côtés des salariés, retraités, chômeurs, lycéens, lorsqu’ils se font incarcérer, matraquer, mutiler par un pouvoir autoritaire et radicalisé, qui nous aidera quand ce sera au tour des universités mobilisées d’en faire les frais, comme ce fut le cas en 2016 et en 2018 ?

Crédit photo : ALEXIS SCIARD / MAXPPP


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