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Entretien

EHPAD à Mulhouse : « 19 résidents sont décédés fin mars, depuis une omerta est mise en place »

Les EHPAD ont été particulièrement frappés par la crise du coronavirus. Pour revenir sur cette situation dramatique, nous avons interviewé Jean-Christophe Schoettel, éducateur spécialisé et délégué CGT central au sein du groupe Saint-Sauveur de Mulhouse.

Vincent Duse

22 avril 2020

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Révolution Permanente : tu peux nous raconter comment les choses se passent depuis le début de confinement dans ton secteur ?

Jean-Christophe Schoettel : Le confinement est arrivé bien trop tard au niveau des établissements, du fait d’une réelle mauvaise organisation, une très mauvaise anticipation et une prise en compte à la légère du virus Covid19 dans notre département. Au niveau des Ehpad, après les annonces du gouvernement principalement du Ministère de la Santé qui a expliqué que ce virus ne serait pas plus dangereux qu’une grippe, le plan bleu a été activée fin-mars, alors que celui-ci aurait dû être posé dès début février, voire fin janvier.

En Ehpad, les patients, ou les résidents ont été tout d’abord confinés dans leur chambre, mais pouvaient encore se rendre au réfectoire pour y prendre les repas. Une décision à ensuite été prise de faire le portage des repas directement en chambre, car même confinés dans leur chambre, les patients se croisaient lors des repas.

Evidemment, les familles et toutes personnes extérieures n’ont plus eut accès aux établissements. Les salariés n’ont malheureusement été informés que fin mars de la présence du Covid19 après une obligation de l’Ehpad de faire un bilan mortuaire à ce moment. Dans un article de l’Alsace, on peut voir notre directeur général qui minimise l’impact du Covid19 dans ses Ehpad. Les salariés ont eu le reflexe, à ce moment-là, de demander une protection simple pour poursuivre leur travail. Je dis simple, car toujours à ce moment-là, la réelle virulence de ce virus était toujours et encore cachée par la direction.

Quand je dis « protection Simple » c’est encore et aussi dû au fait que la direction n’a pas assuré et assumé l’importance du virus dans les services. En effet, à ce moment-là, le discours était que le virus ressemblait à la grippe. Les salariés ont donc effectué leur service sans protection, puis ont quand même demandé des équipements de sécurité de base, soit des masques et gants. A ce moment-là, il n’était pas question d’envisager plus d’EPI style surblouse ou charlotte. Du fait de la lenteur et du manque de matériel fourni par l’ARS, le drame ne pouvait être évité. L’appel de ces établissements à la générosité publique et industrielle (appel aux dons) démontre ce manque de préparation et d’anticipation de cette épidémie. Cet appel aux dons, démontre également le manque de protection des salariés sur une grande période.

RP : Et en termes de condition de travail quelle sont les dispositions qui ont été prises ?

Les conditions de travail se sont aggravées, sur le fait déjà que les salariés n’avaient pas été protégé à temps, ce qui a engendré des arrêts maladie dus au covid-19 dans ces établissements. Donc un manque de personnel évident, et la venue de personnel extérieur pour pallier ce manque. Chaque salarié s’est vu confiné dans le service ou groupe dans lequel il effectue son travail, sans toutefois avoir l’ensemble des directives pour se protéger et protéger sa famille.

C’est à dire, que le personnel n’a pas d’endroit pour retirer ses équipements avant de rentrer à la maison. La légèreté de la direction concernant la protection de ses salariés a aggravé la situation et du coup fait prendre des risques importants aux salariés. Les protections sont simples, et seulement efficaces pour une grippe ! Rien n’a été pensé et mis en place pour le Covid19

RP : Dans ton établissement, il y a eu des décès ou des malades ?

Dans l’établissement de Mulhouse, plusieurs résidents ou patients sont décédés, il en a été dénombré 19 fin mars 2020, pour les trois Ehpad du groupe Saint-Sauveur. A la date d’aujourd’hui, une omerta a été mis en place par les directions afin que ces informations ne sortent plus des services.

Evidemment, comme tout le monde pouvait le pressentir, les personnes âgées des Ehpad, ont été les premières victimes, et les soignants en paient encore le prix fort. Pour rappel le décès de l’aide-soignante du groupe Korian La Filature. A ce jour, plus de la moitié du personnel du groupe St Sauveur semble avoir été touché par le virus.

RP : Tu penses quoi des grands groupes qui veulent reprendre le travail, comme PSA, avec des masques alors que le soignants en manquent ?

