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Loi séparatisme

Dissolution arbitraire et islamophobe : le CCIF porte plainte contre Darmanin et saisit le Conseil d’Etat

Dénonçant une « dissolution politique », l’avocat du CCIF va saisir le Conseil d’Etat. Tous ceux et celles qui luttent contre la loi sécurité globale et l’autoritarisme grandissant du pouvoir devraient dénoncer ces dissolutions d’associations et la loi contre le séparatisme.

Joachim Bertin

5 décembre 2020

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Crédits photo : Serge d’Ignazio
Manifestation contre l’islamophobie le 10 novembre 2019

Après les mobilisations du mois de juin, aux jeunes qui disaient « stop au racisme, stop aux violences policières et à l’impunité », Emmanuel Macron a répondu que certes le racisme ce n’est pas très bien mais le « communautarisme » c’est encore pire. Une noyade de poisson de haut vol pour un politicien qu’on savait déjà expert du genre. Mais une manœuvre qui a connu quelques succès puisqu’au moment où la France connaît des suppressions d’emploi par centaines de milliers, à la sortie d’une première vague de coronavirus qui a fait 30.000 morts parce que des politiques ont massacré l’hôpital public et détruit les stocks de masques, le problème, encore une fois, ce sont les musulmans. Une offensive que le gouvernement a poursuivi tout l’été et pour laquelle il a passé la seconde à la rentrée. Le discours des Mureaux et la préparation de la loi sur le séparatisme ont été le moyen de continuer à noyer le poisson autour d’un climat islamophobe : le problème en France c’est « l’hydre islamiste ».
 
Depuis quelques mois, la machine est lancée. Darmanin et les éditorialistes d’extrême droite sur CNEWS, jusqu’à ceux du centre-gauche sur tous les autres médias, s’en donnent à cœur joie pour s’en prendre à tous ceux qui ont osé commettre le crime de lèse-République : défendre les musulmans face à un racisme d’Etat. Dès le 19 octobre, Darmanin annonçait sur Twitter qu’il dissoudrait les « associations ennemies de la République », Baraka City et le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF). Toute opposition à cette politique valait le sigle offensant d’anti-Républicain et jamais la République n’a autant censuré pour la liberté d’expression, à commencer par la lettre de Jaurès lue obligatoirement dans tous les établissements scolaires de France dont certains passages, insuffisamment républicains, ont été jugés superflus.
 
Après les menaces, Darmanin a dissous Baraka City le 28 octobre. Le 2 décembre, c’est au tour du CCIF qui avait pris les devants en s’auto-dissolvant, ses membres s’exilant à l’étranger pour pouvoir continuer leur activité. Les motifs de dissolution, que le collectif a démontés point par point, ont été revus à la baisse, certaines calomnies avancées par l’Etat étant trop grossières malgré l’impunité dont dispose le Ministère de l’intérieur dans son combat pour sauver la République. « C’est le cas, par exemple, de la phrase selon laquelle le fondateur du collectif Cheikh Yassine, Abdelhakim Sefrioui, aurait été trésorier du CCIF, ce qui est faux » écrit Mediapart.
 
Au final, comme dans le cas de Baraka City, le gouvernement a un dossier aussi faible qu’arbitraire. Les arguments donnés par le décret de dissolution sont les suivants : la défense des musulmans et l’accompagnement juridique contre les actes islamophobes incitent à la haine « sous couvert de dénoncer les actes de discrimination », l’association a des liens avec des personnalités de l’Islam radical, et des commentaires haineux existent sur la page Facebook sont les arguments donnés par le décret de dissolution.
 
Des attaques particulièrement hypocrites ! Selon le dicton dans ce genre de cas, plus c’est gros plus ça passe et Darmanin ne s’en est pas privé. D’autant que depuis la fin novembre, il est mis à la défensive par les mobilisations contre la loi sécurité globale, les marches pour la liberté. Accusé par les manifestants de renforcer l’impunité policière, il essaye de reprendre pied en tapant d’autant plus fort sur le volet séparatiste. Tout d’abord en déplaçant les articles de loi qui font le plus scandale comme l’article 24 vers la loi « confortant les principes républicains » (nouveau costume de la loi contre le séparatisme) qui se glisse dans l’article 25 et en lançant à grand bruit des contrôles et des menaces de fermeture contre 76 mosquées.

Le CCIF a été dissous comme « groupement de fait », c’est-à-dire hors-cadre légal par exemple associatif, l’association s’étant dissoute avant l’interdiction. Darmanin a tenu tout de même à y apposer le sceau de la répression. Le CCIF va porter le dossier devant le Conseil d’Etat comme l’avait fait Baraka City, sans succès, le recours ayant été rejeté. Le collectif, à travers son avocat Mr Guez a déposé un recours contestant une « dissolution politique » justifié au motif que le CCIF aurait joué un rôle dans l’assassinat de Samuel Paty. Des accusations de Darmanin absolument infondées pour lesquelles l’avocat a poursuivi le ministre devant la Cour de Justice Républicaine (CJR), la cour spéciale pour les élus de la République, une cour qui blanchit pratiquement à chaque fois les élus.

Si le fait de se défendre par tous les moyens à sa portée, y compris juridiques, est tout à fait entendable, le seul moyen de faire reculer le gouvernement désormais est de prendre la rue par centaines de milliers ! Les quelques reculades et la petite panique autour de l’article 24 (l’arbre qui cache la forêt de tout le reste de la loi qui doit être battue en brèche) montre que c’est dans cette voie qu’il faut continuer, en amplifiant encore la mobilisation et en élargissant le programme.

Nous dénonçons fermement l’offensive autoritaire du gouvernement et les dissolutions d’associations qui visent à laisser les coudées franches au ministère de l’intérieur pour décider de quelle structure a le droit d’exister ou non. Autrement dit, certains militants sont contraints de s’exiler pour ne pas être condamné au mutisme, des appartements sont perquisitionnés à l’aube, des comptes en banque gelés, tous les moyens d’expression (réseaux sociaux, sites internet) clos.

Tous ceux et toutes celles qui luttent actuellement et se révoltent contre les pouvoirs offerts à la police par la loi sécurité globale devraient inscrire sur leurs pancartes et crier dans leur slogan leur refus égal de toutes les lois liberticides et racistes, au premier rang desquelles la loi sur le séparatisme qui vise à renforcer les pouvoirs de dissolution, non plus du conseil des ministres (maigre consolation) mais du seul ministre de l’intérieur. Ainsi, les agissements d’un seul membre de l’association pourraient plus facilement être mis au compte de l’ensemble de la structure (ce qui ouvre un boulevard pour que toute provocation soit mise en scène et montée de toute pièce pour justifier toute sanction) de même que « l’incitation à porter atteinte à la dignité de la personne humaine » et « les pressions psychologiques ou physiques sur des personnes dans le but d’obtenir des actes ou des abstentions qui leur sont gravement préjudiciables » seraient désormais des motifs suffisants. Une logique qui rappelle le délit d’intenter à la santé des fonctionnaires de police en diffusant des vidéos, argument suffisamment flou pour qu’on puisse en faire à peu près ce qu’on veut.

De tels pouvoirs de dissolution dans les mains de l’exécutif et de la police, sont des menaces importantes pour toutes celles et ceux qui s’opposent à la politique du gouvernement et du patronat. La République bourgeoise est en effet exigeante : au moment où la bourgeoisie en sape les bases mêmes en imposant un pouvoir de plus en plus resserré et de plus en plus autoritaire, elle demande à ce qu’on la révère d’autant plus et qu’on en chante les louanges, sous peine de ne pas recevoir le label estampillé République qui met à l’abri de toute offensive médiatique ou policière. C’est contre cela que devrait se positionner l’ensemble de la gauche politique et syndicale et sortir de son silence sur la question, refuser d’être des observateurs passifs de ces lois liberticides du pouvoir de la bourgeoisie, lois qui pourraient très bien se retourner contre elles si ces organisations n’agissent pas à la hauteur des événements.


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