La question première qui s’est posée pour notre gouvernement a été le sauvetage des entreprises, en y injectant massivement un soutien financier. Dans les entreprises, la même pensée semble avoir été retenue, qui est que ce virus ne serait pas dangereux et que donc, il serait inutile de protéger les salariés. PSA, par exemple paie également un lourd bilan des salariés touchés par le Covid19 du fait de ne pas avoir stoppé sa production à temps, mais également par manque de protection des salariés. Le site a stoppé bien trop tard la production. Les salariés ont été priés de rester à la maison, confinés, sans plus d’informations. Comme je le soulignais pour les établissements de santé et les établissements accueillants des personnes vulnérables, le manque des matériels et de personnel questionne sur la pertinence de relancer les entreprises, et cela sans savoir si les hôpitaux et établissements sont en mesure d’assurer la pleine mission qui leur est confiée, qui est de protéger et soigner la population.

Si je ne me trompe pas, en Espagne, Seat, a ouvert ses ateliers pour confectionner des respirateurs pour les hôpitaux. La reprise du travail dans les grands groupes, ne peux avoir lieu que et si seulement si les services de santés sont largement livrés en matériel de protection. La question qui se pose est la suivante : si une entreprise comme PSA se dit capable de protéger ses salariés, pourquoi ne pas apporter leurs équipements de sécurité aux établissements de santé afin d’aider la prise en charge des malades, attendre un déconfinement total de la population pour reprendre son activité normale ? Il serait indécent qu’une entreprise fasse revenir ses salariés, sur un site certainement décontaminé et aseptisé pour relancer son activité, alors qu’elle aurait pu aider encore un moment les services de santé. Y a-t-il une importance à faire sortir de ses chaînes des véhicules qui seront entreposés sur un parking, sachant qu’un hôpital militaire est installé sur le parking de l’hôpital Emile Muller à Mulhouse ?

Il faut garder raison et éviter non pas la crise boursière, mais la crise humaine. Rien ne prévoit que nous achetions plus après la crise, bien au contraire, selon nos informations, les gens auront plus tendance à se replier sur eux-mêmes et éviter toutes dépenses inutiles. La priorité de la population ne sera certainement pas d’acheter une voiture, mais investir dans sa propre sécurité sanitaire et alimentaire. Dans le cadre de mes mandats, j’ai demandé aux salariés de ne pas se rendre sur leur lieu de travail tant que leur sécurité n’est pas assurée, et tant que les protocoles ne sont pas respectés en sa totalité.

RP : Faudrait-il réquisitionner les entreprises et réorienter la production pour faire de la production pour la population, pas pour les profits ?

Au vu de mes réponses, il me semble évident que si une entreprise se donne les moyens de produire des équipements de sécurité, il faut lui donner la possibilité de lancer cette production. Que ce soit en matière de masques, de solution hydroalcoolique, d’équipement tels que surblouses, surchaussures et charlotte, il faut évidemment profiter de cet atout. La reprise de production non essentielle à la sécurité de la population doit être mis en sommeil jusqu’au moment où la charge virale environnante sera abaissée.

RP : Il y une crise sanitaire et économique où le patronat veut nous faire payer la crise, comment tu vois les choses et comment ceux qui sont en première ligne peuvent lutter contre le capitalisme ?

Une grande campagne de soutien aux entreprises a été lancé par notre gouvernement dont principalement notre ministre de l’économie, pour financer la crise économique. Je pense que l’économie est soutenue par la sueur des salariés, et que sans salariés, il ne sera pas possible de relancer les entreprises. Il est donc plus que nécessaire que les salariés soient protégés et impliqués dans cette reprise. Il est déconcertant que l’Etat ait proposé de fournir des aides aux entreprises sans avoir pris soin de sa population. Je vous donne comme simple exemple la suppression des charges sociales [enfait il s’agit d’un report] des entreprises, alors que c’est le principal financement des hôpitaux, et que les salariés sont toujours soumis à l’impôt sur le salaire. C’est incompréhensible.

La proposition du MEDEF est de faire travailler les salariés plus, en supprimant des congés, des RTT, des temps de repos, d’allonger le temps de travail à 60h ou plus et cela dans un temps ou l’ensemble de la population est en difficulté. N’aurait-il pas été plus pertinent d’abaisser le temps de travail à 30h, et permettre à ceux qui ne travaillent pas de trouver un emploi, et permettre à ceux qui travaillent de souffler un peu et s’occuper de leur santé et celle de leur famille ?


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Vincent Duse

Ouvrier PSA-Stellantis Mulhouse, militant CGT

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